« Essai sur les Comores » : différence entre les versions

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Ces indications me paraissent suffisantes pour considérer Tharsis comme la côte d'Afrique, spécialement la côte orientale de Gardafui à Solafa. Si ce point est admis, il faut en conclure rigoureusement qu'au temps de David et de Salomon, les vaisseaux juifs et tyriens parcouraient fréquemment le canal de Mozambique. Or on sait, par l'Odyssée quelles chances offraient la navigation dans ces temps reculés ; les vaisseaux, incapables de lutter contre la grosse mer, étaient obligés de fuir devant les tempêtes ou les moussons contraires, et balayés quelquefois, comme celui d'Annius Plotianus, à des centaines de lieues de leur route. Il est donc parfaitement possible qu'un coup de vent ait jeté un de ces navires sur Madagascar, ou sur la Grande Comore qui se trouve très peu éloignée de la côte d'Afrique (28).
Après Salomon, le commerce maritime des Juifs déclina rapidement. Une flotte, que Josaphat avait armée à Esiongaber pour l'envoyer à Tharsis, fut brisée, dans un coup de vent, sur la crête de rochers qui se trouvait à l'entrée du port ; cet accident fit abandonner Esiongaber, et Elath devint le seul port fréquenté. Sous Joram, les Iduméens ou les Arabes le reprirent ; Ozias les en chassa, et il resta entre les mains des Juifs jusqu'à la conquête de l'Idumée par l'églath Phalazar. C'est à cette époque que le commerce des Tyriens dans la mer Erythrée atteignit son plus grand développement. Après la ruine de Tyr, les marins tyriens entrèrent au service des rois d'Egypte ; le commerce égyptien succéda au commerce tyrien et en prit toutes les échelles sur la côte orientale d'Afrique.
 
==Chap II==
§ 2
 
Les circumnavigations africaines. – Voyage des Phéniciens sous Néchos. – Exploitations de la côte orientale. – Itinéraire trace par Juba. – L'île Phébol d'Aristote. – L'île Cerné de Timos-thènes, de Pline, d'Ephore et de Lycophron. – Episode d'Iambulus. – La terre méridionale d'Hipparque et de Ptolémée.
Pendant le règne de Néchos, fils de Psammitticus (617 av. J.-C.), des Phéniciens, au service de l'Egypte, reçurent l'ordre de faire le tour de l'Afrique. Ils partirent de la mer Rouge, rangèrent la côte orientale d'Afrique, doublèrent le cap de Bonne-Espérance et rentrèrent en Egypte par le détroit de Gadès et la Méditerranée. Ce voyage dura trois ans. Il ne reste aucune description des pays visités par cette expédition qui, dit Hérodote, fit connaître toute la Lybie pour la première fois. Hannon et Sataspes tentèrent l'entreprise, par la côte occidentale, et échouèrent. Pomponius Mela raconte, d'après Cornelius Nepos, qu'Eudoxe de Cyzique, sous le règne de Ptolémée Lathyre, partit de la mer Rouge et réussit à refaire le tour des Phéniciens ; Malte-Brun, M. Huot et plusieurs auteurs, croient à la possibilité de cette circumnavigation ; mais le récit d'Eudoxe, fort suspecté même par les Grecs (30), n'apprend aucun fait nouveau et paraît n'être que l'arrangement du Périple d'Hannon et des renseignements recueillis jusqu'alors sur les côtes d'Afrique. Il y a pourtant dans ses récits un fait intéressant, s'il est exact ; c'est la découverte d'une proue de navire carthaginois sur la côte orientale d'Afrique.
Un siècle environ après l'expédition de Néarque sur les côtes de l'Inde, Ptolémée Philadelphe fit explorer (31) la Troglodylique et la côte orientale d'Afrique au-delà de Gardafui. On ne sait au juste jusqu'où alla cette expédition ; il est probable qu'elle ne dépassa pas les échelles du commerce phénicien. Evhémère (32), faisant un voyage analogue pour Gassandre, découvrit, au sud de l'Arabie, trois îles Panchoea qui paraissent être Socotora et les îles voisines. Pourtant Socotora n'était plus à découvrir.
Juba, roi de Mauritanie et célèbre géographe, qui avait étudié les ouvrages carthaginois, paraît avoir bien connu toute la côte orientale d'Afrique, d'après les renseignements précis qu'il donne sur plusieurs points de cette côte. Il affirmait qu'en partant de la mer Rouge, on pouvait faire, par mer, le tour de l'Afrique. "Juba, dit Pline (33), prétend que du cap Mossule, par le vent Corus, et en rangeant ses états de Mauritanie, on arrive par mer à Cadix. Ce qu'il en dit mérite d'être ici détaillé. Du promontoire des Indiens, nommé Lepte Acra, ou selon d'autres Drepanum, et après avoir passé l'île brûlée, on arrive, selon lui, à l'île Malchum, par une navigation en ligne droite de 1 500 000 pas ; on compte ensuite 225 000 pas de l'île Malchum au lieu appelé Sceneos, 150 000 pas jusqu'à l'île de Sadanos ; total 1 875 000 pas jusqu'à l'endroit où commence la vaste étendue de l'océan". L'île Malchum (île Malichos du Periple) ? peut être l'île de Mozambique sur la côte des Makouas ; Sceneos, sur la terre ferme, serait la Sena, Seyouna, Syouna d'Edrisi et d'Ibn-Saïd, placée par M. Guillain sur la rive droite du Zambèse (34) ; quant à l'île de Sadanos, île Adanu, d'après le P. Hardouin, à moins que ce ne soit l'île Bazarata, elle est inconnue. Il est à remarquer que l'itinéraire de Juba conduit presque exactement à la sortie méridionale du canal de Mozambique, où il place la jonction de l'Océan Atlantique et de la mer Erythrée. Ce passage donne à penser que les Carthaginois et les Phéniciens en savaient beaucoup plus que les Grecs sur la géographie de l'Afrique.
Jusqu'ici aucune indication de Madagascar ou des Comores ; quelques textes pourtant, paraissent se rapporter, très vaguement à la vérité, à ces îles. D'abord Aristote mentionne, dans son ouvrage de Mando, deux îles plus grandes que les îles Britanniques, Taprobane (Ceylan) près de l'Inde et Phébol dans la mer d'Arabie ; Madagascar est évidemment la seule île de cette mer à laquelle cette désignation puisse s'appliquer.
D'après Eratosthènes, Timosthènes alla jusqu'à une île appelée Cerné, située dans la mer Erythrée. Cette île est sans doute la Cerné dont parle Pline (35). "On appelle Cerné une île située à l'opposite du golfe Persique, en face de l'Ethiopie ; on ne connaît au juste ni sa grandeur ni sa distance du continent ; on prétend qu'elle n'est habitée que par des peuples noirs. Ephore écrit que les navigateurs, qui s'y rendent de la mer Rouge, ne peuvent en approcher plus près que certaines petites îles, appelées Colonnes, à cause de ses feux". Ce dernier nombre "propter ardores" a été diversement interprété ; Ephore a-t-il voulu parler d'éruptions volcaniques ? Dans ce cas cette Cerné pourrait être la Grande Comore ou Mayotte ; plutôt la Grande Comore qui renferme un volcan encore en activité ; cette mention d'île brûlante, dans une direction qui répond à peu près à celle des Comores, n'est pas isolée ; elle se retrouve dans Edrist, et acquiert une certaine importance. S'agit-il simplement de feux allumés par les naturels, et analogues à ceux qui trompèrent Hannon sur la côte occidentale d'Afrique ? Cette observation s'appliquerait encore parfaitement aux Comores qui paraissent littéralement en feu, chaque année, au moment où les indigènes brûlent les herbes et les broussailles pour planter leur riz.
Quelques auteurs ont confondu la Cerné d'Ephore avec la Cerné d'Hannou et l'ont placée à l'ouest de l'Afrique. S'il est vrai que le mot Cerné signifie fin, dernière (36), il a pu être appliqué à plusieurs îles situées sur les limites du monde connu des anciens ; mais la position orientale de l'île Cerné, dont parle Pline, est clairement démontrée par le passage que j'ai cité et en outre par ce passage de Lycephron : "L'aurore se lève, laissant Tithon dans son lit près de Cerné".
Je placerai ici, en supprimant une foule de détails absurdes et en déclarant, tout d'abord, qu'il est généralement regardé comme un conte, le récit d'Iambulus rapporté par Diodore de Sicile (37).
Un marchand grec, nommé Iambulus, fut pris par des pirates, en se rendant dans la partie de l'Arabie ou se trouvent les parfums, et conduit sur la côte d'Ethiopie. Les Ethiopiens le destinèrent à une expiation dont l'usage existait de temps immémorial ; ils conduisirent une barque solide, la garnirent de vivres pour six mois, et y embarquèrent Iambulus avec un de ses compagnons, en leur recommandant "de se diriger toujours vers le sud, assurant qu'ils seront portés dans une île fortunée où ils trouveront une race d'hommes très doux parmi lesquels ils vivront très heureusement".
Après avoir navigué pendant quatre mois sur une grande mer, Iambulus et son compagnon arrivèrent enfin à l'île désignée. Les habitants les reçurent bien. La température de cette île était douce ; les jours égaux aux nuits ; à midi le soleil ne faisait pas d'ombre ; les Ourses n'étaient plus visibles. Les habitants portaient des vêtements tissés avec des fibres de plantes, se nourrissaient de graines d'une espèce de roseau, macérées dans l'eau, et écrivaient en traçant les lignes du haut en bas. Ils ne célébraient pas les mariages et n'adoraient que le soleil et les corps célestes. Iambulus remarqua, dans cette île, des animaux ronds qui avaient des pattes tout autour du corps, et des serpents assez grands, mais non venimeux. Il y avait sept îles de ce genre, à des intervalles égaux. Au bout de sept ans, Iambulus et son compagnon repartirent et, après quatre mois de navigation, furent jetés sur la côte de l'Inde.
Une partie de cette description, concernant la disparition des Ourses, la durée du jour, le gnomon, les rabanes, le riz, les crabes, l'absence du mariage, peut se rapporter à Madagascar et aux Comores ; elle paraît, à dire vrai, avoir été inspirée par la description de l'Inde d'Hérodote ; mais ce qui est fort curieux et bien trouvé, si ce n'est pas vrai, c'est qu'Iambulus ait observé l'absence de serpents venimeux, fait exactement vrai pour Madagascar et les Comores, et surtout, l'usage de l'écriture chinoise ou malaise, c'est-à-dire l'écriture des ancêtres des Hovas.
Je m'empresse d'ajouter que ce Iambulus était un conteur bien connu des Grecs, dont Lucien se moque dans son Histoire vraie. Son récit n'est qu'un roman ; mais comme il avait effectivement voyagé dans la mer des Indes, on peut croire qu'il avait recueilli les éléments de son conte dans les récits des marchands qui parcouraient les côtes de cette mer, et qu'au fond, son roman renferme quelques vérités. Ce n'est donc qu'à titre de notion vague d'îles peuplées, à une grande distance et au sud de la côte éthiopienne, que je mentionne son récit.
Tous les anciens géographes, Eratosthènes, Hipparque, Strabon, Ptolémée, ont placé l'île Taprobane (Ceylan) bien à l'ouest du cap des Coliaques (Comorin), tandis qu'en réalité elle est à l'est de ce cap. Une conséquence de cette erreur a été le déplacement analogue de la presqu'île de Malaca et, par suite, de Sumatra qui s'est trouvée rejetée près de Madagascar. La connaissance incomplète de ces deux grandes îles les a fait prendre par Hipparque et Ptolémée pour un même continent, embrassant la mer Erythrée depuis le promontoire Prasum, en Afrique, jusqu'à Catigara dans l'Inde. Et pourtant, deux cent vingt ans avant notre ère, Eratosthènes avait affirmé qu'à part l'isthme égyptien, l'Afrique était complètement entourée par la mer ; et quatre cents ans avant ce même Eratosthènes les vaisseaux de Nochos en avaient fait le tour. Mais l'erreur même de Ptolémée prouve que de son temps on connaissait l'existence d'une terre considérable, tournant à l'est, auprès de la côte orientale d'Afrique ; Or cette terre considérable ne peut être que la grande île de Madagascar.