« Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/39 » : différence entre les versions

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Dernière version du 23 septembre 2021 à 21:03

XXXIX


La France vient enfin de rétablir le divorce, que la Restauration contrôlée par le prêtre s’était empressée d’abolir. Le prêtre ne conçoit pas un ordre social où il ne domine pas et n’impose pas ses volontés. Il ne sait que décréter d’impiété tout système qui l’empêche de dominer les autres dans leur conscience comme dans leurs actes extérieurs. Il ne conçoit pas davantage un ordre social où ceux qui ne partagent pas ses croyances puissent rester en dehors de son ingérence dans leurs affaires et même leurs opinions. Il représente Dieu, on ne raisonne pas avec Dieu, il ne reste donc qu’à se soumettre à tout ce que veut le prêtre.

L’abolition de l’article vi du code était non seulement un fait d’arrogante intolérance mais une preuve de plus de cette navrante incompétence sur toutes les questions de droit qui est le caractère distinctif du parti clérical. Pourquoi ne pas mieux régulariser la séparation de corps pour les catholiques et laisser subsister le divorce pour ceux qui ne l’étaient pas ? La plus simple compréhension des choses exigeait cela puisque les non-catholiques avaient bien un peu le droit de voir respecter leurs opinions et leurs désirs, et surtout leurs droits acquis. Mais à quoi sert de parler bon sens au prêtre dont tout le système est sa négation ?

L’indissolubilité du mariage n’existait dans aucune législation de l’antiquité, — excepté celle de l’Inde — pas même dans celle dite de Moïse qui admet explicitement la lettre de répudiation. Et le Deutéronome admet la répudiation presque au gré du mari, puisqu’il dit, XXIV, 1 : « Si une femme déplaît à son mari pour quelque vice il peut la renvoyer. » Il y avait certainement là pour l’Église précepte divin. Aussi elle n’a pas de suite affirmé le principe de l’indissolubilité absolue, et pendant plusieurs siècles elle a sanctionné la restriction de Jésus. Tertullien (de Monog., liv. IV) admet la dissolution du mariage pour cause d’adultère. Origène (Homél. VII in Math.) dit que beaucoup d’évêques accordaient la dissolution du mariage pour cette raison. Saint Jérôme l’admet pour cette seule raison. Saint Épiphane et saint Ambroise aussi. On sait que celui-ci était magistrat quand il fut élu évêque. Chrysostome dit clairement que l’adultère est un dissolvant du mariage. C’est saint Augustin, le propagateur de tant d’idées fausses, qui pose le premier le principe de l’indissolubilité absolue, même en cas d’adultère, et le fait adopter en principe dans l’église d’Occident. Je dis en principe parce que ce n’est que plusieurs siècles plus tard que ce principe a été rigoureusement appliqué.

Néanmoins l’église grecque a conservé la vraie tradition et suivi l’opinion exprimée par Jésus.

La législation romaine permettait le divorce pour diverses causes. Constantin réduisit à trois, en 331, le nombre des causes de divorce. Une de ces causes était le consentement mutuel. Elle était déjà ancienne et basée sur le principe que le mariage était subordonné à cette condition tacite, mais nécessairement sous entendue par le fait qu’elle est essentielle, que les conjoints jouiront d’une existence au moins supportable, sinon heureuse, et que dès qu’elle devient un malheur permanent, un supplice quotidien, les intéressés ont le droit de le rompre. Il y a là un principe rationnel et juste, conséquence de l’idée formulée un siècle plus tôt en principe de droit par Ulpien : que le mariage ne diffère des autres contrats que sur la matière, et que la forme de ce contrat étant la même que celle des autres contrats, une seconde convention, nécessitée par des raisons sérieuses, pouvait annuler la première. Il y avait là consécration du droit des personnes et admission du principe de justice dans les causes matrimoniales. Mais l’Église a toujours eu en horreur le principe de justice, qui est au-dessus d’elle et de ses dogmes, et qui lui lie souvent les mains quand elle veut dominer. Mais sous le principe de la grâce, dont elle est la dispensatrice, rien ne l’arrête, car ce principe la met au-dessus de tout dans le monde.

En 449, Théodose ii, empereur profondément catholique, augmente le nombre des causes de divorce et défend le mariage entre cousins germains.

Un siècle plus tard, Justinien, empereur profondément catholique aussi, et surtout persécuteur féroce des dissidents, ne proscrit pas le divorce, mais annule la disposition de Constantin l’autorisant par consentement mutuel. Il permet le divorce dans plusieurs cas : 1o  pour impuissance ; 2o  quand les deux parties veulent embrasser la vie monastique ; 3o  quand l’un des conjoints est depuis un certain nombre d’années en captivité. Puis, par sa Novelle 117, ch. VIII, il permet à la femme de divorcer : 1o  pour tentative d’assassinat ou d’empoisonnement sur sa personne ; 2o  pour l’avoir poussée à l’adultère ; 3o  pour l’avoir accusée faussement d’adultère ; 4o  pour avoir une concubine dans sa maison ou même en entretenir une dans la même ville. Plusieurs cas sont aussi prévus pour le mari, dont quelques-uns peu sérieux.

On voit, par ce qui précède, que les légistes, qui ne reçoivent pas les lumières d’en haut, cherchent à se tenir en tout ordre d’idées dans les limites du bon sens et à n’imposer que ce qui est rationnel et juste en droit naturel. Ils ne méconnaissent pas, comme l’Église, les droits les plus évidents des individus. Le prêtre, lui, dont le système est selon lui au-dessus de la raison, se trouve par cela même obligé, sur nombre de questions, de se placer au-dessus du bon sens. Mais se mettre au-dessus du bon sens équivaut exactement à sortir du bon sens. Voilà pourquoi un si grand nombre de conciles et de papes ont dit et fait des choses qui ont mis le bon sens tout en larmes.

Ainsi quand l’Église, après avoir hésité seulement quelques siècles, tout infaillible qu’elle fût, sur ce qu’elle avait à faire, a fini par décider que quelques torts que pût se donner l’un des époux, quelques immoralités, quelques brutalités qu’il pût commettre, l’autre conjoint lui était rivé pour toujours, elle se mettait clairement hors du bon sens des choses. Prétendre qu’un époux ne pouvait se donner de torts tels que la continuation du contrat devint impossible, c’était l’équivalent de rayer d’un trait de plume les mauvais côtés et les mauvaises passions de la nature humaine. Est-ce qu’il n’y aura pas toujours des hommes égoïstes, injustes, autoritaires, tyrans dans leur intérieur, cyniques dans leurs exigences et de mœurs brutales ou honteuses ? Il faut clairement trouver un remède à certaines situations et malheureusement le seul remède offert par l’Église, la séparation, empirait le mal au lieu de le corriger. Et il y a plus. Empêtrée dans son dogme, l’Église a toujours méconnu l’obligation de la justice envers la partie souffrante ou maltraitée. Quelques-uns de ses conciles, nombre de ses hautes intelligences, lui ont montré le vrai sur les questions de justice dans le mariage, mais elle a détourné la tête, n’a pas voulu comprendre. Son erreur ici, comme sur tant d’autres sujets, a été de vouloir toujours régir une question de pur droit naturel d’après ses dogmes ; de confondre, mêler ensemble, très maladroitement quelquefois, le spirituel et le temporel. Là où il y avait pure question de justice envers les parties, elle venait imposer son dogme qui devenait le plus souvent dans la pratique la négation du principe de justice. Et quand on suit d’un peu près sa tactique on voit à l’évidence qu’elle n’est arrivée là qu’en s’étourdissant elle-même de ses propres sophismes.

Au reste, elle a mis bien des siècles à s’emparer définitivement de la question du mariage. Sous l’empire romain il n’était pas question des prétentions qu’elle a émises quand elle fut devenue puissante. Le concile d’Arles de 314, composé de 600 évêques et abbés, ne fait que conseiller aux époux séparés pour cause d’adultère de ne pas se remarier, mais n’en fait aucunement la défense. Onze ans plus tard, le concile de Nicée ne blâme en aucune manière la législation romaine sur le divorce. Constantin d’ailleurs, qui surveillait et dirigeait le concile, ne lui eût pas permis de se mettre en conflit avec la loi. Les trois grands conciles suivants : Constantinople, 381 ; Éphèse, 431, et Chalcédoine, 451, ne se préoccupent pas de la question du divorce. Elle était abandonnée à la loi civile. Pendant tout le IVe, le Ve et le VIe siècles, la législation civile règle seule les questions matrimoniales. Sainte Fabiola, dont le cardinal Wiseman nous a donné une histoire si pleine de fantaisie, se sépare de son mari adultère et se remarie avec un autre homme. Et saint Jérôme la loue de son acte, preuve que l’on se regardait alors dans l’Église comme lié par la restriction de Jésus. Remarquons que pendant les IVe et Ve siècles vivaient les plus célèbres Pères de l’Église et qu’ils acceptaient la législation impériale sur le divorce, que l’église grecque a conservée. C’est dans l’Occident, à la suite de saint Augustin, que l’on commença à repousser la dissolution du mariage pour cause d’adultère.

Le divorce, si abominable aujourd’hui, a été longtemps admis dans plusieurs pays chrétiens soumis au droit romain. Il l’a été en France sous les deux premières races ; en Allemagne jusqu’à la fin du VIIIe siècle ; en Angleterre jusque fort avant dans le dixième. Cela se comprend très bien puisque plusieurs Pères l’admettaient pour se conformer à la définition de Jésus. Chardon, bénédictin, dans son Histoire des sacrements, constate au chapitre du mariage que le divorce s’est conservé chez les Ostrogoths d’Espagne jusqu’au xiiie siècle.