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JE SAIS TOUT

tabille… et l’on fut tout étonné de l’entendre parler.

— Pardon, Monsieur l’avocat général… fit-il, d’un air assez détaché, d’un air peu sympathique assurément… pardon ! mais il y a quelqu’un qui pourrait vous dire bien mieux que ce M. Poupardin lui-même (c’est ainsi que se nomme le coiffeur dont vient de parler Mme Boulenger) ce que Théodora Luigi a fait ce jour-là… et à cette heure-là… si elle est venue à Passy et si elle a pénétré dans la villa La Roche…

— Et qui donc ?

— Mais, monsieur l’avocat général, c’est Théodora Luigi elle-même !

— Sans doute !… admit l’avocat général avec un sourire, mais qui pourrait nous dire où est Théodora Luigi ?

— À cette heure-ci prononça Rouletabille de son air détaché et insupportable. elle doit entrer dans la galerie de Harlay avec mon ami La Candeur..

Quels mouvements dans l’auditoire et chez les juges ! Et moi-même je ne savais plus où j’en étais… Le président donna des ordres à voix basse à l’huissier, mais celui-ci n’eut pas plus tôt franchi la porte des témoins qu’il rentrait en disant : « Mme Théodora Luigi est ici ! »

— Faites-la entrer.

Elle entra. Et il y eut, quand elle se montra, un silence terrible… comme sur la place de la Roquette jadis, quand s’ouvraient les portes de la prison devant le condamné à mort… Les derniers incidents avaient « retourné » l’assistance… Maintenant on était avec Mme Boulenger contre cette femme qui avait une réputation de désastres et de ruines… Si tout le monde ne croyait pas encore que c’était elle qui avait tué… tout le monde l’espérait !… L’audace avec laquelle elle se présentait semblait une suprême insolence qui la rendait plus odieuse encore… « Ah ! on voyait bien que c’était une femme capable de tout ! »… Cependant elle n’avait jamais été aussi belle !… Elle s’avança dans les longs plis d’un manteau violet avec la démarche d’une reine de tragédie… Elle ne regarda pas Mme Boulenger qui, elle, ne la quittait point de ses yeux de flamme. Quel duel allait s’engager entre ces deux femmes ! Mais encore là on se trompait : ce n’était point entre ces deux femmes qu’il allait avoir lieu, mais il n’en fut pas moins terrible.

Théodora prêta serment et commença de déposer avec la plus grande simplicité !…

— Je suis venue de loin, dit-elle, sur la prière de celui que vous accusez… Il paraît que je puis aider à prouver son innocence ! Toute dangereuse que soit la vérité pour moi, je me confie à lui et je la dirai tout entière… La voici : Ayant reçu une lettre de M. Roland Boulenger qui me donnait rendez-vous le mardi à Passy, je quittai le Havre le lundi. Arrivée à Paris, je trouvai un mot qui me donnait rendez-vous à la petite maison de l’impasse La Roche vers cinq heures ! Je ne pus m’y rendre qu’à cinq heures et demie… j’avais une clef de la porte du jardin qui donnait sur l’impasse… je pénétrai dans le jardin et j’allais gravir le perron de la villa quand j’entendis au-dessus de ma tête, au premier étage, des cris et des coups de revolver !… je m’enfuis aussitôt comme une folle, refermai la porte du jardin et me précipitai dans la boutique de Poupardin. Le coiffeur était sur sa porte et il m’avait certainement vue sortir de cette maison ! Je ne savais quel drame venait de s’y passer !… Je l’ai payé pour qu’il se tût et pour qu’il allât s’établir ailleurs !… Ma conduite a peut-être été imprudente… En tout cas je vous ai dit tout ce que je sais, je ne vous ai rien caché !… Le soir même, j’apprenais l’horrible crime… Moi aussi j’ai pleuré ! je suis allée pleurer à l’étranger !…

— Vous avez fui à l’étranger ! s’écria Mme Boulenger… et maintenant, vous croyant sûre de l’impunité, vous êtes venue nous braver ici !… mais reconnaissez-vous ceci ?… Et, allant prendre elle-même le bijou d’entre les mains du président, elle présenta l’anneau d’esclavage à Théodora Luigi…

— Oui ! fit Théodora… je le reconnais parfaitement ! C’est un anneau d’esclavage que j’ai perdu dans la Villa Fleurie à Sainte-Adresse…

— Madame ! répartit Thérèse… avec une agitation qui semblait avoir gagné toute l’assistance… vous mentez ! Cet anneau a été retrouvé dans la maison de Passy, ce qui prouve que vous y avez pénétré… Cet anneau vous l’avez perdu en fuyant après avoir accompli votre ignoble forfait !…

Théodora Luigi était devenue soudain d’une pâleur de cire.

— Par qui donc cet anneau a-t-il été trouvé ? demanda-t-elle en ouvrant des yeux immenses…

— Par Rouletabille ! s’écria Mme Boulenger.