« Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/365 » : différence entre les versions

affamé
 
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
feindre de ne pas nous apercevoir de la présence des sergents de ville qui, armés d’un revolver, font les cent pas sous nos fenêtres pour assurer notre sécurité pendant que nous mangeons nos mets succulents ou que nous regardons une nouvelle pièce, ou de l’existence des soldats qui paraîtraient armés de fusils et de cartouches aussitôt que se produirait quelque atteinte à notre propriété.
feindre de ne pas nous apercevoir de la présence des sergents de ville qui, armés d’un revolver, font les cent pas sous nos fenêtres pour assurer notre sécurité pendant que nous mangeons nos mets succulents ou que nous regardons une nouvelle pièce, ou de l’existence des soldats qui paraîtraient armés de fusils et de cartouches aussitôt que se produirait quelque atteinte à notre propriété.


Nous savons bien que, si nous finissons en paix notre dîner, ou voyons la fin de la nouvelle pièce, ou finissons de nous amuser au bal, à la fête de l’arbre de Noël, à la promenade, aux courses ou à la chasse, ce n’est que grâce à la balle du revolver du sergent de ville ou du fusil du soldat qui percera le ventre afiamé du déshérité qui, de loin, l’eau à la bouche, regarde nos plaisirs, et les interromprait aussitôt que le gardien ou les soldats ne seraient pas là pour accourir à notre premier appel.
Nous savons bien que, si nous finissons en paix notre dîner, ou voyons la fin de la nouvelle pièce, ou finissons de nous amuser au bal, à la fête de l’arbre de Noël, à la promenade, aux courses ou à la chasse, ce n’est que grâce à la balle du revolver du sergent de ville ou du fusil du soldat qui percera le ventre affamé du déshérité qui, de loin, l’eau à la bouche, regarde nos plaisirs, et les interromprait aussitôt que le gardien ou les soldats ne seraient pas là pour accourir à notre premier appel.


C’est pourquoi, comme un brigand arrêté en plein jour, en flagrant délit, ne peut pas assurer qu’il a levé le couteau non pas pour s’emparer de la bourse de sa victime, nous ne pouvons, à notre tour, semble-t-il, pas affirmer que les soldats et les policiers nous entourent non pas pour nous protéger contre les déshérités, mais pour nous défendre contre l’ennemi extérieur, pour assurer l’ordre, pour les fêtes et les revues ; nous ne pouvons pas affirmer que nous ne savions pas que les hommes n’aiment pas mourir de faim, n’ayant pas le droit de gagner leur pain sur la terre où ils vivent, qu’ils n’aiment pas travailler sous terre, dans l’eau, dans une température accablante, dix à quatorze heures par jour, la nuit même, pour fabriquer les objets de nos plaisirs. Il semblerait impossible de nier cette évidence. Cependant on le fait.
C’est pourquoi, comme un brigand arrêté en plein jour, en flagrant délit, ne peut pas assurer qu’il a levé le couteau non pas pour s’emparer de la bourse de sa victime, nous ne pouvons, à notre tour, semble-t-il, pas affirmer que les soldats et les policiers nous entourent non pas pour nous protéger contre les déshérités, mais pour nous défendre contre l’ennemi extérieur, pour assurer l’ordre, pour les fêtes et les revues ; nous ne pouvons pas affirmer que nous ne savions pas que les hommes n’aiment pas mourir de faim, n’ayant pas le droit de gagner leur pain sur la terre où ils vivent, qu’ils n’aiment pas travailler sous terre, dans l’eau, dans une température accablante, dix à quatorze heures par jour, la nuit même, pour fabriquer les objets de nos plaisirs. Il semblerait impossible de nier cette évidence. Cependant on le fait.