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* [[Essai sur les Comores - 3|Chapitre III]]
* [[Essai sur les Comores - 4|Chapitre IV]]
 
 
==INTRODUCTION==
§ 1
 
Premières expéditions maritimes à la côte orientale d'Afrique. – Sésostris. – Ramsès Meïamoun. – Moeris. – Commerce des Arabes, des Chaldéens, des Assyriens. – Les Phéniciens. – David et Hiram. – Voyages à Ophir et Tharsis. – Recherches sur la position d'Ophir et de Tharsis. – Commerce maritime des Juifs, des Tyriens et des Egyptiens.
 
Les géographes grecs, latins et arabes, sont tellement obscurs dans leurs descriptions des îles de la mer Erythrée (1) ou de la mer des Indes, qu'il est difficile de savoir si, avant les temps modernes, les peuples civilisés ont connu Madagascar et les îles du canal de Mozambique. Il ne faut, sur ce point, s'attendre à trouver dans leurs ouvrages que des notions générales sur la navigation des anciens le long de la côte orientale d'Afrique, et quelques vagues indications des îles voisines. Ce n'est qu'en rapprochant ces renseignements des observations et des traditions locales, qu'il est possible d'entrevoir la provenance des peuplades noires, jaunes et blanches, dont le mélange a formé la population de Madagascar et des Comores, et l'époque de leur arrivée dans ces îles.
Sans parler des expéditions fabuleuses de Bacchus, d'Osiris et de Sémiramis (2), la plus ancienne expédition maritime à la côte d'Ethiopie, dont l'histoire fasse mention, est celle d'Ouserteseu, prince égyptien de la 12ème dynastie, que les Grecs ont appelé sésostris (3). Il fut le premier roi d'Egypte qui fit construire des vaisseaux longs. Avec une flotte de trois cents de ces vaisseaux, il conquit les îles de la mer Rouge, une partie de l'Ethiopie, et franchit le détroit de Bab-el-Mandeb ; mais il ne paraît pas s'être avancé, du côté de l'Afrique, beaucoup au-delà du Cap Gardafui. Ramsès Meïamoun, prince de la 19ème dynastie, fit une semblable expédition, environ 1700 ans av. J.-C.. On voit les flottes de Ramsès (4) représentées sur les murs de Karnak et du palais de Medinet-Abou qu'il fit construire. Moeris, avec une flotte de vaisseaux longs, subjugua tous les peuples riverains de la mer Erythrée ; il fit voile encore plus loin, dit Hérodote, jusqu'à une mer qui n'était plus navigable à cause des bas-fonds (5).
Ces expéditions furent purement militaires. On ne peut faire que des conjectures sur l'établissement des premières relations commerciales avec la côte d'Afrique ; il est probable que cette côte fut d'abord explorée par les Sémites de l'Arabie qui n'en étaient éloignés que de quelques lieues ; peut-être aussi par les Chaldéens, navibus suis gloriantes, dit Isaïe (6), Les Babyloniens et les Assyriens ; tous ces peuples ont entretenu avec l'Inde, dès la plus haute antiquité, un commerce maritime fort actif. Quelques bas-reliefs des ruines de Ninive représentent des bateaux assyriens et, au-dessous, des monstres marins ; ces bateaux sont exactement semblables à ceux représentés sur les monuments égyptiens.
Enfin les phéniciens (8), qui, près de 1800 ans avant notre ère, vinrent s'établir sur les bords de la Méditerranée et apprirent aux Grecs l'art de la navigation, habitaient alors les rives de la mer Erythrée, à l'entrée du golfe Persique. L'histoire est muette sur leurs voyages dans cette mer avant leur émigration, mais on sait qu'à peine installés dans la Phénicie, ils parcoururent dans tous les sens la Méditerranée, franchirent le détroit de Gadès et explorèrent les côtes de l'Océan jusqu'aux îles Britanniques ; navigation au moins aussi dangereuse et difficile que celle de la mer des Indes. Il est donc permis de penser que, lorsqu'ils conduisirent les envoyés de David et de Salomon, à la recherche de l'or, sur les rives les plus lointaines de la côte orientale d'Afrique, ils ne firent que retourner aux lieux qu'avaient déjà visités leurs pères.
David, par la conquête de l'Idumée (9), se trouva en possession des ports d'Elath et d'Esiongaber, situés sur la mer Rouge, au fond du golfe Elanitique. Il permit à Hiram, roi de Tyr, son ami et son allié, de fonder à Elath un établissement maritime ; lui-même y construisit des vaisseaux et s'associa aux expéditions des Tyriens ; Elath attira bientôt tout le commerce de la côte d'Afrique et des Indes. Eupolème rapporte que David envoya d'Elath à Urphe (10), île de la mer Erythrée, des essayeurs d'or qui en rapportèrent à Jérusalem ; c'est, probablement, de ce lieu qu'étaient tirés les 3,000 talents d'or d'Ophir que David Laissa à Salomon pour la construction du temple (11). Après David, Salomon donna beaucoup d'extension à ce commerce ; le Livre des Rois (12) apprend qu'il fit construire une flotte dans la forêt de Wahl, près d'Elath, en Idumée, sur les bords de la mer des Roseaux, et qu'après avoir armé cette flotte avec des marins et des pilotes tyriens, il l'envoya dans le pays de Dahlak, du côté de l'Inde, à Ophir, la ville d'or, d'où elle lui rapporta, en un seul voyage, 450 talents d'or. Elath resta le port principal des Phénciens ; Salomon avait choisi, pour les Juifs, le port d'Esiongaber, littéralement épine du dos, appelé ainsi à cause d'une chaîne de rochers qui fermait la rade.
En même temps que se faisaient ces voyages d'Ophir, les flottes d'Hiram et de Salomon allaient aussi à Tharsis d'où elles rapportaient de l'argent, de l'or, de l'ivoire, de l'ébène, des pierres précieuses, etc.
Depuis longtemps les savants sont en désaccord sur l'emplacement d'Ophir et de Tharsis ; plusieurs ont même confondu ces deux endroits ; d'autres ont placé Ophir en Amérique. Une foule de dissertations ont été écrites sur le pays d'Ophir, mais de toutes les solutions proposées, les plus vraisemblables sont celles qui placent Ophir dans l'Inde ou en Afrique. Dom Calmet le place sur les bords du Pont-Euxin, en Colchide, Malte Brun, dans l'Inde, Gosselin, en Arabie, Huet, l'évêque d'Avranches, Danville, MM. De Quatre-mère, Guillain et plusieurs autres auteurs, le placent sur les bords du canal de Mozambique, dans le pays de Sofala, ou tout au moins sur la côte orientale d'Afrique.
Cette dernière opinion, fortement établie, prouverait que les flottes des Tyriens et des Juifs passaient, tous les ans, à quelques lieues de la Grande Comore, pour se rendre au delta de Sofala ; elle est trop importante, au point de vue de la découverte possible, par les Juifs, du groupe des Comores, pour que je ne la discute pas brièvement.
C'est surtout dans les livres saints et dans leurs différentes versions, grecques, arabe, chaldaïque et syriaque, qu'on peut trouver des éclaircissements pour cette question ; malheureusement ces versions, concordant dans l'ensemble, diffèrent notablement dans les détails ; et quelquefois, d'une façon si désespérante qu'en les lisant il serait facile, avec un peu de bonne volonté, de pointer, sur une carte, une douzaine d'Ophir et autant de Tharsis ; il est donc nécessaire de les comparer, de les contrôler les unes par les autres, et de faire un choix. En procédant ainsi, on peut admettre, tout d'abord, qu'Ophir et Tharsis étaient deux villes ou deux régions distinctes, ainsi que le fait ressortir leur opposition dans ce passage de Jérémie (13) : Uphaz de aurum, afferetur Tharsis de extensum argentum ; et suivant le Targum Jonathan ou la paraphrase chaldaïque : Argentum involutum ex Africâ afferent et aurum ex Ophir, ils apporteront l'argent travaillé de Tharsis ou de l'Afrique et l'or d'Ophir ou d'Uphaz. Cette distinction établie, voyons où était situé Ophir.
L'endroit appelé dans les livres saints Ophir, Sophira, Sopheira, Suphir, Urbs auri, Urphe, où les flottes d'Hiram et de Salomon allaient, chaque année (14), chercher de l'or, des bois rares et des pierres précieuses, est placé dans l'Inde par plusieurs textes des livres des Rois, d'Esaü et de Job (15). Dans les versions, le mot Inde est souvent substitué à celui d'Ophir ; les relations commerciales de la Phénicie et de la Judée avec l'Inde sont, d'ailleurs, indiquées dans Isaïe, Ezéchiel, Job, etc. (16).
Pour prouver que, dans l'antiquité, l'Inde produisait de l'or, je rappellerai les 360 talents de paillettes d'or que, d'après Hérodote, les Indiens Payaient en tribut à Darius (17), et ce qu'ont rapporté Pline et Pomponius Mela de l'île Chrysé, l'île d'or, la Chersonèse d'or de Ptolémée, aujourd'hui la presqu'île de Malacca. Quant aux bois d'ébénisterie et aux pierres précieuses, chacun sait qu'elle en produit encore aujourd'hui.
Admettant donc qu'Ophir fut dans l'Inde et rapprochant des analogues connus ces noms d'Ophir, Sophir, et Uphaz, Ophaz, Mophaz, employés toujours par les livres hébraïques à propos du commerce de l'or, je pense, avec M. Reynaud (18), qu'Ophir pourrait Oupara par l'auteur du Périple de la mer Erythrée, Soupara par Ptolémée, et Soubahlica par les écrivains sanscrits, dont les Arabes ont fait plus tard Sofala. Ce port n'existe plus, du moins sous le même nom, mais il devait être situé près de l'embouchure de l'Indus. L'Uphaz, Ophaz, Mophaz, d'où l'on tirait l'or, est vraisemblablement l'Hyphase ou Hypase, un des affluents de l'Indus, aujourd'hui le Sarledj, sur les bords duquel Alexandre bâtit ses autels (19). C'était, sans doute, l'or en paillettes, roulé par cette rivière, que les flottes tyriennes et juives rapportaient à Salomon ; cette poussière d'or, ou or de lavage, traitée par le feu à la coupelle-obrussa, s'appelait aurum obrizum, aurum de auro, l'or de l'or, l'or par excellence, et l'usage a prévalu d'appeler l'or coupellé ophirium ou ophirizum.
Quant à Tharsis, l'incertitude est plus grande. Dom Calmet a cru que le mot Tharsis signifiait, en hébreu, la mer (20) ; il a traduit ire in ou ad Tharsis par "faire un voyage au long cours", et naves Tharsis, expression qui revient à chaque instant dans la Bible, par "vaisseaux de long cours". Malgré la profonde science de Dom Calmet, et bien qu'en de nombreux passages des versions grecque, arabe, chaldaïque ou syriaque, le mot Tharsis soit, effectivement, traduit de l'hébreu par "la mer", il me paraît impossible d'adopter son opinion ; une foule de textes établissent clairement que Tharsis était un nom de pays ; les expression rois de Tharsis, enfants de Tharsis, marchands de Tharsis, vases de Tharsis, argent de Tharsis, aller à Tharsis, rapporter de Tharsis, ne permettent pas de voir dans Tharsis autre chose qu'un nom de pays ou de ville ; reste à déterminer la place de cette contrée ou de cette ville.
Il est incontestable que les navires tyriens et juifs s'armaient à Elath et à Esiongaber, sur la mer Rouge, et partaient de ces ports pour aller à Ophir et à Tharsis (21) ; ce qui exclut toute supposition d'un Tharsis dans la Méditerranée ou la mer Noire, et même ailleurs que sur les bords de la mer des Indes, soit du côté de l'Inde, soit du côté de l'Afrique. Or, dans plusieurs passages de Jérémie, d'Isaïe et du 3ème livres des Rois (22), le mot Tharsis a été évidemment regardé comme synonyme d'Afrique par Jonathan, qui a traduit nettement Tharsis par Africa, dans la paraphrase chaldaïque. C'est donc du côté de l'Afrique qu'il faut chercher Tharsis.
Le voyage d'Esiongaber ou d'Elath à Tharsis durait trois ans (23), aller et retour ; ce qui fait supposer que Tharsis était fort éloigné de ces deux ports ; qu'en outre, ce voyage se composait d'une suite d'escales et que les navires faisaient l'échange et la cueillette le long de la Côte.
A Tharsis on trouvait de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, de l'ébène, de l'ivoire, des singes et des paons (24).
Excepté les paons, tous ces objets se trouvent en Afrique. De tout temps la poudre d'or, les topazes d'Ethiopie (25), l'ivoire, l'ébène (26), les peaux de bœufs ou d'animaux féroces, et les plumes d'autruche, ont été les principaux objets d'exportation de la côte orientale d'Afrique. L'argent a pu y être commun autrefois ; les singes y sont très nombreux. Le paon est originaire de l'Inde ; mais le texte hébreu signifiait-il "des singes et des paons" ? Rien n'est moins certain. M. Quatremère propose de traduire le mot hébreu toukkim par perroquets au lieu de paons ; si je connaissais la langue hébraïque, je proposerais de lire, au lieu de singes et de paons : des peaux et des plumes. Les versions syriaque et arabe du 3ème Livre des Rois disent que les vaisseaux rapportaient de Tharsis, ou d'Afrique, "des éléphants (27)", évidemment ici, le tout est mis pour la partie, l'animal pour la dent ; n'en serait-il pas de même pour les deux noms d'animaux traduits par singes et paons ? J'ai peine à croire que les flottes de Salomon se chargeaient d'une semblable ménagerie pour accomplir des traversées qui duraient au moins deux ans.
Ces indications me paraissent suffisantes pour considérer Tharsis comme la côte d'Afrique, spécialement la côte orientale de Gardafui à Solafa. Si ce point est admis, il faut en conclure rigoureusement qu'au temps de David et de Salomon, les vaisseaux juifs et tyriens parcouraient fréquemment le canal de Mozambique. Or on sait, par l'Odyssée quelles chances offraient la navigation dans ces temps reculés ; les vaisseaux, incapables de lutter contre la grosse mer, étaient obligés de fuir devant les tempêtes ou les moussons contraires, et balayés quelquefois, comme celui d'Annius Plotianus, à des centaines de lieues de leur route. Il est donc parfaitement possible qu'un coup de vent ait jeté un de ces navires sur Madagascar, ou sur la Grande Comore qui se trouve très peu éloignée de la côte d'Afrique (28).
Après Salomon, le commerce maritime des Juifs déclina rapidement. Une flotte, que Josaphat avait armée à Esiongaber pour l'envoyer à Tharsis, fut brisée, dans un coup de vent, sur la crête de rochers qui se trouvait à l'entrée du port ; cet accident fit abandonner Esiongaber, et Elath devint le seul port fréquenté. Sous Joram, les Iduméens ou les Arabes le reprirent ; Ozias les en chassa, et il resta entre les mains des Juifs jusqu'à la conquête de l'Idumée par l'églath Phalazar. C'est à cette époque que le commerce des Tyriens dans la mer Erythrée atteignit son plus grand développement. Après la ruine de Tyr, les marins tyriens entrèrent au service des rois d'Egypte ; le commerce égyptien succéda au commerce tyrien et en prit toutes les échelles sur la côte orientale d'Afrique.
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