« Contre l’antisémitisme » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Marc (discussion | contributions)
notes
Marc (discussion | contributions)
→‎PRÉFACE : - Typo
Ligne 10 :
== PRÉFACE ==
 
Il m'a paru bon de réunir les articles que j'ai publiés dans le ''Voltaire'' sur l'antisémitisme et sur celui qui en prétend être le chef. J'ai rappelé en même temps les circonstances qui ont provoqué la polémique dont on connaît l'issue. En lisant cela, on verra comment un Juif a entendu la discussion, et comment un ''Français de France,'' catholique, a su y répondre. L'opinion publique jugera. Elle dira de quel côté a été la courtoisie, l'urbanité, le respect de soi-même, la logique et la raison. Si toutefois on trouve légitime que les injures soient la seule réplique à des arguments, je ne m'inclinerai pas devant un tel verdict. Je protesterai toujours contre des mœurs, qui tendent à rendre impossibles, entre adversaires, tous rapports, autres que des rapports brutaux, et contre des procédés que je n'estime dignes ni de penseurs, ni d'écrivains.
 
Je pourrais me borner à ces déclarations préliminaires et les considérer comme une suffisante préface aux articles dont je viens de parler, mais le titre que j'ai donné à cette brochure me fait un devoir d'exposer d'une façon plus précise ma pensée sur l'antisémitisme.
 
Je l'ai dit, M. Drumont n'est pas tout l'antisémitisme. Quelques uns considèrent qu'il en a écrit l'évangile, mettons donc qu'il soit le MarcouMarc ou le Luc, mais il n'en est pas la cause, il en est « un écho et peut-être un instrument ». Le combattre personnellement est insuffisant, d'autant plus insuffisant que cet homme à courte vue ignore les vraies raisons et les mobiles réels du mouvement qu'il prétend représenter. Pour moi, la personnalité de l'apôtre antisémite n'a pas l'importance qu'il s'attribue lui-même et que les autres lui accordent. Il disparaîtrait demain que l'antisémitisme ne disparaîtrait pas avec lui. Les multiples ''Croix,'' les nombreux journaux catholiques continueraient leur œuvre, œuvre qu'on n'a ni assez vue, ni assez appréciée, et ils exerceraient encore leur action, action plus puissante, plus sûre, plus efficace, plus étendue, plus sournoise, que l'action de la ''Libre Parole'' qui bataille plus franchement, comme doit batailler l'enfant terrible du parti catholique.
 
On ne saurait trop le dire, on ne saurait trop le répéter, l'histoire de l'antisémitisme en France, n'est qu'un coin de l'histoire du parti clérical. AÀ cette affirmation on répondra que ceux qui attaquent les Juifs ne se placent pas sur le terrain confessionnel mais sur le terrain économique. Je n'en disconviens pas, je n'en maintiens pas moins mon affirmation et, pour l'expliquer, j'ajoute que le cléricalisme a su exploiter avec une habileté remarquable les intérêts économiques d'une catégorie d'individus.
Les causes de l'antisémitisme sont multiples. Évidemment, à la base, il faut mettre la raison permanente et séculaire, l'antique, l'indéracinable préjugé, la vieille haine plus ou moins avouée, contre la nation déicide, chassée de la terre de ses aïeux, poussée de l'orient à l'occident, du midi au septentrion, la nation qui, pendant des siècles, fut, comme au soir de la sortie d'Égypte, les reins ceints de la corde, la main armée du bâton, prête à fuir par les routes inhospitalières à la recherche d'un sol ami, d'un abri accueillant, d'une pierre où pouvoir poser sa tête. C'est là le mobile qui a supporté les autres, c'est là le sentiment constant qui a permis à d'autres sentiments de s'éveiller, de se développer, de grandir. Sur ce fonds stable qui existera tant qu'il y aura des Juifs, ou tout au moins tant qu'il y aura des chrétiens, on a bâti et, selon les siècles, selon les pays, selon les mœurs, on a bâti d'une façon différente, je veux dire qu'on a justifié autrement la guerre aux Juifs. De même, selon les mœurs, selon les pays, selon les siècles, les causes efficientes de l'antisémitisme ont varié.
 
En France où, depuis 1789 jusqu'à ces dernières années, l'antisémitisme avait été sporadique, opinion scripturaire sans écho, sans contre-coup, sans action, il a fallu deux choses pour faire renaître les animosités d'autrefois. D'abord, et c'est là une raison grave et profonde, le triomphe de l'état laïque sur l'état chrétien. L'Église a rendu les juifs et les hérétiques responsables de sa défaite, elle s'est retournée contre eux, et elle a commencé par attaquer Israël ; maintenant plus aguerrie, rendue audacieuse par l'inaction même de ses adversaires, elle ose plus et c'est contre le franc-maçon, contre le libre-penseur, contre le protestant qu'elle se dresse. La démocratie a laissé grandir l'antisémitisme sans protester contre lui. Au contraire, par dilettantisme, par snobisme, ou bien par lâcheté, elle a laissé faire. Demain, peut-être, elle comprendra le danger, elle verra le filet dont elle s'est laissée entourer. Il sera trop tard et c'est par des années de réaction cléricale qu'elle paiera son inertie et son aveuglement.
 
Venons maintenant à la cause occasionnelle de l'antisémitisme, celle qui a déterminé le choc. C'est le krach de l’''Union générale.'' La défaite de l'l’''Union générale'' a été la défaite du capital et de la spéculation catholique. On a rendu la finance juive responsable de ce résultat et la campagne antijuive a été inaugurée en guise de représailles. Le capital catholique s'est rué à l'assaut du capital israélite et l'histoire de cette période sera, pour l'historien futur, intéressante comme un épisode de la lutte entre capitalistes, et même de la lutte entre deux formes de capital.
 
L'antisémitisme s'est donc manifesté tout d'abord sous la forme d'une guerre contre la finance cosmopolite et, pendant longtemps, ses champions et ses théoriciens ont affecté de rester sur ce terrain. Ils prétendent, aujourd'hui encore, s'y tenir et feignent d'être exclusivement les ennemis de l'agiotage et des manieurs d'argent.