« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions
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Le général comprima avec peine le rire qui le gagnait. Il remercia les braves gens des bons renseignements qu’ils lui avaient donnés, continua sa promenade et revint lestement à l’auberge par les derrières sans être vu de personne. Il entra, regarda et approuva tout, encouragea par des généreux pourboires les gens qui préparaient diverses choses à l’intérieur, et s’esquiva sans avoir été aperçu des habitants de Loumigny.
{{TextQuality|100%}}==XXI. Le contrat. Générosité inattendue.==
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Le lendemain était le jour du contrat. Chacun était inquiet à
Le général se leva et annonça qu’il était temps de s’habiller. Chacun passa dans sa chambre, et de tous côtés on entendit partir des cris de surprise et de joie. Elfy et Mme Blidot avaient des robes de soie changeante, simples, mais charmantes ; des châles légers en soie brodée, des bonnets de belle dentelle. Les rubans d’Elfy étaient bleu de ciel ; ceux de sa sœur étaient verts et cerise. Les cols, les manches, les chaussures, les gants, les mouchoirs, rien n’y manquait. Moutier avait trouvé un costume bourgeois complet ; Dérigny de même ; Jacques et Paul, de charmantes jaquettes en drap soutaché, avec le reste de l’habillement. Ils n’oublièrent pas leurs montres ; chacun avait la sienne.
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Les toilettes furent rapidement terminées, tant on était pressé de se faire voir. Quand ils furent tous réunis dans la salle, le général ouvrit majestueusement sa porte ; à l’instant il fut entouré et remercié avec une vivacité qui le combla de joie.
— Bon ! cher général ! s’écria-t-on de tous côtés.
Le général sortit le premier ; il était en petite tenue d’uniforme avec une seule plaque sur la poitrine. Il se dirigea vers l’auberge Bournier, suivi de tous les habitants de
« Suivez, criait le général, je vous invite tous ! Suivez-nous, mes amis. »
Chacun s’empressa d’accepter l’invitation, et on arriva en grand nombre à l’auberge Bournier. Au moment où ils furent en face de la porte, la toile de l’enseigne fut tirée et la foule enchantée put voir un tableau représentant le général en pied ; il était en grand uniforme, couvert de décorations et de plaques. Au-dessus de la porte était écrit en grosses lettres d’or : ''Au Général reconnaissant''.
La peinture n’en était pas de première qualité, mais la ressemblance était parfaite, et la vivacité des couleurs en augmentait la beauté aux yeux de la multitude. Pendant quelques instants on n’entendit que des bravos et des battements de mains. Au même instant le curé parut sur le perron ; il fit signe qu’il voulait parler. Chacun fit silence.
« Mes amis, dit-il, mes enfants, le général a acheté l’auberge dans laquelle il aurait péri victime des misérables assassins sans le courage de M. Moutier et de vous tous qui êtes accourus à l’appel de notre brave sergent. Il a voulu témoigner sa reconnaissance à la famille qui devient celle de Moutier, en faisant l’acquisition de cette auberge pour répandre ses bienfaits dans notre pays ; bien plus, mes enfants, il a daigné consacrer la somme énorme de cent cinquante mille francs pour réparer et embellir notre pauvre église, pour fonder une maison de Sœurs de charité, un hospice, une salle d’asile et des secours aux malades et infirmes de la commune. Voilà, mes enfants, ce que nous devrons à la générosité du
''Général reconnaissant''. Que cette enseigne rappelle à jamais ses bienfaits. Les cris, les vivats redoublèrent. On entoura le général, on voulut le porter jusqu’en dedans de la maison. Il s’y opposa d’abord avec calme et dignité, puis la rougeur aux joues, avec quelques jurons à mi-voix et des mouvements de bras, de jambes et d’épaules un peu trop prononcés, puis enfin par des évolutions si violentes que chacun se recula et lui laissa le passage libre.
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On monta le perron, on entra dans la salle ; Elfy et Moutier se trouvèrent en face d’une foule compacte : le notaire, les parents, les amis, les voisins, tous avaient été invités et remplissaient la salle, agrandie, embellie, peinte et meublée. Des sièges étaient préparés en nombre suffisant pour tous les invités. Le général fit asseoir Elfy entre lui et Moutier, Mme Blidot à sa gauche, puis Dérigny et les enfants ; le notaire se trouvait en face avec une table devant lui. Quand tout le monde fut placé, le notaire commença la lecture du contrat. Lorsqu’on en fut à la fortune des époux, le notaire lut :
« La future se constitue en dot les prés, bois et dépendances attenant à la maison dite
Elfy poussa un cri de surprise, sauta de dessus sa chaise et se jeta presque à genoux devant le général qui se leva, la prit dans ses bras et, lui baisant le front :
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— De tout mon cœur, mon enfant… Et, à présent, continuons notre contrat. »
Le notaire en acheva la lecture ; une seule clause, qui fit rougir Mme Blidot, parut se ressentir de la bizarrerie du général. Il était dit : « Dans le cas où Mme Blidot viendrait à se remarier, sa part de propriété de
''Au Général reconnaissant'', que le général comte Dourakine lui céderait en toute propriété, mais à la condition que Mme Blidot épouserait l’homme indiqué par le général comte Dourakine et qu’il se réserve de lui faire connaître. » Le notaire ne put s’empêcher de sourire en voyant l’étonnement que causait cette clause du contrat, qu’il avait cherché vainement à faire supprimer. Le général y tenait particulièrement ; il n’avait pas voulu en démordre. Mme Blidot rougit, s’étonna et puis se mit à rire en disant :
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Mme Blidot ne fut nullement effrayée de cette annonce du général, quoique rien ne lui parût arrangé pour un repas quelconque ; mais elle commençait à compter sur cette espèce de féerie qui faisait tout arriver à point.
Elfy signa, puis Moutier, puis le général, puis Mme Blidot, le curé, Jacques, Paul, Dérigny et la foule. Quand chacun eut apposé son nom ou sa croix au bas du contrat, le général proposa de retourner dîner à
« Général, dit-elle d’un air suppliant, si nous dînions ici ? C’est si joli ! »
Le général descendit le perron, entraînant Mme Blidot, suivi d’Elfy qui donnait le bras à Moutier, et du reste de la société. Jacques et Paul couraient en éclaireurs ; ils arrivèrent les premiers à
« Défense de se donner d’indigestion aujourd’hui, criait le général ; on doit se ménager pour demain : ce sera bien autre chose.
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— Qu’y aura-t-il demain ? » demanda un convive.
— Ah oui ! comme à Paris, quand on va chez Véry, dit un des convives qui avait la prétention d’avoir de l’instruction et de connaître Paris, parce qu’il y avait passé une fois trois jours comme témoin dans une affaire criminelle.
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— Tout juste ! c’est ça, dit le général en se tordant de rire. Je vois, M’sieur, que vous connaissez Paris.
Le général riait de plus en plus, buvait de plus en plus. On était à table depuis deux heures. Elfy proposa au général une promenade dans son nouveau domaine.
— Fini à la majorité, mon général, répondit Moutier, fatigué de boire et de manger.
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Jacques et Paul la suivirent dans sa course, et furent bientôt hors de vue.
Le général, enchanté, se frottait les mains, allait et venait en sautillant malgré ses grosses jambes, son gros ventre et ses larges épaules. De temps à autre, on voyait apparaître dans le pré, dans le bois, Elfy et les enfants ; Moutier l’avait rejointe en deux enjambées et jouissait du bonheur d’Elfy avec toute la vivacité de son affection. Bientôt le bois et la prairie offrirent le spectacle le plus animé ; les jeunes couraient, criaient, riaient ; les gens sages se promenaient, admiraient et se réjouissaient du bonheur d’Elfy d’avoir rencontré dans sa vie un général Dourakine. Elfy et sa sœur étaient si généralement aimées que leur heureuse chance ne donnait de jalousie à personne, et occasionnait, au contraire, une satisfaction générale.
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« Vous devez être bien heureux, lui dit-il en souriant amicalement, de tout le bonheur que vous avez causé ; vous êtes véritablement une Providence pour ces excellentes sœurs, pour votre brave Moutier et pour toute notre commune. Jamais on n’y perdra votre souvenir, général, et, quant à moi, je prierai pour vous tous les jours de ma vie. »
l’''Ange-Gardien'' ; un homme dans une auberge est toujours plus maître que des femmes. Et puis viendront les enfants ; Jacques et Paul pourraient en souffrir, Mme Blidot, qui les aime si tendrement, les protégera ; et puis viendra le désaccord, et, par suite, les chagrins pour cette pauvre femme isolée. Attendez, vous ne savez pas ce que je vais vous dire… J’emmènerai ses enfants ; voilà déjà qu’ils restent avec leur père et qu’ils sont à l’abri de ce que je redoute pour eux. Pour prix du sacrifice que me fera le père, j’achète, avec votre aide, et je lui donne les terres qui entourent mon auberge
''Au général reconnaissant''. D’ici là, je le décide à réunir ses enfants à maman Blidot dont il fera sa femme et la vraie mère de ses enfants ; je donne au ménage l’auberge et les terres. Et, après une absence d’un an, je viens mourir en France, chez vous, car, entre nous, je ne crois pas en avoir pour longtemps ; d’ici à trois ans je serai couché dans votre cimetière, après être mort entre vos bras. Et voilà où j’ai besoin de votre aide : c’est à disposer maman Blidot à devenir Mme Dérigny. Vous lui ferez savoir en gros tout ce que je viens de vous dire. La conversation fut interrompue par Elfy, Moutier et les enfants qui revenaient près du général ; Elfy avait des larmes dans les yeux.
Elfy saisit une de ses mains et la lui baisa à plusieurs reprises.
Moutier saisit son autre main, et, la serrant à la briser, y posa ses lèvres.
Moutier sourit ; les larmes d’Elfy firent place à un rire joyeux, et l’attendrissement du général se dissipa comme par enchantement.
Elfy baisa la main du général en signe de soumission et alla avec Moutier exécuter ses ordres. Bientôt la foule défila devant lui, et à chacun il disait :
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« À demain, à la mairie. »
Il rappela au notaire qu’il couchait à l’auberge du
''Général reconnaissant''. « Votre chambre est prête, mon cher, ainsi que quelques autres pour les invités éloignés. »
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