« Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XVII/Troisième partie/Livre VIII/Chapitre IV » : différence entre les versions

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CHAPITRE IV.

Jamaïque.

Cette île fut nommée par Christophe Colomb San-Iago, c’est-à-dire Saint-Jacques ; et de James, qui signifie Jacques ou Iago, dans leur langue, les Anglais ont fait Jamaïca, nom que toutes les autres nations ont adopté.

On a vu que Colomb la découvrit, dans son second voyage, au commencement de mai 1494. Les Espagnols n’y avaient point encore d’établissement ; mais en 1509, c’est-à-dire trois ans après sa mort, ils s’y rendirent en foule, et dans le cours de la même année ils y bâtirent trois villes, Séville sur la côte du nord ; Mellila sur celle du sud, et Oristan dans la partie occidentale, à quatorze lieues de Séville. Diègue, un des fils de Colomb, en bâtit une sous le nom de San-Iago de la Vega, et la situation en étant plus agréable et plus saine que celle des trois autres, elles furent abandonnées de leurs habitans. La Vega devint bientôt si florissante, qu’on y comptait dix-sept cents maisons, deux églises, deux chapelles, et même une abbaye.

Diègue Colomb, premier gouverneur de l’île, en posséda la plus grande partie, et prit dans ses titres celui de marquis de La Vega, qui est passé à ses descendans ; mais leur tyrannie et leurs exactions arrêtèrent les progrès de la colonie. On la vit bornée long-temps à La Vega, d’où les habitans faisaient cultiver les terres par leurs esclaves. Ensuite, lorsque le Portugal fut soumis à cette couronne, les Portugais, beaucoup plus industrieux, tentèrent en vain d’augmenter la culture et le commerce de la Jamaïque : ils trouvèrent des obstacles invincibles dans la jalousie des Espagnols, qui, menant une vie oisive, sans aucune sorte de manufactures et de commerce, se contentaient de tirer leur subsistance de leurs plantations, et de vendre ce qu’ils avaient de superflu aux vaisseaux qui passaient sur leurs côtes. C’était néanmoins pour s’assurer la possession d’une île si négligée qu’ils avaient massacré plus de six mille Américains, ses habitans naturels. Ils n’étaient pas eux-mêmes plus de quinze cents, avec le même nombre d’esclaves noirs, lorsqu’elle fut conquise par les Anglais en 1655.

Les nègres, après la défaite de leurs maîtres, égorgèrent quelques officiers qui les commandaient, et se donnèrent pour chef un esclave de leur nation. Ils continuèrent quelque temps de se soutenir dans les montagnes, où ils vivaient de chasse et de pillage ; enfin la crainte de se voir forcés dans cette retraite en détermina le plus grand nombre à se soumettre au chef anglais, qui leur fit grâce lorsqu’ils eurent abandonné leurs armes. Il n’en resta que trente ou quarante qui, soit dans l’espérance de se procurer la liberté, soit par affection pour leurs anciens maîtres, ou par haine pour les Anglais, s’obstinèrent à mener une vie errante dans des montagnes inaccessibles. Ensuite leur troupe s’étant grossie par la désertion d’un grand nombre de nègres anglais, ils reprirent assez d’audace pour descendre dans les vallées, et pour y commettre des ravages qui forcèrent le gouverneur d’élever des forts pour mettre les plantations à couvert. Ces brigands subsistent encore dans une race nombreuse, et l’on n’a pu trouver jusqu’aujourd’hui d’autre moyen pour les réprimer que d’entretenir des corps-de-garde au pied des montagnes.

Les Anglais, devenus maîtres de l’île, poussèrent leurs établissemens avec autant de succès que d’activité. C’est à Doiley, qui prit la Jamaïque, que les Anglais ont la principale obligation des premiers progrès de leur colonie. En 1663, c’est-à-dire huit ans après son origine, on y comptait déjà douze paroisses, et 17,300 habitans. Les flibustiers contribuèrent beaucoup à ce prompt accroissement par les richesses qu’ils y apportaient de leurs courses et du pillage des établissemens espagnols.

La Jamaïque est traversée par le 18e. degré de latitude septentrionale : elle a environ quarante-six lieues de long de l’est à l’ouest, sur vingt de largeur dans le milieu. Elle se resserre par degrés vers ses deux extrémités, et paraît se terminer en deux pointes. Elle contient environ cinq millions d’acres de terre, dont la moitié est actuellement en culture. Elle est divisée en deux parties par une chaîne de montagnes qui s’étend de l’est à l’ouest, et d’où sortent quantité de rivières. Ses côtes méridionales offrent un grand nombre d’excellentes baies.

L’île est divisée en trois comtés. Les trois principales villes sont Kingston, Port-Royal, et Spanish-Town ou San-Iago, qui se trouvent à la côte méridionale.

La ville de Port-Royal se nommait autrefois Cognay ; elle occupait la pointe d’une langue de terre qui s’avance d’environ dix milles en mer. L’eau y est si profonde et le rivage si net, que les plus grands navires pouvaient s’approcher jusqu’aux quais, et charger ou décharger avec aussi peu de frais que d’embarras. Mille vaisseaux peuvent y mouiller à l’aise, sans avoir rien à craindre des vents. La grande rivière, sur laquelle est situé San-Iago vient tomber dans cette baie. C’est là que tous les vaisseaux prennent leur eau et leur bois. La facilité du mouillage et tant d’autres commodités avaient rendu Port-Royal le centre du commerce de l’île. Avec tous ces avantages, sa situation avait de fâcheux inconvéniens ; l’eau douce, le bois, la pierre manquent absolument sur ce terrain. Le sol en est si sec, qu’il n’y croît aucune sorte d’herbe ; et la multitude de marchands et de mariniers que le commerce ou la navigation attirait continuellement dans ces villes y rendait les vivres d’une cherté extrême. Cette ville fut renversée en 1692 par un tremblement de terre. Ces accidens, qui se sont renouvelés, l’ont fait déserter en partie. La capitale actuelle est Kingston. Le gouverneur et les cours de justice résident à San-Iago.

Le terroir de la Jamaïque est, en général, d’une extrême fertilité. Entre les rochers de la grande chaîne, nommée les Montagnes Bleues, s’élèvent des forêts remplies de beaux arbres, qui offrent l’aspect d’un printemps perpétuel. À leur pied jaillissent des ruisseaux limpides, qui forment de nombreuses cascades, et entretiennent une fraîcheur délicieuse. La grande chaîne de montagnes est appuyée sur d’autres, qui diminuent graduellement de hauteur. Les coteaux inférieurs sont garnis de cafeyers, et plus bas, les plus riches plantations de sucre s’étendent à perte de vue. Les savanes, dont le fonds consiste en calcaire marneux, portent un gazon touffu et brillant. Le sucre est la principale production : depuis le commencement du dix-neuvième siècle, les plantations de café ont été très-étendues ; de sorte que cette île produit aujourd’hui plus des trois quarts du café et de la moitié du sucre que l’Angleterre tire de ses colonies. Les récoltes de la Jamaïque sont plus certaines et plus égales que celles des îles Caraïbes, celles-ci étant plus sujettes aux sécheresses et aux ouragans.

Le climat de la partie basse de l’île est presque partout excessivement chaud. Les brises de mer, qui se font sentir tous les matins, le rendent plus supportable aux Européens. Les quartiers de l’est et de l’ouest sont tous plus sujets aux vents et à la pluie. Leurs épaisses forêts les rendent moins agréables que ceux du sud et du nord, qui sont beaucoup plus ouverts. Les parties montagneuses sont les plus froides, et souvent les matinées n’y sont pas exemptes de gelées blanches.

Avant l’affreux tremblement de 1692, on connaissait peu dans l’île ces redoutables phénomène. Il commença le 7 juin, entre onze heures et midi ; et, dans l’espace de deux minutes, il écrasa ou noya les neuf dixièmes des habitans de Port-Royal, entre lesquels ceux des quais furent abîmés presque tous en moins d’une minute. Quelqu’un, qui eut le bonheur d’échapper, écrivit à Londres, peu de temps après : « J’ai perdu ma femme, mes enfans, ma sœur et sa fille, mes valets et mes servantes, c’est-à-dire, toute ma famille et tout mon bien. Il ne s’est sauvé qu’une femme-de-chambre de ma femme, qui est venue me raconter que sa maîtresse était dans son cabinet, au second étage, et l’avait envoyée au grenier, où ma sœur était montée avec sa fille, à la première secousse du tremblement, avec ordre de prendre l’enfant pour la soulager ; mais qu’étant descendue d’abord dans la rue, dans le dessein de remonter après avoir pris quelques informations, elle avait vu fondre ma maison, qui est actuellement trente pieds sous l’eau. J’étais allé, le matin, avec un de mes fils, à Liguania : le tremblement de terre nous surprit à notre retour, et nous faillîmes être engloutis par les vagues de la mer, qui roulèrent impétueusement vers nous, en s’élevant six pieds au-dessus de leur niveau, sans que l’air fût agité du moindre vent. À Liguania, ou nous fûmes forcés de retourner, nous trouvâmes toutes les maisons renversées, et nul autre endroit pour nous mettre à couvert que les cases des nègres. Nous sommes au 20, et la terre continue de trembler cinq ou six fois en vingt-quatre heures. Une grande partie de la montagne est tombée, et sans cesse on en voit tomber d’autres parties. Tous les quais de Port-Royal se sont abîmés à la fois. Quantité de riches marchands y ont été noyés avec leurs familles et leurs effets. Ce quartier est à présent tout couvert d’eau ; et dans celui de l’église, où était ma maison, l’eau monte jusqu’au toit des édifices qui subsistent encore. La terre, s’ouvrant en plusieurs endroits, a dévoré un grand nombre d’habitans, qu’elle a revomis dans d’autres lieux, quelques-uns vivans, et qui se sont heureusement sauvés. Du côté de Northe, plus de mille acres de terre se sont enfoncés avec tout ce qu’il y avait d’effets. Il ne reste pas une maison sur pied dans la presqu’île. Les deux grandes montagnes qui étaient à l’entrée sont tombées aussi dans un espace de seize milles qui les séparait ; et, s’étant comme jointes, elles ont arrêté le cours de la rivière, qui est demeurée à sec pendant un jour entier jusqu’au bac. On y a pris une prodigieuse quantité de poisson, et ce secours a servi du moins au soulagement des malheureux. Du côté de Yellows, une autre montagne s’est fendue, et, tombant sur les terres voisines, a couvert plusieurs habitations et détruit un grand nombre de colons. La plantation de Hopkin se trouve éloignée d’un demi-mille de l’endroit où elle était auparavant. L’eau de tous les puits est montée jusqu’à leur ouverture. »

Une autre relation de cet épouvantable accident en donne encore une plus affreuse idée. « Entre onze heures et midi, nous sentîmes trembler la maison où j’étais alors, et nous vîmes le pavé de la chambre qui se soulevait. Au même instant nous entendîmes pousser dans les rues des cris lamentables ; et, nous hâtant de sortir, nous eûmes le touchant spectacle d’une foule de peuple qui levait les mains en implorant le secours du ciel. Nous continuâmes de marcher dans la rue où des deux côtés nous vîmes tomber des maisons, et d’autres s’abîmer. Le sable des rues s’enflait un moment comme les vagues de la mer, jusqu’à soulever ceux qui étaient dessus ; ensuite il s’ouvrait en profonds abîmes. Bientôt un déluge d’eau survint, et fit rouler de côté et d’autre quantité de malheureux qui saisissaient inutilement, pour se soutenir, les solives des maisons renversées. D’autres se trouvèrent enfoncés dans le sable, d’où l’on ne voyait sortir que leurs jambes ou leurs bras. Je m’étais heureusement placé avec quinze ou seize autres sur un terrain qui demeura ferme.

» Aussitôt que cette violente secousse eut cessé, chacun ne pensa qu’à s’assurer s’il lui restait quelque chose de sa maison et de sa famille. Je m’efforçai de me rendre chez moi, par-dessus les ruines des édifices dont une partie flottait sur l’eau ; mais toutes mes peines furent inutiles ; enfin je pris un canot, et, me hasardant sur la mer même, pour m’avancer à la rame vers ma maison, je rencontrai plusieurs personnes de l’un et de l’autre sexe qui flottaient sur divers matériaux. J’en pris autant que mon canot en pouvait contenir, et je continuai de ramer jusqu’à l’endroit où je croyais trouver ma maison ; mais je n’y vis que des ruines, et je ne pus me procurer aucune information sur le sort de ma famille. Il était tard. Le lendemain je me servis encore du canot pour aller de vaisseau en vaisseau : enfin le ciel me fit la grâce de retrouver ma femme et deux de mes nègres. Elle me raconta qu’à la première secousse de notre maison, elle en était sortie, en ordonnant à tout notre monde de la suivre ; qu’à peine avait-elle été dans la rue, que le sable s’était soulevé ; qu’elle était tombée avec deux de nos nègres dans une ouverture de la terre, d’où l’eau, qui était survenue à l’instant, les avait retirés ; que pendant quelque temps ils avaient été le jouet des flots, et qu’enfin ils avaient saisi une poutre, à laquelle ils s’étaient tenus attachés jusqu’à ce que la chaloupe d’un vaisseau fût venue les prendre.

» On s’étonnera qu’après un événement de cette nature le premier soin d’un grand nombre de matelots fut de piller huit ou dix maisons qui restaient entières, quoique submergées jusqu’aux balcons ; mais tandis qu’ils exécutaient cette odieuse entreprise, un second tremblement de terre les fit périr tous. »

Plusieurs des vaisseaux qui se trouvaient dans le port furent mis en pièces, et d’autres furent coulés à fond. La frégate le Cygne, qui était en carène, fut poussée sur le sommet de maisons abîmées, où, ayant été arrêtée par les inégalités des toits, elle servit à sauver quelques centaines de malheureux. Un bruit lugubre, qui se fit entendre dans les montagnes, causa tant de frayeur à quantité de déserteurs nègres, qu’ils revinrent demander grâce à leurs maîtres. Ils rapportèrent que l’eau s’était ouvert des passages jusque dans ces hauteurs, et qu’en vingt ou trente endroits, ils l’avaient vue sortir avec une extrême violence. Toutes les salines furent inondées. Deux montagnes presque perpendiculaires, vers la moitié du chemin entre Spanish-Town et Port-Royal, se joignirent et fermèrent le passage aux eaux, qui s’en firent un autre au travers des bois et des savanes.

Comme on fut plusieurs jours sans pouvoir être informé de ce qui se passait à Spanish-Town, les restes des habitans de Port-Royal, persuadés que cette ville avait eu part comme eux à la colère du ciel, pensèrent à se retirer dans quelque autre partie de l’île. En effet, les secousses n’y avaient pas laissé une maison entière, non plus qu’à Passage-Fort et à Liguania. Il s’était fait, en divers endroits, de prodigieuses ouvertures, dont la plupart s’étaient refermées presque aussitôt. Le major Kelly assura qu’il en avait vu deux ou trois cents ; que dans les unes il était tombé quantité de personnes qui n’avaient pas reparu ; que dans d’autres l’eau, sortant à grands flots, avait rendu au jour plusieurs corps engloutis par la terre ; qu’il avait aperçu des hommes pris dans les fentes par le milieu du corps, et mortellement serrés ; d’autres, dont on ne voyait plus que la tête. Ces ouvertures étaient les moindres ; car, dans les plus grandes, des édifices entiers s’étaient abîmés ; et, de quelques-unes, des colonnes d’eau, de la grosseur d’une rivière, avaient jailli en l’air en répandant une très-mauvaise odeur. Ensuite la chaleur devint plus forte qu’elle n’avait jamais été dans l’île, et l’on fut tourmenté par des légions de maringouins. Le ciel, qui était serein avant le tremblement, parut tout d’un coup sombre et rougeâtre. On entendit des bruits prodigieux, non-seulement dans les montagnes, comme on l’apprit des déserteurs nègres, mais de toutes parts sous terre et dessus. Pendant que la nature était dans ces horribles convulsions, les habitans couraient au hasard, pâles et tremblans, comme autant de fantômes, dans l’idée que le monde entier était menacé de sa dissolution.

Le nord de l’île ne fut pas garanti par la fraîcheur de ses bois. Une grande partie des plantations y fut engloutie, habitans, arbres, biens et maisons, dans les mêmes abîmes. Une habitation de dix mille acres de terre disparut entièrement, et l’on ne vit à la place qu’un étang de la même étendue, dont les eaux ont séché depuis, mais où l’on n’a retrouvé aucune apparence de maison, d’arbres, et de tout ce qu’on y voyait auparavant. Dans le quartier de Clarendon, il s’ouvrit des abîmes et de vastes lacs à douze milles de la mer. Quoique la plupart se soient séchés ou fermés, il en reste encore des traces.

Personne n’eut assez de liberté d’esprit pour compter le nombre des secousses, comme on a vu qu’à force d’expériences les Péruviens en ont pris l’usage ; mais on assure qu’elles durèrent deux mois entiers ; et l’on observa qu’après la première les plus violentes furent dans les montagnes. Les Montagnes Bleues semblèrent les plus maltraitées ; car, pendant deux mois, on ne cessa point d’y voir et d’y entendre toutes les marques d’un effroyable désordre. Une autre, dans le voisinage d’Yellows, après s’être ouverte en divers endroits, écrasa une maison entière, et la plus grande partie d’une plantation qui en était éloignée d’un mille. Une autre, proche du port Morand, fut tout-à-fait engloutie ; et la place qu’elle occupait n’offre aujourd’hui qu’un grand lac, large de quatre ou cinq lieues.

On a vu des millions d’arbres flotter dans la mer, soit qu’ils y eussent été jetés par les vents, ou par les seules agitations de la terre. Deux officiers se trouvant ensemble à Legany sur le bord de la mer, pendant la première secousse, observèrent que la mer se retira subitement de la côte, et laissa le fond à sec dans l’espace de 200 ou 300 toises. Ils y virent quantité de poissons, qui n’avaient pu suivre le cours de l’eau, et dont ils eurent même le temps de prendre quelques-uns ; mais une ou deux minutes après, les flots revinrent, quoique avec moins de rapidité, et couvrirent une partie du rivage au delà de leurs bornes ordinaires.

« On fait monter à près de treize mille personnes le nombre de ceux qui périrent dans toutes les parties de l’île. Après la grande secousse, la plupart de ceux qui échappèrent à la ruine de Port-Royal prirent le parti de se retirer sur les vaisseaux qui se trouvaient dans le port ; et jusqu’à la fin des secousses, ils ne quittèrent point cette retraite, trop effrayés du spectacle qu’ils eurent devant les yeux pendant deux mois pour oser retourner au rivage. D’autres, se rendirent à Kingston, où, manquant de toutes les commodités de la vie, obligés de se loger dans des cabanes de branches d’arbres et de feuillages, sans y être à couvert de la pluie, qui fut plus abondante que jamais après le tremblement, ils périrent misérablement. Les vapeurs nuisibles qui étaient sorties de tant d’ouvertures répandirent aussi beaucoup de maladies, dont aucune partie de l’île ne fut exempte, et la perte qu’elles causèrent ne monta pas à moins de trois mille âmes. Celle des marchands, dans leur commerce, fut réellement inappréciable. Ils ne demandèrent aucun secours, parce qu’ils n’avaient eu rien à souffrir des ennemis de l’état ; mais l’assemblée générale, entrant dans leurs intérêts, remit aux plus pauvres, par un acte solennel, le paiement des droits pour les marchandises qui avaient été détruites par le tremblement de terre et l’inondation. »

Autrefois on cultivait beaucoup de cacao à la Jamaïque. Le bois d’acajou y est d’une beauté remarquable ; le myrte piment y pousse avec tant de vigueur, qu’on l’a nommé poivre de la Jamaïque. Les exportations consistent en sucre, rhum, mélasse, piment, café, coton, indigo. L’arbre à pain y a été transporté de Taïti. La population est de 30,000 blancs, 15,000 mulâtres et 315,000 nègres esclaves.

On ne doute point qu’il n’y ait des mines de cuivre à la Jamaïque ; et les Espagnols assurent que les cloches de la grande église de San-Iago en étaient sorties ; mais l’attention des Anglais ne s’est pas encore tournée à cette recherche. Ils ont donné plus de soins à celle des mines d’argent, sans avoir eu le bonheur de les découvrir ; cependant ils ont su par des témoignages certains qu’elles ont été ouvertes par les Espagnols. À l’égard de l’ambre gris, qui n’était pas rare autrefois sur les côtes de l’île, ils ne parlent que d’une masse de quatre-vingts livres, trouvée par un artisan dans un lieu qui en a pris le nom de Pointe d’Ambre gris, où l’on sait que les Espagnols allaient deux fois l’an pour en chercher.

L’île a des sources chaudes dans les montagnes près de Spanish-Town, et d’autres eaux minérales.