« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions

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Le notaire salua, serra la main que lui tendait le général et sortit pour fumer en se promenant avec quelques amis avant de prendre possession des chambres qui leur avaient été préparées.
 
{{TextQuality|100%}}==XXII. La noce.==
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Le général était allé surveiller les apprêts du festin pour le lendemain et tous les préparatifs de la fête qui devait se terminer par un bal et un feu d’artifice. À la nuit tombante il alla se coucher ; la journée avait été fatigante, il ronfla dix heures de suite sans bouger.
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On se réunit à sept heures pour déjeuner ; le bonheur était sur tous les visages.
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Encore un remerciement à vous adresser, mon général ; nous avons trouvé dans nos chambres nos toilettes pour ce matin.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Trouvez-vous les vôtres à votre goût, Mesdames ?
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Charmantes, superbes, et cent fois au-dessus de ce que nous nous serions donné si nous avions eu à les acheter, mon bon général.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Je voudrais voir tout cela sur vous, ma petite Elfy, et je veux voir aussi votre sœur en grande toilette.
 
Les deux sœurs se retirèrent avec les enfants, qui ne se possédaient pas de joie de mettre les beaux habits, les brodequins vernis, les chemises à manches à boutons, préparés pour eux.
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Jacques et Paul tinrent le poêle sur la tête du jeune couple ; ils étaient, après Moutier et Elfy, les plus heureux de toute l’assemblée, car aucun souci, aucune inquiétude, aucun souvenir pénible ne se mêlaient à leur joie. Mme Blidot les contemplait avec amour et orgueil. Mais subitement son visage s’assombrit en jetant un coup d’œil sympathique sur Dérigny : la tristesse de son regard lui révéla les inquiétudes qui l’assiégeaient, et à elle aussi la séparation d’avec les enfants lui apparut terrible et prochaine. Elle essaya de chasser cette cruelle pensée et se promit d’éclaircir la question avec Dérigny à la plus prochaine occasion.
 
La cérémonie était terminée ; Elfy était la femme de Moutier qui la reçut à la sacristie des mains du général. Ils avaient tous les deux l’air radieux. Moutier emmena sa femme, et, suivant la recommandation du général, la mena dans la maison du ''Général reconnaissant'', où devaient se réunir les invités. Toute la noce suivit les mariés, le général toujours en tête, mais cette fois menant Mme Blidot au lieu d’Elfy.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — À quand votre noce, ma petite femme ?
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — La mienne ? Oh ! général, jamais ! Vous pouvez m’en croire. J’ai eu assez de la première.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Comme vous dites ça, ma pauvre petite femme ! Vous avez l’air d’un enterrement.
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Oh ! général ! c’est que j’ai la mort dans l’âme !
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Un jour comme celui-ci ? par exemple !
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Général, vous savez que Jacques et Paul sont ma plus chère, ma plus vive affection. Voici leur père revenu ; me les laissera-t-il ? consentira-t-il jamais à s’en séparer ?
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Pour dire vrai, je ne le crois pas, ma bonne amie. Mais, que diantre ! nous n’y sommes pas encore ! Et puis je suis là, moi. Ayez donc confiance dans le vieux général. Voyez la noce, le contrat, le dîner et tout ; vous étiez d’une inquiétude, d’une agitation ! Eh bien, qu’en dites-vous ? Ai-je bien mené l’affaire ? A-t-on manqué de quelque chose ? De même pour les enfants, je vous dis : Soyez tranquille ; il dépendra de vous de les garder toujours, avec l’autorité d’une mère.
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Oh ! si cela ne dépendait que de moi, ce serait fait !
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Bon ! souvenez-vous de ce que vous venez de dire. Je vous le rappellerai en temps et lieu, et vous aurez vos enfants. Nous voici arrivés ; plus de tristesse ; ne songeons qu’à nous réjouir ; sans oublier de boire et de manger.
 
Le général quitta Mme Blidot pour jeter un coup d’œil sur le dîner. Tout était prêt ; il fut content de l’aspect général et revint près d’Elfy pour l’avertir qu’on allait servir. La porte du fond s’ouvrit, et un maître d’hôtel, en grande tenue parisienne, annonça :
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— De la viande ? reprit le général indigné ; où vois-tu de la viande, mon garçon ? »
 
JACQUES{{sc|Jacques}}. — Voilà, général ! dans ce plat. Ce sont les poulets de tante Elfy.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}, ''indigné''. — Ma bonne madame Blidot, de grâce, expliquez à ces enfants que ce sont des poulardes du Mans, les plus fines et les plus délicates qui se puissent manger !
 
ELFY{{sc|Elfy}}, ''riant''. — Croyez-vous, général, que mes poulets ne soient pas fins et délicats ?
 
— Vos poulets ! vos poulets ! reprit le général contenant son indignation. Mon enfant, mais ces bêtes que vous mangez sont des poulardes perdues de graisse, la chair en est succulente…
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Et mes poulets ?
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Que diantre ! vos poulets sont des bêtes sèches, noires, misérables, qui ne ressemblent en rien à ces grasses et admirables volailles.
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Pardon, mon bon général ; ce que j’en dis, c’est pour excuser les petits, là-bas, qui ne comprennent rien au dîner splendide que vous nous faites manger.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Bien, mon enfant ! ne perdons pas notre temps à parler, ne troublons pas notre digestion à discuter, mangeons et buvons.
 
Le général en était à son dixième verre de vin ; on avait déjà servi du madère, du bordeaux-Laffite, du bourgogne, du vin du Rhin : le tout première qualité. On commençait à s’animer, à ne plus manger avec le même acharnement.
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Chacun goûta, chacun mangea, et chacun en redemanda. Le tour des légumes arriva enfin ; on était à table depuis deux heures. Les enfants de la noce, avec Jacques et Paul en tête, eurent la permission de sortir de table et d’aller jouer dehors ; on devait les ramener pour les sucreries. Après les asperges, les petits pois, les haricots verts, les artichauts farcis, vinrent les crèmes fouettées, non fouettées, glacées, prises, tournées. Puis les pâtisseries, babas, mont-blanc, saint-honoré, talmouses, croquembouches, achevèrent le triomphe du moderne Vatel et celui du général. Les enfants étaient revenus chercher leur part de friandises et ils ne quittèrent la place que lorsqu’on eut bu aux santés du général, des mariés, de Mme Blidot, avec un champagne exquis, car la plupart des invités quittèrent la table en chancelant et furent obligés de laisser passer l’effet du champagne dans les fauteuils où ils dormirent jusqu’au soir.
 
À la fin du dîner, après les glaces de diverses espèces, les ananas, les fruits de toutes saisons, les bonbons et autres friandises., Elfy proposa de boire à la santé de l’artiste auteur du dîner merveilleux dont on venait de se régaler. Le général reçut cette proposition avec une reconnaissance sans égale. Il vit qu’Elfy savait apprécier une bonne cuisine, et, dans sa joie, il la proclama la perle des femmes. On but cette santé devant le héros artiste, que le général fit venir pour le complimenter, qui se rengorgea, qui remercia et qui se retira récompensé de ses fatigues et de ses ennuis.
 
La journée s’avançait ; le général demanda si l’on n’aimerait pas à la finir par un bal. On accepta avec empressement ; mais où trouver un violon ?
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« Que cela ne vous inquiète pas ! ne suis-je pas là, moi ? Allons danser sur le pré d’Elfy ; nous trouverons bien une petite musique ; il n’en faut pas tant pour danser ; le premier crincrin fera notre affaire. »
 
La noce se dirigea vers
La noce se dirigea vers l’Angel’''Ange-Gardien'' qu’on trouva décoré comme la veille. On passa dans le jardin. Sur le pré étaient dressées deux grandes tentes, l’une pour danser, l’autre pour manger ; un buffet entourait de trois côtés cette dernière et devait, jusqu’au lendemain, se trouver couvert de viandes froides, de poissons, de pâtisseries, de crèmes, de gelées ; la tente de bal était ouverte d’un côté et garnie des trois autres de candélabres, de fleurs et de banquettes de velours rouge à franges d’or. Au fond, sur une estrade, était un orchestre composé de six musiciens, qui commencèrent une contredanse dès que le général eut fait son entrée avec la mariée.
 
Les enfants, les jeunes, les vieux, tout le monde dansa ; le général ouvrit le bal avec Elfy, valsa avec Mme Blidot, dansa, valsa toute la soirée, presque toute la nuit comme un vrai sous-lieutenant ; il suait à grosses gouttes, mais la gaieté générale l’avait gagné et il accomplissait les exploits d’un jeune homme. Elfy et Moutier dansèrent à s’exténuer ; tout le monde en fit autant, en entrecoupant les danses de visites aux buffets ; on eut fort à faire pour satisfaire l’appétit des danseurs. À dix heures, il y eut un quart d’heure de relâche pour voir tirer un feu d’artifice qui redoubla l’admiration des invités. Jamais à Loumigny on n’avait tiré que des pétards. Aussi le souvenir de la noce de Moutier à l’Angel’''Ange-Gardien'' y est-il aussi vivant qu’au lendemain de cette fête si complète et si splendide. Mais tout a une fin, et la fatigue fit sonner la retraite à une heure avancée de la nuit. Chacun alla enfin se coucher, heureux, joyeux, éreinté.
 
Jacques et Paul dormirent le lendemain jusqu’au soir, soupèrent et se recouchèrent encore jusqu’au lendemain. Il y eut plusieurs indigestions à la suite de ce festin de Balthazar ; l’habitué de Paris manqua en mourir, le notaire fut pendant trois jours hors d’état de faire le moindre acte.