« Les préjugés contre l’Espéranto/L’Espéranto » : différence entre les versions

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II

L’ESPÉRANTO

Le docteur Zamenhof, en créant l’Espéranto, s’est conformé aux principes de Descartes et de Leibnitz, et il a formé une langue souple, flexible, claire, celle qui depuis six ans se répand à travers le monde avec une rapidité vertigineuse, celle qui compte des adeptes dans l’univers tout entier, chez les Japonais, les Hindous et les Chinois aussi bien que chez tous les peuples de l’Europe et des deux Amériques.

Examinons donc les qualités linguistiques qui font de l’Espéranto, une langue très facile, si facile même que les esprits « vulgaires » comme dit Descartes, la peuvent apprendre facilement. Nous allons l’étudier sous le double aspect du vocabulaire et de la grammaire.

Le Vocabulaire

Ce qui fait la difficulté des langues vivantes c’est la formation irrégulière des mots dérivés d’une même racine. Car dans toutes les langues nationales, ces dérivés sont toujours formés sans ordre, sans règle, et la multiplicité des suffixes, se rapportant à une même catégorie d’idées, complique encore la difficulté en embrouillant inutilement les choses.

Procédons par des exemples pour mieux nous faire comprendre. En voici un choisi parmi les plus typiques.

« Le français, dit M. Carlo Bourlet[1], se sert de différents suffixes pour désigner les noms de métier : ier, ien, eur, iste, re, etc., et il dit serrurier, bottier, pharmacien, musicien, brosseur, balayeur, flûtiste, violoniste, peintre, chantre, etc. Malheureusement ces terminaisons n’ont rien de caractéristique, et d’autre part leur multiplicité même annihile les avantages que l’on pourrait tirer de leur existence. Qu’on apprenne à un étranger la liste de ces terminaisons pour lui faciliter l’acquisition du français, et lorsqu’on lui demandera ce que c’est qu’un chantier, il nous dira que c’est un homme qui chante et il croira qu’un légumier est un marchand de légumes. D’ailleurs, inversement, pour nommer un homme dont le métier est de frotter il ne saura pas s’il doit dire frottier, frottien, frotteur, ou frottiste. Pourquoi si teinture donne teinturier le mot peinture donne-t-il peintre ? »

Donc si vous admettez un seul suffixe pour indiquer le métier et la profession, il n’y a plus d’erreur possible, plus la moindre complication, et vous obtenez des formations régulières, sans aucune peine, par l’effort seul du raisonnement et la mémoire n’aura d’autre travail que celui d’emmagasiner des mots, ayant un sens précis, servant à en fabriquer d’autres.

En ce qui concerne les racines, au lieu de les créer en forgeant des mots de toute pièce par des combinaisons arbitraires de voyelles et de consonnes, ainsi que le firent sans succès d’ailleurs l’abbé Schleyer dans le Volapuck et M. Léon Bollack dans la Langue Bleue au lieu « d’aller chercher très loin ce que l’on avait tout proche » le Dr Zamenhof a préféré « puiser au trésor infini des langues vivantes ». Et, ajoute M. Aymonier[2] n’est-il pas naturel qu’une langue internationale soit composée de racines internationales et ces racines choisies en proportion de leur internationalité, en d’autres termes élues au suffrage universel ? Ce critérium ménageait toutes les susceptibilités et devait obtenir un universel suffrage, d’autant plus que, dans une mesure différente pour chaque peuple, mais très appréciable pour tous, il diminue l’effort et soulage la mémoire. Il n’y avait donc qu’à dresser la statistique des langues et des habitants qui les parlent et pour ainsi dire la carte électorale. Approximativement on compte : 125 millions d’Anglais, 90 millions de Russes, 75 millions d’Allemands, 55 millions de Français, 45 millions d’Espagnols, 35 millions d’Italiens et 12 millions de Portugais.

« Si je vous fais remarquer que le vocabulaire anglais, pour plus des deux tiers appartient aux langues classiques (sur 43.566 mots, 29.853 sont tirés des langues classiques). Vous concluez que la majorité des racines ainsi élues sera tiré des langues romanes dans la proportion de 75 % environ. Si donc l’Espéranto a une couleur latine, comme quelquefois on le lui a reproché, l’auteur n’y est pour rien.

« Ainsi 75 % des racines, les Français, les peuples latins et les Anglais aussi les connaissent et nous n’avons pas à les apprendre… La solution était donc très simple, il n’était que de s’en aviser. »

Ces racines, au nombre de 2.000 environ, peuvent d’après M. de Beaufront se classer en trois catégories.

I. — Tout à fait internationales, sauf de très légères nuances le plus souvent orthographiques. Exemple atomo, aksiomo, adreso, formo, vagono, doktoro, etc.

II. — D’une internationalité restreinte, c’est-à-dire obtenue par la plus grande internationalité.

Barko Fr. Angl. All. Rus. Pol. It. Esp.
Danci » » » » » » »
Deziro » » » » » » [3]
Flamo » » » » » »
Marmoro » » » » » »
Muso » » » » »
Floro » » » »
Fingro » »

III. — Nullement internationales et choisies dans le latin, le russe, le polonais ou l’allemand qui, sans cela, en auraient fourni moins que les autres langues.

Rien que par ces quelques explications, on voit que l’Espéranto n’est pas de l’espagnol déformé comme le proclame M. de Gourmont. Nous allons montrer par sa grammaire, qui a emprunté à toutes les grammaires ce qu’elles avaient de plus simple, et de plus clair et de plus logique, que l’Espéranto n’est pas « une perpétuelle insulte à la beauté des langues d’où il est né » comme le dit M. Gaubert. Ce n’est pas non plus « un fils bâtard » qui « fait tort à ses parents ».

L’Espéranto est le fils légitime des langues civilisées, et il leur fait le plus grand honneur qu’un enfant puisse faire à ses parents puisqu’il n’emprunte que leurs qualités[4].

Grammaire

L’espéranto n’a qu’une seule conjugaison se composant de douze formes, caractérisées par des terminaisons différentes, toujours les mêmes, dont voici le tableau :

1) présent AS.
2) passé IS.
3) futur OS.
4) conditionnel US (prononcez ous).
5)
impératif,
et
subjonctif
U (prononcez ou).
6) infinitif I.

Ajoutez à cela trois participes actifs et trois participes passifs.

Actif. 7) Présent ANT Passif. 10) Pr. AT
8) Passé INT 11) Pas. IT
9) Futur ONT 12) Fut. OT

C’est la conjugaison idéale, rêvée par Descartes et Leibnitz. Quelle admirable simplicité quand on la compare aux 3.600 formes de nos verbes, qui faisaient dire si justement à Faidherbe : « Le verbe est le plus grand obstacle à la colonisation. »

Mais pourquoi, dira-t-on, cette surabondance de participes puisque nous n’en avons que deux en français, le participe présent et le participe passé. Le français est plus simple sur ce point que l’espéranto ! Pas si simple que cela car les formes du participe passé varient à l’infini : tantôt il s’emploie avec l’auxiliaire avoir, tantôt avec l’auxiliaire être, tantôt il s’accorde, tantôt il ne s’accorde pas. Ah ! il est fort heureux que nous n’ayons que deux participes ! Sans cela il y aurait là de quoi devenir fou !

Examinons la chose d’un peu près avec M. Carlo Bourlet, à qui j’emprunte sa belle explication des participes en espéranto. « Je dis : je suis aimé ; aimé est le participe passé du verbe aimer, cela doit donc vouloir dire je suis ayant été aimé donc on m’a aimé, peut-être qu’on ne m’aime plus. Erreur cela veut dire qu’on m’aime actuellement !

« Mais alors, par analogie, lorsque je dis je suis lavé, cela devrait signifier qu’on me lave actuellement, tandis que cela signifie que l’on m’a lavé que je suis ayant été lavé.

« Donc ce participe, dit passé ne l’est que quand nous le voulons bien et il est présent quand cela nous plaît ; de sorte que le malheureux étranger qui apprend notre langue doit prendre tantôt le participe présent pour le passé tantôt le participe passé pour le présent.

« Mais il y a mieux encore. Si je dis : la maison est construite, cela veut dire que la maison est finie qu’on l’a construite. Mais si je dis la maison est construite par l’architecte X cela signifie qu’elle n’est pas finie, que l’architecte X la construit actuellement. De telle sorte que l’intervention bienfaisante de l’architecte X dans ma phrase transforme le passé en présent. Voilà un pouvoir surnaturel que plus d’une jolie femme enviera aux architectes !

« En réalité nous n’avons en français qu’une seule forme pour le temps présent, le temps passé ou le temps futur. Dans la phrase précédente je ne puis employer le participe construite au présent sans l’intervention de mon architecte et, si je veux caractériser ce temps il me faut user d’une périphrase : la maison est en construction ou changer la forme passive en active : on construit la maison ».

Donc en réalité la triple forme du participe en espéranto est beaucoup plus claire et plus simple que nos deux formes vagues et variables à l’infini, parce que, en espéranto, chacune correspond à une forme précise du temps. Elles traduisent très exactement nos tournures françaises je vais faire, je dois faire (je suis devant faire) et je viens de finir (je suis ayant fini).

Il n’y a pas de verbe irrégulier.

Il n’y a qu’un seul auxiliaire, l’auxiliaire être, qui se conjugue comme le verbe.

Ainsi que le demandait Leibnitz la terminaison invariable du verbe indique le temps ; le sujet (substantif ou pronom) indique la personne.

Il y a cinq autres terminaisons grammaticales :

13) O pour le substantif ;

14) A pour l’adjectif ;

15) E pour l’adverbe ;

16) J qui se prononce comme y et s’ajoute aux substantifs et aux adjectifs pour indiquer le pluriel ;

17) N qui marque l’accusatif (le régime direct ou le complément circonstanciel.)

Il n’y a qu’un seul article, la, invariable comme l’article the des Anglais.

Il n’y a pas de genre grammatical, mais un suffixe de deux lettres in qui, chez les êtres animés, s’ajoute entre la racine et la terminaison pour indiquer le sexe féminin,

Il y a enfin une prononciation — la même pour tous les peuples — et dont tous les sons ont été choisis — selon le même principe qui a présidé au choix des racines — parmi tous les sens communs aux peuples d’Europe.

Pour cela on a banni les nasales françaises an, en, in, on, am, em, im, om, le th anglais, le j espagnol, le ch allemand.

Chaque lettre a un seul son toujours le même. C’est pourquoi tous ceux qui connaissent ces quelques principes sur les sons des lettres peuvent du premier coup faire une dictée sans faute d’orthographe, — avantage que n’offrent pas les autres langues — et prononcer exactement de la même façon à tel point qu’il y a, dans la prononciation, moins de différence entre un Anglais ou un Espagnol parlant l’espéranto, qu’entre un Lillois ou un méridional parlant notre belle langue française.

Ceci peut être attesté par les milliers de personnes dont les noms et adresses se trouvent dans l’Annuaire espérantiste[5] par les milliers d’adhérents aux 700 sociétés ou groupements dont la liste se trouve inscrite au Livre des Sociétés[6] publié par l’Office Central Espérantiste[7].
Statistique

Qu’on nous permette, pour compléter ces renseignements sur l’Espéranto, d’indiquer par une statistique très courte l’état des progrès de l’espéranto dans le monde ; les chiffres que nous donnons sont empruntés à l’Esperantista Societaro du Centra Oficejo, d’après les listes arrêtées au 30 juin 1907.

Afrique : 6 sociétés : 3 en Algérie ; 1 dans la Guinée Française ; 1 à Madagascar ; 1 à Tunis.

Amérique : 69 sociétés : 1 en Bolivie ; 11 au Brésil ; 2 au Chili ; 4 au Canada ; 4 au Mexique ; 1 au Pérou ; 44 aux États-Unis ; 2 dans l’Uruguay.

Asie : 16 sociétés : 5 aux Indes ; 4 au Japon ; 1 en Cochinchine, 3 dans l’Asie Russe, 1 dans les Straits Settlements ; 1 au Tonkin ; 1 dans la Turquie d’Asie.

Europe : 542 sociétés : 39 en Autriche ; 21 en Belgique ; 103 dans la Grande Bretagne ; 16 en Bulgarie ; 2 en Danemarck ; 156 en France ; 49 en Allemagne ; 1 à Gibraltar ; 40 en Espagne ; 9 en Hollande ; 2 en Hongrie ; 8 en Italie; 6 à Malte ; 1 à Monaco ; 4 en Norvège; 26 en Russie ; 20 en Suède ; 39 en Suisse.

Océanie : 6 sociétés : 2 en Australie ; 4 en Nouvelle Zélande.

Il y a en outre 61 sociétés dont les membres appartiennent à différentes nationalités. Elles se répartissent ainsi : 12 morales politiques et religieuses ; 11 artistiques et scientifiques ; 15 industrielles et commerciales ; 6 sportives ; 3 administratives, et 14 appartenant à diverses catégories.

Ajoutez à cela 170 consulats espérantistes dont le but est de donner aux voyageurs et aux commerçants étrangers des renseignements oraux ou par correspondance, et 38 journaux dont 14 rédigés entièrement en Espéranto.

Tels sont les résultats obtenus en quelques années par une langue artificielle internationale comprenant :

  2000 racines
  16 règles de grammaire
  32 suffixes et préfixes
et 17 terminaisons.

Et des gens viendront nous dire — comme M. Gaubert — que ce charabia n’est d’aucune utilité dans le commerce, qu’il ne peut servir aux touristes, que c’est une langue muette et impuissante ; d’autres, comme M. de Gourmont, que c’est un jargon fâcheux et prétentieux, inutile à la science !

Voyons, Messieurs, tâchez une autre fois de vous renseigner un peu mieux !

Dans la troisième partie de cet opuscule, nous combattrons les préjugés qui s’attaquent plus directement à l’Espéranto.

  1. Op. cit.
  2. Conférence sur l’Espéranto.
  3. Ces traits indiquent que la racine n’appartient pas à la langue sous lesquels ils se trouvent.
  4. C’est vraiment bien commode d’avoir M. Gaubert comme adversaire. Il suffit de prendre le contre-pied de ses affirmations pour être dans le vrai (note de l’auteur).
  5. Tutmonda Esperantista jarlibro, publié par Hachette, 79, Bd. Saint-Germain.
  6. Esperantista Societaro.
  7. Centra oficejo, 51, rue de Clichy, à Paris.