« Essai sur les Comores » : différence entre les versions

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Je m'empresse d'ajouter que ce Iambulus était un conteur bien connu des Grecs, dont Lucien se moque dans son Histoire vraie. Son récit n'est qu'un roman ; mais comme il avait effectivement voyagé dans la mer des Indes, on peut croire qu'il avait recueilli les éléments de son conte dans les récits des marchands qui parcouraient les côtes de cette mer, et qu'au fond, son roman renferme quelques vérités. Ce n'est donc qu'à titre de notion vague d'îles peuplées, à une grande distance et au sud de la côte éthiopienne, que je mentionne son récit.
Tous les anciens géographes, Eratosthènes, Hipparque, Strabon, Ptolémée, ont placé l'île Taprobane (Ceylan) bien à l'ouest du cap des Coliaques (Comorin), tandis qu'en réalité elle est à l'est de ce cap. Une conséquence de cette erreur a été le déplacement analogue de la presqu'île de Malaca et, par suite, de Sumatra qui s'est trouvée rejetée près de Madagascar. La connaissance incomplète de ces deux grandes îles les a fait prendre par Hipparque et Ptolémée pour un même continent, embrassant la mer Erythrée depuis le promontoire Prasum, en Afrique, jusqu'à Catigara dans l'Inde. Et pourtant, deux cent vingt ans avant notre ère, Eratosthènes avait affirmé qu'à part l'isthme égyptien, l'Afrique était complètement entourée par la mer ; et quatre cents ans avant ce même Eratosthènes les vaisseaux de Nochos en avaient fait le tour. Mais l'erreur même de Ptolémée prouve que de son temps on connaissait l'existence d'une terre considérable, tournant à l'est, auprès de la côte orientale d'Afrique ; Or cette terre considérable ne peut être que la grande île de Madagascar.
 
==Chap III==
§ 3
 
Les géographes arabes. – L'île Cambalou de Massoudi. – Les îles Zaledj d'Edrisi. – L'île Comor d'Edrisi et d'Ibn-Saïd. – Les îles de Comr. – Relation de Marco Paulo.
 
Tout ce qu'on écrit les auteurs arabes sur la côte d'Afrique et les îles voisines, a été rapporté et discuté par M. le contre-amiral Guillain, dans son bel ouvrage intitulé Documents sur l'Afrique orientale (38), avec la grande autorité que lui donnait sa parfaite connaissance de la mer des Indes et de ses côtes. Je me bornerai donc à reproduire ici quelques passages de Massoudi, Edrisi et Ibn-Saïd, qui semblent avoir trait aux Comores et à Madagascar.
"Le Nil, dit Massoudi, coule à travers cette partie du pays des Soudans qui borde le pays des Zendj, et une branche s'en détache et va se jeter dans la mer des Zendj, qui est celle de l'île de Cambalou. Cette île est bien cultivée, ses habitants sont Musulmans, mais ils parlent la langue des Zendj. Les Mahometans ont conquis cette île et fait ses habitants prisonniers, tout comme ils ont pris l'île de Crète dans la Méditerranée. Ce fait arriva au commencement de la dynastie des Abassides ou à la fin de celle des Omnyades….. Les navigateurs s'avancent sur la mer des Zendj aussi loin que l'île de Cambalou et le Sofala du Demdemah, qui est à l'extrémité du pays des Zendj et des basses terres aux environs….. En l'an 304, je revins de l'île de Cambalou en Oman dans un vaisseau appartenant à Ahmed et Abb-el-Semad, de Syraf….. La quantité des îles de la mer de Zendj est innombrable. Au nombre de ces îles, il y en a une qui est à environ une ou deux journées de la côte. On y trouve une population musulmane sur laquelle des chefs musulmans se sont transmis héréditairement le pouvoir. On les appelle Cambalous".
Cette île Cambalou, ou Phanbalou, d'après Malte-Brun (39), qui la regarde comme la Phébol d'Aristote, placée au terme de la navigation des Arabes dans la mer des Zendjes, à deux journées environ de la côte d'Afrique, en regard du Sofala, répond bien à la position de Madagascar. M. Guillain, après avoir démontré que cette île Cambalou ne peut être ni Pemba, ni Zanzibar, ni Mafia, ni Madagascar, pense, sous réserve, que c'est la Grande Comore. Il s'appuie principalement, pour exclure Madagascar, sur le silence de Massoudi au sujet de l'immensité de cette île, l'impossibilité de sa conquête par les Musulmans, enfin sur ce que Massoudi ne parle pas des Comores, placées pourtant sur la route suivie par les boutres pour se rendre à Madagascar.
On peut répondre, en faveur de Madagascar, que Massoudi, en appelant la mer des Zendjes "celle de l'île de Cambalou", désigne indirectement cette île comme la plus considérable de toutes celles qui s'y trouvaient, puisqu'elle donnait son nom à la mer environnante. L'assertion de Massoudi relative à la population musulmane de Cambalou est reproduite par Marco Paulo (40) pour Madagascar, qui, en outre, donne à cette île des éléphants, des chameaux et d'autres animaux qui n'y ont certainement jamais existé ; et pourtant personne n'a mis en doute que Marco Paulo ait voulu parler de Madagascar. Enfin, les boutres arabes passent, il est vrai, par les Comores pour se rendre à Madagascar, mais c'est surtout lorsqu'ils s'y rendent de Zanzibar et qu'ils vont à la côte orientale ; ceux qui s'y rendaient des ports du Sofala avaient certainement avantage à traverser directement le canal, sans remonter jusqu'aux Comores, situées précisément dans la plus grande largeur du canal de Mozambique. En tout cas, l'argument peut être retourné, car il serait étonnant que Massoudi, s'il fût allé à la Grande Comore, n'eût pas dit un mot des autres îles du groupe.
Edrisi donne, sur les îles de la mer des Zendjes, des détails plus complets : "1er climat. 7è section. Cette section comprend la description d'une partie de la mer des Indes et de la totalité des îles qui s'y trouvent, et qui sont habitées par des peuples de races diverses…. En face du rivage des Zendj sont les îles de Zaledj. Elles sont nombreuses et vastes ; leurs habitants sont très basanés, et tout ce qu'on y cultive de dorrha, de canne à sucre et d'arbres de camphre, y est de couleur noire. Au nombre de ces îles est l'île de Cherboua, dont la circonférence est, à ce qu'on dit, de 1,200 milles et ou l'on trouve des pêcheries de perles et diverses sortes d'aromates et de parfums, ce qui y attire les marchands. Parmi les îles de Zaledj comprises dans la présente section, on trouve aussi celle d'Andjebeh, dont la ville principale se nomme dans la langue du Zanghebar El-Anfoudja, et dont les habitants, quoique mélangés, sont pour la plupart Musulmans. La distance qui la sépare d'El-Banès sur la côte des Zendj est de 100 milles. Cette île a 400 milles de tour ; on s'y nourrit principalement de figues bananes… Cette île est traversée par une montagne appelée Wabra, où se réfugient les vagabonds chassés de la ville, formant une brave nombreuse population…. Cette île est très peuplée ; il y a beaucoup de villages et de bestiaux : on y cultive le riz. On dit que lorsque l'état des affaires de la Chine fut troublé par des dissensions et que la tyrannie et les rébellions devinrent excessives dans l'Inde, les habitants de la Chine transportèrent leur commerce à Zaledj (ou Zabedj) et dans les autres îles qui en dépendent (41)…. C'est pour cela que cette île est si peuplée……
Auprès de cette île, il en existe une autre peu considérable dominée par une haute montagne dont le sommet et les flancs sont inaccessibles parce qu'elle brûle tout ce qui s'en approche. Durant le jour, il s'en élève une épaisse fumée, et durant la nuit, un feu ardent. De sa base coulent des sources, les unes d'eau froide et douce, les autres chaudes et salées.
Auprès de l'île de Zaledj sus mentionnée, on en trouve une autre nommée Kermedet, dont les habitants sont de couleur noire. On les appelle Nerhin. Ils portent le manteau nommé Azar et la Fouta. C'est une peuplade audacieuse, brave et marchant toujours armée. Quelquefois ils s'embarquent sur des navires et attaquent les bâtiments de commerce…. Entre cette île et le rivage maritime on compte un jour et demi de navigation ; entre elle et l'île Zaledj nommée El-Anfrandji, on compte une journée".
A première vue, en ne tenant un compte exact ni des distances ni des dimensions, il semble qu'Edrisi ait voulu parler de Madagascar et des Comores. La grande île Cherboua, voisine de trois ou quatre plus petites, à deux journées environ de la côte des Zendjes, l'île Andjabé (1), dont le nom rappelle si bien Anjouan, peuplée de Musulmans et de Zendjes mêlés, l'île Kermedet avec ses noirs pirates, et surtout l'île du volcan, ont une frappante analogie avec Madagascar, Anjouan, Mohéli et la Grande Comore ou Angazidja. L'illusion cesse quand on compare la description d'Edrisi avec les renseignements donnés, sur quelques îles malaises, par les auteurs arabes qui l'ont précédé.
Tout d'abord, ce que raconte Edrisi, sur les productions des îles Zaledj, a été presque littéralement copié dans Abou-Zeïd ; seulement Abou-Zeïd attribuait cette particularité, non aux îles de Zaledj, mais au pays des Zendjes : "Le pays des Zendj, dit Abou-Zeïd, est vaste. Les plantes qui y croissent, telles que le dhorra (le mil) qui est la base de leur nourriture, la canne à sucre et les autres plantes y sont d'une couleur noire".
Rapprochons maintenant de la description d'Edrisi quelques passages d'une relation attribuée au voyageur Soliman, contemporain de Massoudi : "Au-delà de ces îles (les Lakedives et les Maldives), dans la mer de Herkend, est Serendib, la principale de toutes ces îles qu'ils appellent Debja. Elle est toute entourée de la mer, et il y a des endroits de sa côte où l'on pêche des perles….. De cet endroit (El-Gebalou) les vaisseaux font voile vers Calabar qui est le nom d'un royaume tirant à la droite, au-delà de l'Inde….. Les habitants y sont vêtus de vestes rayées connues sous le nom de Fouta…. De là, ils passent en dix jours à Kadrandje…. Dans ce lieu, il y a une montagne fort élevée qui n'est peuplée que d'esclaves et de larrons fugitifs…. On dit aussi que près de Zabedj, il y a une montagne appelée la montagne du feu, de laquelle personne ne peut approcher ; le jour, il en sort une épaisse fumée, et pendant la nuit, elle jette des flammes. Il sort du pied de cette montagne deux fontaines d'eau douce, l'une chaude et l'autre froide".
Andja-bé, en antalote, signifie grande main.
On peut y joindre les relations d'Abou-Zeïd et d'Ibn-Saïd.
"Nous parlerons ensuite, dit Abou-Zeïd, du royaume de Zabedj, situé en face de la Chine et qui en est éloigné d'un mois de navigation…. Le roi de ce pays s'appelle Mahradja…. Il est maître de plusieurs îles qui sont aux environs ; son royaume a plus de 1000 lieues d'étendue. Parmi ces îles est celle de Cherbeza…., celle de Rahmi…. Celle de Cala qui est au milieu de la route entre la Chine et le pays des Arabes…. ; présentement le commerce est ordinaire de Oman à cette île….".
"Au pied de l'île Kiloa, dit Ibn-Saïd, est l'île de Kermoua qui a environ 330 milles de circuit ; ses habitants sont des nègres pirates. A l'est est l'île du Volcan, où se trouve une montagne qui ne cesse de vomir du feu pendant la nuit, et d'où s'échappe constamment de la fumée pendant le jour ; ses habitants sont des Zendj ; don pourtour est d'environ 300 milles.
A la suite de ces îles qui dépendent de Kiloa sont les îles Raneh, bien connues des navigateurs. La principale est Serira…. Parmi les îles Raneh, on distingue encore l'île Anfoudja…. La principale nourriture des habitants de ces îles est la banane….".
Il est évident que l'île Kiloa ou Kiloua d'Ibn-Saïd est la même que l'île Calabar de Soliman et que l'île Cala, placée par Abou-Zeïd, à moitié route entre l'Arabie et la Chine. Nous sommes donc bien loin d'El-Banès du Zanguebar, et de la côte de Sofala, et cependant nous retrouvons, appliqués aux îles malaises, les noms et les détails introduits par Edrisi dans sa description des îles Zaledj voisines du Zanguebar. Il faut donc admettre ou qu'Edrisi croyait les îles malaises voisines de la côte des Zendjes, supposition fort possible quand on songe à l'énorme déplacement vers l'est qu'il faisait subir à la côte orientale d'Afrique, ou bien, qu'ayant une connaissance certaine d'îles qui se trouvaient près de cette côte, il les aura confondues avec les îles Zabedj décrites par Soliman et Abou-Zeïd, trompé par plusieurs points frappants de ressemblance. Cette dernière hypothèse est d'autant plus vraisemblable qu'Edrisi indique clairement les distances qui séparaient de la côte des Zendjes, les îles qu'il a décrites sont le nom de Zaledj, et qui ne peuvent être que les Comores ; son erreur ne porte donc pas sur la position de ces îles, qu'il indique à peu près exactement, mais seulement sur la description qu'il en a faite.
Examinons maintenant quelques renseignements donnés sur l'île Comor par Edrisi et Ibn-Saïd.
Edrisi, 1er climat. 9ème section : "Nous disons donc qu'au midi de cette mer est une partie du Sofala et qu'au nombre des lieux habités de ce pays est la ville de Djebesta, peu considérable. On y trouve de l'or en quantité…. Les habitants de Djebesta n'ayant ni navires, ni bêtes de somme pour porter leurs fardeaux, sont obligés de les porters eux-mêmes…. Ceux de Comor et les marchands du pays du Mahradja viennent chez eux, en sont bien accueillis et trafiquent avec eux. De la ville de Djebesta à celle de Daghouta, trois jours et trois nuits par mer, et à l'île Comor un jour".
Ibn-Saïd, 5ème section : "On trouve dans cette 5ème section, parmi les villes des Zendj qui sont connues, Mélinde, par 81° de longitude et 2°50' de latitude ; elle est située sur une baie qui se développe à l'occident et où se jette un fleuve qui descend de la montagne de Comr. Sur les bords de ce golfe, sont de nombreuses habitations appartenant aux Zendj ; Les habitations des peuples de Comr se trouvent au midi…. Puis viennent les villes du pays de Sofala ; Banyna…. Banyna a une baie assez longue dans laquelle débouche un fleuve qui vient des montagnes de Comr, situées à l'est….".
6ème section : "Cette section comprend les habitations des gens du Sofala qui donnent sur la mer de l'Inde. Il ne s'y trouve pas de villes connues avant leur capitale nommé Syouna, par 99° de longitude et 2°30' de latitude méridionale. Cette ville est située sur un grand golfe où se jette une rivière qui descend de la montagne de Comr…. A l'est de Syouna, commence le canal de Comr qui s'étend de la mer de l'Inde jusqu'aux confins des terres habitées au sud. Sa largeur, en cet endroit, est d'environ 200 milles. Il se dirige, en décrivant un arc, vers le sud et l'est, en conservant cette largeur ou à peu près jusqu'à son aboutissement à la montagne El-Nedama (le cap Corrientes) dont nous donnerons plus loin la description….".
7ème section : "Le pays des nègres, qui commence, on le sait, aux confins du Magreb, finit, dans cette section, à la montagne du repentir (El-Nedama, cap Corrientes). La mer remplit les espaces qui sont à l'est de cette montagne et de l'île de Comr…. La mer environnante qui vient du sud et de l'est baigne sa partie sud (du cap Corrientes), et sa partie nord fait face au canal de Comr…. Au pied de la montagne El-Nedama, du côté du nord, et sur le canal de Comr, est la ville de Daghouta, la dernière du pays de Sofala et le dernier des lieux habités dans les terres qui bornent cette mer ; elle est par 109° de longitude et 12° de latitude. Au nord, il y a une baie et une rivière qui vient des montagnes de Comr….".
6ème section : "Parmi les villes de l'île de Comr, la longue, la large, dont on dit que la longueur est de quatre mois de marche et la plus grande largeur de vingt journées, on trouve Leyrana. Ibn-Fatima, qui l'a visitée, rapporte qu'elle est ainsi que Magdachou, au pouvoir des Musulmans ; ses habitants sont un mélange d'hommes venus de tous les pays. C'est une ville où arrivent et d'où partent les navires. Les cheikhs qui y exercent l'autorité tâchent de se maintenir dans de bons rapports avec le prince de la ville de Malay qui est située à l'orient….".
Je me borne à ces extraits et ne reproduis pas les descriptions de l'île Comor, descriptions qui s'appliquent évidemment, non à l'île située à 200 milles en face la côte de Sofala, mais bien au royaume de Komor, décrit par Abou-Zeïd, c'est-à-dire à la pointe méridionale de l'Indoustan, que les Arabes considéraient comme une presqu'île et appelaient aussi île de Komor. MM. Reynaud et Guillain ont d'ailleurs démontré combien était vague la dénomination d'île Comor employée par Edrisi et Ibn-Saïd. D'un autre côté, des confusions aussi monstrueuses sont-elles bien le fait des auteurs et non des copistes ? Après tout, Ibn-Saïd est fort précis en ce qui concerne la position de son île relativement à la côte d'Afrique, il ne devient incompréhensible que quand il en entreprend la description ; cette description fantastique écartée, la question s'éclaircit singulièrement et il reste plusieurs jalons pour indiquer cette île.
1° - Les Arabes appelaient Djebel-El-Comor une chaîne de montagnes qu'ils supposaient s'étendre parallèlement à la côte, le long du pays des Zendjes et du Sofala, puisqu'ils en faisaient sortir la plupart des rivières qui baignaient ces deux contrées ;
2° - Entre le pays des Zendjes et le Sofala, se trouvaient les habitations des peuples de Comor, sans doute originaires de ces montagnes, qui, d'après Yacout et Ibn-Saïd, avaient émigré dans une île voisine et lui avaient donné leur nom ;
3° - Il est impossible de ne pas reconnaître, dans le canal de Comor, longeant le Sofala, avec une largeur d'environ 200 milles, et finissant au cap Corrientes, précisément en face de l'extrémité sud de Madagascar, le canal de Mozambique actuel, ou tout au moins sa partie méridionale ;
4° - Une des dimensions de l'île Comor est naturellement indiquée par la longueur du canal ; or cette longueur est à peu près celle de Madagascar qui, seule, répond à la longueur du canal et à la distance du continent désignée par Edrisi et Ibn-Saïd.
Il faut donc voir Madagascar dans l'île El-Comor d'Edrisi, El-Comr d'Yacout et d'Ibn-Saïd, El-Camar d'Ibn-El-Ouardy et d'El-Bakoui. Dès 1508, de Ruych la représentait sur sa mappemonde sous le nom d'île Camorocada ; dans le même temps, les Portugais abordaient à une des îles Comores actuelles et lui attribuaient, par erreur, le nom particulier de Comore qui n'était pas le sien, mais bien celui de l'archipel, car elle s'appelait Angazidja, de même que l'île Comr, Camar,ou Camorocada, s'appelait, en réalité, Madecase (42). Le nom de Comor n'était donc qu'un nom générique, donné à l'ensemble des îles de cette partie de la mer des Indes, qu'on appelait îles des Comor ou des Comr de même que, plus haut, on appelait îles des Zendjes, les îles Pemba, Mafia et Zanzibar. Ce qui le confirme c'est que chacune des îles des Comor avait un nom particulier.
Marco Paulo (43) indiqua, le premier, le véritable nom de Madagascar ; voici quelques passages de sa relation, composée des renseignements qu'il avait recueillis des marchands arabes et persans :
"Madeigascar est une ysle qe est vers midi et est longe de Scotra entor mille miles. Ils sunt Saracinz, aorent Mahomet. Ils ont quatre escèque, ce vaut à dire quatre viels homes, e cesti quatre viels ont la seignorie de toste e ceste ysle. E sachiés qe ceste ysle est des plus noble ysle et des greignor qe soient en ceste monde. Car je voz di qe l'on dit qu'elle gire environ quatre mille miles. Ils vivent de mercandie e d'ars…. Ils ont maintes mercandies et bi vienent maintes nés con maintes mercandies…. Et si voz di que les nés (vaisseaux) ne puent aller plus ver midi à les autres ysle for qe à ceste ysle et à celle de Zanghibar, porce qe la mer y cort si ver midi qe à poine s'en poroient venir, e por ceste achaisonz ne i vent les nés. Et si voz di qe les nés qui i vienent de Mabar (Malabar) a cest ysle vienent en vingt jors, e quant elle hi tornet à Mabar poinent aller trois mois et ce avent porce qe la corent vait toz jorz ver midi…. Et encore sachiés tout voiremant qe en celles autre ysles, qe sunt si grant quantité ver midi là où les nés ne alent mie voluntières por la corent qe cort celle part, e dient les homes qe là se treuves des oisiaus griffons…. Et bien est-il vrai qe le grant Kan hi vnvoia sez messajes por savor de cels ysles et encore hi mande por faire laiser un sez mesajes qe avait pris, et cesti mesaje et celui qe pris avoir ceste content au grand Kan maites grant mervoilles de celes estranges ysles".
Cette relation, dont je n'ai donné qu'un extrait, est fort curieuse et ouvre un vaste champ aux suppositions. Bien qu'elle exagère beaucoup les progrès des Arabes à Madagascar, elle démontre l'ancienneté de leur établissement dans cette île, et leur connaissance des îles voisines.
Il ne faudrait pas conclure, en effet, de l'incertitude et de l'obscurité des passages cités plus haut, que les navigateurs arabes n'ont pas connu les Comores bien avant Edrisi et Ibn-Saïd. Doués au suprême degré de l'esprit mercantile, les Arabes ont été des découvreurs hardis et infatigables ; mais tous leurs voyages d'exploration, entrepris au point de vue du négoce et non de la science, par l'initiative individuelle, n'ont pas eu d'historiens. Peut-être se mêlait-il à la réserve de leurs voyageurs un peu de la jalousie des Phéniciens et des Carthaginois qui tenaient soigneusement secrètes leurs découvertes, craignant de s'attirer, pour le commerce, la concurrence des autres peuples.
En résumé, cette revue, sans doute fort incomplète, laisse dans la plus grande incertitude l'époque de la découverte des Comores, les auteurs de cette découverte, et l'origine de leurs premiers habitants ; elle permet seulement de faire, sur tous ces points, des suppositions plus ou moins hasardées. C'est maintenant l'étude du pays et surtout des traditions locales qu'il faut demander si ces suppositions sont conformes à la réalité.
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