« Compositeurs contemporains – Rossini » : différence entre les versions

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<small>(1) La ''Zelmira'', dont une tragédie française de De Belloi avait fourni le sujet à l'abbé Totola, fut écrite et représentée à Naples en 1822. Le public de San-Carlo, qui s'était montré si peu sympathique aux grandes beautés du ''Maometto'', se ravisant à juste titre cette fois, décerna tous les honneurs du succès a cette partition, où Rossini semble faire un pas de plus dans cette voie de l'expression dramatique, de l'élévation et de la correction du style, de laquelle il ne s’écartera plus désormais. Ses détracteurs eux-mêmes ne trouvèrent à cette occasion que des éloges à lui donner. Nombre de gens, que ses dernières partitions avaient amenés à soutenir qu'il était décidément à bout de verve et de mélodie, et ne faisait plus que rabâcher sa jeunesse, ne purent s'empêcher de se récrier d'admiration en présence de cette richesse d'idées, de ce flot de chants ingénieux et colorés, et surtout de cette animation musicale, de cette vie entraînante à laquelle rien ne résiste. On raconte qu'un critique napolitain, qui s'était depuis quelque temps fait remarquer par sa malveillance, fut tellement mis hors de lui par cette musique enchanteresse, que, rencontrant Rossini après la représentation, il se précipita à ses pieds en s'écriant : « Pardon, divin maître, pardonne-moi de t'avoir méconnu ! » Les feuilles napolitaines, partageant cet enthousiasme un peu immodéré, il faut en convenir, allèrent même jusqu'à prétendre « qu'autant ''Mosè'' l’emportait sur ses autres ouvrages, autant ''Zelmira'' l'emportait sur Mosè''. » </small><br />
<small>(2) L'opéra italien tournait alors toutes les têtes, même celles que leur poids philosophique aurait semblé devoir prémunir contre l'entraînement. Le bon Hegel céda, comme la foule, aux tourbillons. J'extrais de sa correspondance avec sa femme quelques passages où son enthousiasme éclate pour ainsi dire au courant de la plume : « A peine débarqué, Je me suis fait conduire au théâtre italien, où l'on jouait la ''Zelmira'' de Rossini. Quels chanteurs! quelles voix! que] style! Grâce, volubilité, force, éclat, tout y est : Rubini, Donzetti, Lablache, la Fodor! Comparé à ce métal sonore et limpide, ce que nous avons à Berlin m'a paru lourd, monotone et creux ; vous diriez de la bière à côté du vin le plus pur, le plus rubicond, le plus chaud. Ces artistes-là vous ont une expression, une manière de colorer qui n'appartient qu'à eux. Je m'explique maintenant pourquoi à Berlin nous montrons en général peu d'élan pour la musique de Rossini : c'est que cette musique est faite en vue des gosiers italiens, tout comme le velours et le satin sont faits en vue de la coquetterie féminine, et les pâtés de foie gras en vue des fins gourmets. Cette musique-là ne vaut qu'à la condition d'être chantée, mais alors aucune autre n'en égala le charme. Je suis allé hier entendre ''le Barbier'' pour la troisième fois, et certes il faut que mon goût se soit bien terriblement dépravé pour, que ce ''Figaro'' de Rossini me paraisse aujourd'hui cent fois préférable à celui de Mozart. Connue ces chanteurs-là jouent et chantent ''con amore''! Le moyen, dites-moi, de quitter un pays où de pareilles séductions vous attachent ? » </small><br />
<small> (3) « Rossini dans ''Zelmira'' s'est éloigné immensément du style d’''Aureliano in Palmira'' et de ''Tancredi'', de même que Mozart dans son ''Titus'' s'était éloigné du style de ''Don Giovanni''. Ces deux génies ont suivi une route tout opposée: Mozart aurait fini par devenir exclusivement Italien, taudistandis que Rossini ''finira par être plus Allemand que Beethoven! » - Vie de Rossini''.</small><br />
<small> (4) C'est sans doute à ce mérite qu'il faut attribuer l'opinion très favorable qu'on professe encore de l'autre côté du Rhin pour la Sémiramis'' de Catel.</small><br />
 
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Un beau jour cependant, Rossini s'ennuya de la France, et quitta Paris pour s'en aller habiter son palais de Bologne. Sa santé, dont il se plaignait beaucoup dans les derniers temps de son séjour ici, ne tarda pas à se rétablir entièrement à la douce influence du climat natal, et peu à peu il oublia l'asphalte des boulevards, les couloirs du Théâtre-Italien et le Café de Paris, comme il avait oublié déjà tant de choses en ce bas monde. Bologne lui plaisait, il s'y laissait vivre au milieu d'une prélatine aimable et tolérante; Rossini a toujours infiniment goûté la société des éminences, prédilection qu'il dut aux bontés dont le combla dans sa jeunesse le cardinal Consalvi (1), l'un des hommes les plus sensibles à la musique. L'habile et. circonspect aménagement d'une fortune considérable, les plaisirs de la table, les émotions tempérées d'une partie de whist, tels étaient les affaires et les délassemens de ce sage, revenu des grandeurs humaines, et qui pouvait dire comme cet autre épicurien du temps de Raphaël : « Vous me demandez ma profession de foi, je ne crois pas plus au noir qu'à l'azur, mais je crois au bon vin, au chapon rôti; en y croyant, on est sauvé (2). »
 
La révolution de février vint surprendre l'heureux dilettante au sein de son bien-être. Saisi d'épouvante et d'horreur à l'aspect des événemens dont Bologne fut le théâtre, il émigra pour Florence, où jusqu'à nouvel ordre il semble avoir installé ses lares domestiques. A Paris, nous aurions peut-être l'impertinence de lui parler encore de sa musique; là, sous ce divin ciel, où chacun fait ce qui lui plaît, sans se préoccuper du voisin, personne ne songe à lui venir corner sa gloire aux oreilles. Une fois le grand-duc a voulu se donner le plaisir d'entendre ''Guillaume Tell''; Rossini a dirigé la représentation, et le lendemain tout était dit. A ce compte, Rossini a bien fait de se sauver de l'autre côté des Alpes, car à Paris la niaiserie du public l'eût condamné à n'être jusqu'à la fin que l'ombre errante de l'auteur de ''Semiramide'' et de ''Moïse'', taudistandis que là-bas il a pu dépouiller le grand homme et jouir de cet ineffable contentement de ne plus s'entendre dire qu'il ''vole la postérité''. A Saint-Pétersbourg, quand l'empereur veut se promener comme un simple mortel sur la Perspective, il se coiffe d'une certaine manière, et dès lors il est convenu que chacun se fera un devoir de ne pas le saluer. Quel malheur qu'un pareil usage ne puisse s'établir en France, au moins pour les hommes de génie, qui trouveraient sans doute par là un moyen d'échapper aux exigences d'un passé trop fameux dont la tyrannie unit par les forcer à déloger!
 
On a dit que le principal caractère du génie est de ne pas laisser après lui les choses au point où il les a trouvées à son avènement. Personne mieux que Rossini ne confirme cette vérité. Jetons un rapide coup d'oeil sur ce qu'était la musique italienne en 1812, au jour de l'apparition du fils d'Anne Guidarini. L'école de chant d'où étaient sortis ces virtuoses tant célèbres auxquels on attribuait le mérite de faire valoir les œuvres même les moins recommandables, mérite dont, hélas! trop souvent ils abusèrent, cette grande école n'existait plus. La plupart des maîtres du siècle précédent avaient quitté ce monde, ceux qui vivaient encore n'écrivaient plus. Les lyres d'or de Cimarosa et de Paisiello restaient muettes; Zingarelli, Fioravanti, Salieri, Portogallo, avaient cessé de chanter. Cherubini et Spontini, devenus français, semblaient à tout jamais perdus pour l'Italie. Quant à la jeune génération, elle n'offrait guère qu'un écho affaibli du passé. Il se peut que, sans cette complexion languissante qui paralysa l'essor de son génie, Pavesi eût répondu plus tard à la haute opinion que Rossini s'était formée de lui sur divers fragmens; Fioravanti continuait en l'exagérant le bouffe de Cimarosa, et pour les Generali, les Caccia, les Nicolini, c'étaient d'honnêtes talens, comme en suscite par douzaine toute personnalité un peu marquante, gens d'esprit, mais non d'invention, et qui n'existent que pour redire. Contre ces imitateurs dépourvus de la veine mélodique des anciens maîtres, et dans les mains de qui l'orchestre allait encore s'appauvrissant, deux musiciens tentèrent une réaction. L'un était le Bavarois Simon Mayr, l'auteur d'une ''Lodoïska'' donnée en 1800, de ''Ginevra di Scozia'' (1803), des ''Misteri Eleusini'' et de vingt autres ouvrages qui longtemps passèrent pour des chefs-d'œuvre aux yeux d'un public auquel Mozart demeurait encore inconnu; l'autre était M. Paër, qui, bien que né en Italie, avait compris de bonne heure le parti qu'on pouvait tirer de l'harmonie allemande. La musique italienne quittait le simple et le facile pour le composé et le savant, et le mérite des compositeurs dont je parle est d'avoir aidé en praticiens habiles à des combinaisons que réclamait l'esprit du temps. J'ai toujours considéré l'orchestre comme an centre de résonnnnce où la voix dominante d'une époque trouve invariablement son écho, et volontiers je le comparerais à ces organes d'une impressionnabilité plus délicate qu'affecte à l'instant même chez certains individus la moindre irritation dans l'économie générale. Prenez l'orchestre du ''Devin du Village'', et dites si cette aimable bucolique où la flûte roucoule à cœur joie ne trahit pas le ''rococo'' sentimental d'une société frivole et maniérée à l'excès. Que la température intellectuelle et morale se modifie, que le retour aux vieilles croyances incline les imaginations au romantisme, et vous n'entendrez bientôt plus que des orgues et des harpes; supposez maintenant une période guerrière, et vous allez voir s'ouvrir le règne des instrumens de cuivre. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces retentissantes fanfares et tout ce vacarme militaire qu'on a tant reprochés depuis à la musique italienne ne s'y rencontrent qu'à dater de Napoléon, et qu'on les trouve pour la première fois dans les opéras écrits de 1811 à 1813 par Generali et les compositeurs qui comme lui s'inspiraient des bulletins de l'empire.