« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions

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Tout le monde se met à rire, même les enfants ; le général rit aussi et déclare qu’à l’avenir il appellera Mme Blidot « ma petite femme ». Après avoir causé et ri pendant quelque temps, le général va se coucher parce qu’il est fatigué ; Dérigny, après avoir terminé son service près du général, va avec ses enfants, dans leur chambre, les aider à se déshabiller, à se coucher, après avoir fait avec eux une fervente prière d’actions de grâces. Il ne peut se décider à les quitter ; et quand ils sont endormis, il les regarde avec un bonheur toujours plus vif, effleure légèrement de ses lèvres leurs joues, leur front et leurs mains ; enfin la fatigue et le sommeil l’emportent, et il s’endort sur sa chaise entre les deux lits de ses enfants. Il dort d’un sommeil si paisible et si profond qu’il ne se réveille que lorsque Moutier, inquiet de sa longue absence, va le chercher et l’emmène de force pour le faire coucher dans le lit qui lui avait été préparé. Il était tard pourtant : minuit venait de sonner à l’horloge de la salle ; mais Moutier n’avait pas encore eu le temps de causer avec Elfy et sa sœur ; ils avaient mille choses à se raconter, et les heures s’écoulaient trop vite. Enfin Mme Blidot sentit que le sommeil la gagnait ; l’horloge sonna, Moutier se leva, engagea les sœurs à aller se coucher et alla à la recherche de Dérigny, qu’il ne trouvait pas dans sa chambre près du général. Il réfléchit encore quelque temps avant de s’endormir lui-même ; ses pensées étaient imprégnées de bonheur et ses rêves se ressentirent de cette douce inspiration.
 
{{TextQuality|100%}}==XIX. Mystères.==
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Le lendemain, le notaire, que le général avait mandé la veille par un exprès pour une affaire importante, arriva de bonne heure. Le général s’enferma avec lui pendant longtemps ; ils sortirent de cette conférence satisfaits tous les deux et riant à qui mieux mieux. Le général ne dit mot à personne de ce qui s’était passé entre eux, et, quand le notaire partit, il mit le doigt sur sa bouche pour lui recommander le silence, et lui fit promettre de revenir bien exactement pour le contrat de mariage d’Elfy, la veille de la noce :
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« C’est dommage, répéta le général. Quel joli petit bien cela vous ferait ! Et, si un étranger l’achète, il peut bâtir au bout de votre jardin, vous empêcher d’avoir de l’eau à la rivière, vous ennuyer de mille manières. N’est-ce pas vrai ce que je dis, Moutier ? »
 
MOUTIER{{sc|Moutier}}. — Très vrai, mon général ; aussi je ne dis pas que n’ayons fort envie d’en faire l’acquisition. Et, si Elfy y consent, les vingt mille francs que je tiens de votre bonté, mon général, pourront servir à en payer une grande partie ; mais nous attendrons que le bien soit à vendre.
 
Le général sourit malicieusement ; il avait tout prévu, tout arrangé. Le notaire avait ordre de répondre, en cas de demande, que le tout était vendu. À partir de ce jour, le général prit des allures mystérieuses qui surprirent beaucoup Moutier, Dérigny et les deux sœurs. Il envoya à Domfront louer un cabriolet attelé d’un cheval vigoureux ; il y montait tous les jours après déjeuner et ne revenait que le soir. Habituellement il partait seul avec le conducteur ; quelquefois il emmenait avec lui le curé.
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Un autre motif de surprise pour le village, c’est que, peu de jours après la visite du notaire, une foule d’ouvriers de Domfront vinrent s’établir à l’auberge Bournier ; ils travaillèrent avec une telle ardeur qu’en huit jours ils y firent un changement complet. Le devant était uni, sablé et bordé d’un trottoir ; un joli perron en pierre remplaçait les marches en briques demi-brisées qui s’y trouvaient jadis. Les croisées à petits carreaux sombres et sales furent remplacées par de belles croisées à grands carreaux. Toute la maison fut réparée et repeinte ; la cour, agrandie et nettoyée ; les écuries, la porcherie, le bûcher, la buanderie, les caves, les greniers aérés et arrangés. Des voitures de meubles et objets nécessaires à une auberge arrivaient tous les soirs ; mais personne ne voyait ce qu’elles contenaient, car on attendait la nuit pour les décharger et tout mettre en place. De jour, les ouvriers défendaient les approches de la maison.
 
Il en était de même dans les prés et les bois qui bordaient la propriété de l’Angel’''Ange-Gardien''. Une multitude d’ouvriers y traçaient des chemins, y établissaient des bancs, y mettaient des corbeilles de fleurs, jetaient des ponts sur la rivière, en régularisaient les bords ; ils construisirent en vue de l’Angel’''Ange-Gardien'' un petit embarcadère couvert, auquel on attacha par une chaîne un joli bateau de promenade. Chaque jour donnait un nouveau charme à ce petit bien convoité par Elfy et Moutier, et chaque jour augmentait leur désappointement. Il était évident que ce bien avait été acheté récemment ; le nouveau propriétaire voudrait probablement bâtir une habitation pour jouir des travaux qui rendaient l’emplacement si joli.
 
« Chère Elfy, disait Moutier, ne désirons pas plus que nous n’avons ; ne sommes-nous pas très heureux avec ce que nous a déjà donné le bon Dieu ? D’ailleurs, pour moi, le bonheur en ce monde, c’est vous ; le reste est peu de chose. Il ne sert qu’à embellir mon bonheur, comme une jolie toilette vous embellira le jour de notre mariage. »
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Vous avez raison, mon ami ; aussi donnerais-je tous les prés et tous les bois du monde pour vous conserver près de moi. Je trouve seulement contrariant de n’avoir pu acheter tout cela et de nous en voir privés pour toujours, faute d’y avoir pensé plus tôt.
 
— C’est tout juste ce que je pensais, mes pauvres amis, dit le général d’une voix douce… (Il rentrait par le jardin après avoir examiné les travaux qui marchaient avec une rapidité extraordinaire.) Il n’y aurait que la haie de votre petit jardin à ouvrir, et vous auriez là une propriété ravissante.
 
MOUTIER{{sc|Moutier}}. — Pardon, mon général, si je vous faisais observer qu’il serait mieux de ne pas augmenter les regrets de ma pauvre Elfy ; elle est bien jeune encore et il est facile d’exciter son imagination.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Bah ! Bah ! Ne disait-elle pas, il y a un instant, que vous lui teniez lieu de tous les bois et de tous les prés ? Vous êtes pour elle l’ombre des bois, la fraîcheur des rivières, le soleil des prés. Ha ! ha ! ha ! Un peu de sentiment, voyons donc ! Au lieu de prendre des airs d’archanges, vous me regardez tous deux avec un air presque méchant. Ha ! ha ! ha ! Moutier est furieux que je ne fasse pas des jérémiades avec son Elfy, et Elfy est furieuse que je me moque de ses soupirs et de ses regrets pour les prés et les bois. Au revoir, mes amis, j’ai une course à faire.
 
Quand il fut parti :
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« Joseph, dit Elfy à Moutier (qui mordait sa moustache pour contenir l’humeur que lui causait le général), Joseph, le général est insupportable depuis quelques jours ; je serais enchantée de le voir partir.
 
MOUTIER{{sc|Moutier}}. — Ma pauvre Elfy, il est bon, mais taquin. Qu’y faire ? C’est sa nature ; il faut la supporter et ne pas oublier le bien qu’il nous a fait. Sans lui, je n’aurais jamais osé demander votre main.
 
ELFY{{sc|Elfy}}. — Mais moi, je vous l’aurais donnée, mon ami ; j’y étais bien décidée lors de votre seconde visite.
 
MOUTIER{{sc|Moutier}}. — Ce qui n’empêche pas que c’est, après vous, au général que je la dois, et un bienfait de ce genre fait pardonner bien des imperfections.
 
==XX. Le contrat.==