« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions
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{{sc|Le général}}. — Est-ce que vous me prenez pour un voleur, par hasard ? Puisque c’est moi que ces gueux de Bournier voulaient assassiner, pour me voler plus à leur aise et sans que je pusse réclamer ! J’ai bien le droit de reprendre ce qui m’appartient, je pense.
{{sc|Le greffier}}. — Mais, Monsieur, je suis chargé de la garde de cette maison jusqu’à ce que l’affaire soit décidée, et je ne connais pas les objets qui sont à vous. Je ne veux pas risquer de voir enlever des effets dont je suis responsable et qui appartiennent à ces gens-là. »
Le général lui fit la liste de ses effets et indiqua la place où on les trouverait. Le greffier alla dans la chambre désignée, y trouva les objets demandés et les apporta ; le général lui donna comme récompense une pièce de vingt francs. Le greffier refusa d’abord vivement, puis mollement, puis accepta, tout en témoignant une grande répugnance à donner à ses services une apparence intéressée. Moutier se chargea des effets, du nécessaire et de la lourde cassette ; et ils rentrèrent à l’''Ange-Gardien''. Le général appela Jacques et Paul qui le suivirent dans sa chambre ; il leur fit voir ce que contenait sa cassette et son nécessaire de voyage ; dans la cassette il y avait une demi-douzaine de montres d’or avec leurs chaînes, de beauté et de valeur différentes ; toutes ses décorations en diamants et en pierres précieuses, un portefeuille bourré de billets de banque et une sacoche pleine de pièces d’or. C’était tout cela que le général, imprudemment, avait laissé voir à Bournier, et qui avait enflammé la cupidité de ce dernier. Le nécessaire était en vermeil et contenait tout ce qui pouvait être utile pour la toilette et les repas.
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Jacques et Paul étaient dans le ravissement et poussaient des cris de joie à chaque nouvel objet que leur faisait voir le général. Les montres surtout excitaient leur admiration. Le général en prit une de moyenne grandeur, y attacha la belle chaîne d’or qui était faite pour elle, mit le tout dans un écrin ou boîte en maroquin rouge et dit à Jacques :
« Celle-là, c’est celle que ton bon ami donnera à tante Elfy. Et puis, ces deux-là, dit-il en retirant de la cassette deux montres avec des chaînes moins belles et moins élégantes, ce sont les vôtres que vous donne votre bon ami. Mais ne dites pas que je vous les ai fait voir, il me gronderait.
{{sc|Jacques}}. — C’est vous, mon bon général, qui nous les donnez.
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{{sc|Jacques}}. — Oui, mon bon général, mais quand vous nous donnez quelque chose, et de si belles choses, nous serions bien ingrats de ne pas vous remercier.
{{sc|Le général}}. — Petit insolent ! Puisque je te dis… »
Il ne put continuer parce que Jacques et Paul se saisirent chacun d’une de ses mains qu’ils baisaient et qu’ils ne voulaient pas lâcher, malgré les évolutions du général qui tirait à droite, à gauche, en avant, en arrière : il commençait à se fâcher, à jurer, à menacer d’appeler au secours et de les faire mettre à la salle de police. Il parvint enfin à se dégager et rentra tout rouge et tout suant dans la salle où se trouvaient Moutier, Elfy et sa sœur.
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{{sc|Jacques}}. — Voyez-vous, mon bon général ? Je vous le disais bien. C’est vous…
{{sc|Le général}}. — Tais-toi, gamin, bavard ! Je te défends de parler. Moutier, je vous défends de les écouter. Vous n’êtes que sergent, je suis général. Suivez-moi ; j’ai à vous parler. »
Moutier, au comble de la surprise, obéit ; il disparut avec le général qui ferma la porte avec violence.
{{sc|Le général}}, ''rudement''. — Tenez, voilà votre dot. (Il met de force dans les mains de Moutier un portefeuille bien garni.) J’y ai ajouté les frais de noces et d’entrée en ménage. Voilà la montre et la chaîne d’Elfy ; voilà la vôtre. (Moutier veut les repousser.) Sapristi ! ne faut-il pas que vous ayez une montre ? Lorsque vous voudrez savoir l’heure, faudra-t-il pas que vous couriez la demander à votre femme ? Ces jeunes gens, ça n’a pas plus de tête, de prévoyance que des linottes, parole d’honneur !… Tenez, vous voyez bien ces deux montres que voilà ? ce sont celles de vos enfants ! C’est vous qui les leur donnez. Ce n’est pas moi, entendez-vous bien ?… Non, ce n’est pas moi ! Quand je vous le dis ! Pourquoi leur donnerais-je des montres ? Est-ce moi qui me marie ? Est-ce moi qui les ai trouvés, qui les ai sauvés, qui ai fait leur bonheur en les plaçant chez ces excellentes femmes ? Oui, excellentes femmes, toutes deux. Vous serez heureux, mon bon Moutier ; je m’y connais et je vous dis, moi, que vous auriez couru le monde entier pendant cent ans, que vous n’auriez pas trouvé le pareil de ces femmes. Et je suis bien fâché d’être général, d’être comte Dourakine, d’avoir soixante-quatre ans, d’être Russe, parce que, si j’avais trente ans, si j’étais Français, si j’étais sergent, je serais votre beau-frère ; j’aurais épousé Mme Blidot. »
L’idée d’avoir pour beau-frère ce vieux général à cheveux blancs, à face rouge, à gros ventre, à carrure d’Hercule, parut si plaisante à Moutier qu’il ne put s’empêcher de rire. Le général, déridé par la gaieté de Moutier, la partagea si bien que tous deux riaient aux éclats quand Mme Blidot, Elfy et les enfants, attirés par le bruit, entrèrent dans la chambre ; ils restèrent stupéfaits devant l’aspect bizarre du général à moitié tombé sur un canapé où il se roulait à force de rire, et de Moutier partageant sa gaieté et s’appuyant contre la table sur laquelle étaient étalés l’or et les bijoux de la cassette et du nécessaire.
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{{sc|Le général}}. — Nous rions, parce que… Ha ! ha ! ha !… Ma bonne madame Blidot… Ha ! ha ! ha ! Je voudrais être le beau-frère de Moutier… en vous épousant… Ha ! ha ! ha !
{{sc|Madame Blidot}}. — M’épouser, moi ! Ha ! ha ! ha ! Voilà qui serait drôle, en effet ! Ha ! ha ! ha ! La bonne bêtise ! Ha ! ha ! ha ! »
Elfy n’avait pas attendu la fin du discours du général pour partir aussi d’un éclat de rire. Les enfants, voyant rire tout le monde, se mirent de la partie : ils sautaient de joie et riaient de tout leur cœur. Pendant quelques instants on n’entendit que des Ha ! ha ! ha ! sur tous les tons. Le général fut le premier à reprendre un peu de calme ; Moutier et Elfy riaient de plus belle dès qu’ils portaient les yeux sur le général. Ce dernier commençait à trouver mauvais qu’on s’amusât autant de la pensée de son mariage.
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— Parfaitement, mon général, parfaitement, dit Moutier en se mordant les lèvres pour ne pas rire ; seulement, vous êtes tellement au-dessus de nous, que cela nous a semblé drôle d’avoir pour beau-frère un général, un comte, un homme aussi riche ! Voilà tout.
— C’est vrai, reprit le général ; aussi n’est-ce qu’une plaisanterie. D’ailleurs, Mme Blidot n’aurait jamais donné son consentement.
{{sc|Madame Blidot}}, ''riant''. — Certainement non, général, jamais. Mais pourquoi cet étalage d’or et de bijoux ? Et toutes ces montres ? Que faites-vous de tout cela ?
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{{sc|Moutier}}. — Parfaitement, je comprends parce que je vous connais ; de la part de tout autre, ce serait à ne pas le croire ; Elfy et moi, nous n’oublierons jamais…
{{sc|Le général}}. — Prrr ! Assez, assez, mes amis. Soupons, causons et dormons ensuite. Bonne journée que nous aurons passée ! J’ai joliment travaillé, moi, pour ma part ; et vrai, j’ai besoin de nourriture et de repos. »
Mme Blidot courut aux casseroles qu’elle avait abandonnées, Elfy et Moutier au couvert, Jacques et Paul à la cave pour tirer du cidre et du vin ; le général restait debout au milieu de la salle, les mains derrière le dos ; il regardait ses amis en riant :
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