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Histoire générale
Traduction par Vincent Thuillier.
Texte établi par Jean-Baptiste Sauvan, François Charles LiskenneAsselin (Volume 2p. 902-911).
FRAGMENS
DU

LIVRE VINGT-QUATRIÈME.


I.


Plaintes des ambassadeurs de la Grèce contre Philippe. — Réponses que le sénat romain leur donna ainsi qu’à Démétrius, fils du roi de Macédoine.


Il ne se vit peut-être jamais tant d’ambassadeurs de Grèce à Rome, qu’on en vit dans la cxlixe olympiade. Le bruit ne se fut pas plutôt répandu que Philippe était obligé de porter devant des juges les démêlés qu’il avait avec ses voisins, que les Romains écoutaient les plaintes qu’on avait à faire contre ce prince, et qu’ils prenaient sous leur protection les peuples qui avaient contre lui leurs droits ou leurs intérêts à défendre ; ce bruit, dis-je, ne se fut pas plutôt répandu, que de tous les environs de la Macédoine, on ne vit à Rome que des accusateurs contre Philippe, les uns pour eux-mêmes, les autres au nom de leur ville, d’autres encore au nom des nations auxquelles ils s’étaient joints. Il en vint aussi de la part d’Eumène, à la tête desquels était Athénée, frère du roi, pour se plaindre de ce que Philippe n’avait pas évacué les villes de la Thrace, et de ce qu’il avait envoyé du secours à Prusias. Il en était venu encore de Lacédémone, et chaque faction de cette ville y avait ses députés. Pour Philippe, il n’avait auprès du sénat pour défenseur, que son fils Démétrius, qu’il avait fait accompagner de Philoclès et d’Apelles, deux amis en qui il avait une confiance entière. Le premier que le sénat fit appeler fut Athénée, dont il reçut une couronne du prix de quinze mille pièces d’or. Aussi fit-il de grands éloges d’Eumène et de ses frères, les exhortant à persister toujours dans les mêmes sentimens. Les consuls introduisirent ensuite Démétrius et tous les accusateurs de Philippe, les uns après les autres. Ils étaient en si grand nombre, que trois jours entiers se passèrent à les entendre, et que le sénat ne savait comment satisfaire à tous : car il en était venu de la Thessalie, non-seulement au nom du royaume en général, mais de la part de chaque ville. Les Perrhébiens, les Athéniens, les Épirotes, les Illyriens y en avaient aussi envoyé. Les uns reprochaient à Philippe d’avoir empiété sur des terres hors de son district, d’autres d’avoir enlevé des hommes et des bestiaux sur le domaine d’autrui ; ceux-ci, d’avoir empêché que la justice ne fût rendue selon les lois ; ceux-là, d’avoir corrompu les juges. Enfin, il se faisait des plaintes en si grand nombre, qu’il n’était pas possible de les retenir toutes, ni de les ranger dans un certain ordre. Le sénat lui-même ne pouvait pas approfondir et éclaircir tant de faits de différente nature, et il dispensa Démétrius de justifier le roi, son père, sur tout. Il aimait ce prince, qui était alors fort jeune, et nullement en état de répondre aux subtilités et aux chicanes dont se servaient les accusateurs. D’ailleurs Démétrius n’avait que des paroles pour défendre son père, et le sénat voulait connaître à fond les dispositions de Philippe. On se contenta donc de demander au jeune prince et à ses deux amis si le roi ne leur avait pas mis entre les mains quelque mémoire. Démétrius répondit qu’il en avait un, et en même temps produisit un petit livre, où on lui ordonna de lire toutes les réponses que Philippe avait faites en général à toutes les plaintes qu’on pourrait porter contre lui. Le roi disait dans ce livre, qu’il avait exécuté les ordres des Romains ; que si quelquefois il y avait manqué, l’on ne devait s’en prendre qu’à ses accusateurs. Presque sur chaque article, il répétait : « Quoique en cela Cécilius et les autres commissaires ne nous aient pas rendit la justice qu’ils nous devaient. » Et encore : « Quoiqu’en nous donnant ses ordres, on n’ait eu nul égard à la justice. » Ainsi finissaient presque toutes les réponses de Philippe. C’est pourquoi le sénat, après avoir entendu les accusations, satisfit en général à toutes, en disant, par le ministère du consul, que, sur ce qu’avait dit ou lu Démétrius, il était persuadé que Philippe ne s’était pas écarté, et ne s’écarterait pas dans la suite de ce que la justice demandait de lui ; mais qu’on ne lui faisait cette grâce qu’à la considération du prince, son fils ; et, afin qu’il n’en doutât point, qu’on enverrait en Macédoine des ambassadeurs, tant pour examiner s’il se conformait en tout à la volonté du sénat ; que pour lui faire connaître que c’était à Démétrius qu’il était redevable de l’indulgence dont on avait usé à son égard : réponse qui devait d’autant plus flatter le jeune prince, qu’elle était assaisonnée des marques les plus tendres et les plus sincères d’estime et d’amitié, et qu’on ne lui demandait, pour tant de déférences, sinon qu’il fût ami du peuple romain.

Cette affairé conclue, on donna audience aux ambassadeurs d’Eumène, lesquels se plaignirent que Philippe eût envoyé du secours à Prusias, et de ce qu’il n’avait point évacué les villes de la Thrace. Philoclès, qui avait été ambassadeur de la part de Philippe auprès de Prusias, et qui était venu à Rome pour ces deux affaires, par l’ordre du roi de la Macédoine, voulût dire quelque chose pour l’excuser ; mais le sénat, après l’avoir écouté quelque temps, répondit que si les députés, en arrivant dans la Macédoine, ne trouvaient pas ses ordres exécutés et toutes les villes de Thrace remises au roi de Pergame, il aurait raison de cette désobéissance, et ne souffrirait pas qu’on l’amusât plus long-temps par des promesses frivoles. Il paraît de là que si l’indignation des Romains n’éclata point alors contre Philippe, ils ne furent arrêtés que par la présence du prince son fils. Mais si cette ambassade lui fut avantageuse d’un côté, de l’autre elle ne contribua pas peu à la ruine entière de la maison de Macédoine. La grâce que le jeune Démétrius avait obtenue du sénat, lui enfla le cœur. Persée, son frère, et Philippe conçurent une jalousie furieuse de la préférence qu’on avait donnée sur eux au jeune prince. Leurs soupçons furent considérablement augmentés par la conversation secrète qu’eut avec Démétrius je ne sais quel inconnu, qui lui fit entendre que bientôt les Romains le mettraient sur le trône de Macédoine, et qui en même temps écrivit à Philippe qu’il était important pour lui d’envoyer une seconde fois à Rome son fils et ses amis. Ces deux incidens vinrent fort à propos à Persée, pour engager Philippe à consentir à la mort de Démétrius. Nous verrons dans la suite de quelle manière l’arrêt en fut exécuté.

Les ambassadeurs des Lacédémoniens entrèrent après ceux d’Eumène. Quelques-uns demandèrent que leurs bannis fussent remis en liberté, et qu’on leur rendît tous les biens qu’on leur avait ôtés au temps de leur exil. Mais Arée et Alcibiade dirent que c’était assez qu’on leur rendit la valeur d’un talent, et qu’il fallait en partager le reste entre les citoyens qui étaient les plus utiles à l’état. Un autre député, c’était Sérippe, demanda que la république fût rétablie dans la forme de gouvernement qu’elle avait lorsqu’elle était du corps des Achéens. Chason prit la défense de ceux qui avaient été condamnés a mort ou bannis par les Achéens. Il sollicita le retour des exilés, et demanda que la république fût remise dans son premier état. Chacun d’eux avait à l’égard des Achéens des vues particulières, et parlait selon ces vues. Le sénat ne pouvant éclaircir tous ces différends, choisit trois citoyens qui avaient déjà été députés dans le Péloponnèse pour les mêmes affaires, et qui étaient Titus Quintius et Cécilius. On plaida long-temps devant eux toutes ces causes, et l’on convint que les bannis retourneraient dans leur patrie, que ceux qui avaient été condamnés à mort l’avaient été injustement, et que Lacédémone continuerait d’être du corps des Achéens. Restait à décider si l’on rendrait aux bannis tous leurs biens, ou si l’on réduirait ces biens à la valeur d’un talent ; mais c’est sur quoi l’on ne s’accorda point. Au reste, afin qu’on ne revînt pas à disputer sur tous les points, on mit par écrit ce dont on était convenu, et les commissaires ordonnèrent que les parties signassent l’acte qui en avait été dressé. Les Achéens ne l’avaient pas signé. Titus, pour les y engager, fit rappeler Xénarque, qui était venu de leur part, tant pour renouveler l’alliance de ce peuple avec les Romains, que pour soutenir la cause des Achéens contre les ambassadeurs de Lacédémone. Sans l’avoir averti de quoi il s’agissait, il lui demanda brusquement s’il approuvait ce qui avait été décidé. Xénarque, embarrassé, ne savait pas trop ce qu’il devait répondre. Le retour des exilés et la réhabilitation des morts ne lui plaisaient pas trop. Ces deux articles étaient formellement contraires à un décret de sa nation, décret gravé sur une colonne. D’un autre côté, il goûtait fort ce qui avait été conclu, que la ville de Sparte serait du conseil des Achéens. Dans cette incertitude, moitié faute de savoir à quoi s’en tenir, moitié par crainte, il signa l’acte. Après quoi le sénat envoya Quintus Marcius en Macédoine et dans le Péloponnèse, pour y faire exécuter ses ordres. (Ambassades.) Dom Thuillier.


II.


Philopœmen rompt les mesures que Titus et ses ennemis avaient prises contre lui.


Dinocrate de Messène, arrivant à Rome, fut extrêmement content d’y voir que le sénat avait jeté les yeux sur Titus pour l’envoyer auprès de Prusias et de Séleucus. Il comptait que ce Romain, auprès de qui il avait un libre accès pendant la guerre de Lacédémone, et qu’il aimait autant qu’il aimait peu Philopœmen, réglerait, en passant par la Grèce, les affaires de Messène, selon les vues qu’il voudrait et qu’il aurait soin de lui inspirer. Il lui faisait donc assidûment sa cour, et fondait sur lui toutes ses espérances. Ce Messénien était né courtisan et soldat, et en faisant l’un et l’autre métier, il s’y était perfectionné. À ne juger de lui que par les apparences, on l’aurait cru propre aux affaires d’état ; mais on se serait trompé ; il n’avait de la grande science de gouverner qu’une superficie très-méprisable. À la guerre, il se distinguait par son activité et sa hardiesse, et sortait glorieusement d’un combat singulier. Dans la conversation, il était vif et intéressant ; et dans la société, complaisant, civil et sensible à l’amitié. Mais quand il s’agissait des affaires d’état, où il fallait des réflexions, prévoir l’avenir, se précautionner et persuader la multitude, c’était l’homme du monde le plus inepte. Quoiqu’il vit sa patrie dans de grands maux, dont il était la première cause, il ne remua pas pour l’en délivrer. Sans penser aux suites qu’ils pouvaient avoir, il suivit toujours le même train de vie, et ne discontinua pas de donner tout le jour à l’amour, au vin et à la musique. Un mot de Titus l’obligea de se distraire un peu de ses plaisirs, pour faire attention à l’état où était sa patrie. Un jour, ce Romain l’ayant aperçu dans un repas, dansant en robe traînante, ne lui en fit pas sur-le-champ des reproches ; mais le lendemain, Dinocrate l’étant venu trouver pour lui demander quelque chose en faveur du pays : « Je ferai tout mon possible, lui répondit Titus ; mais je m’étonne qu’après avoir suscité aux Grecs des affaires si fâcheuses, vous puissiez danser dans des festins. » Ce mot le fit rentrer en lui-même, et lui apprit que le gouvernement ne convenait ni à sa façon de vivre, ni à son caractère. Au reste, il était venu alors avec Titus dans la Grèce, persuadé qu’incessamment les affaires des Messéniens allaient être réglées à son gré. Philopœmen les attendit sans s’inquiéter, parce qu’il savait, à n’en pouvoir douter, que Titus, sur les affaires de la Grèce, n’avait aucun ordre de la part du sénat. Quand ils eurent pris terre à Naupacte, Titus écrivit au prêteur et aux autres membres du conseil des Achéens de s’assembler. On lui fit réponse qu’on attendait, pour convoquer la multitude, qu’il mandât quelle affaire il avait à communiquer ; que c’était une condition sans laquelle les lois ne permettaient pas d’assembler le conseil pour lui. Par là Philopœmen fit tomber toutes les espérances de Dinocrate et des anciens bannis, et rendit inutile l’arrivée de Titus, qui n’osa supposer des ordres qu’il n’avait pas reçus. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier. (Præsertim Excerpta Valesiana.) Schweigh.


III.


Philippe sort des villes grecques de la Thrace. — Expédition de ce prince contre les Barbares.


Dès que Quintus Marcius fut arrivé dans la Macédoine, Philippe, à la vérité, sortit de toutes les villes de Thrace où des Grecs s’étaient établis et en retira les garnisons ; mais ce ne fut pas sans regret et sans chagrin qu’il se vit obligé de se dépouiller ainsi lui-même. Il eut dans tout le reste la même soumission pour les ordres des Romains. Il lui importait de cacher la haine qu’il avait pour eux, et de gagner du temps pour se disposer à la guerre qu’il se proposait de leur déclarer. Ce fut dans cette vue qu’il marcha contre les Barbares, traversa la Thrace, et se jeta sur le pays des Odrysiens, des Bessiens et des Denthelètes. Il entra d’emblée dans Philippopolis. Les habitans, à son approche, s’étaient enfuis sur les montagnes. Il fit ensuite des courses dans le plat pays, ravagea les uns, recevant les autres à composition. Il mit enfin garnison dans la ville et revint dans son royaume. Cette garnison fut chassée quelque temps après par les Odrysiens, qui ne gardèrent pas la foi qu’ils avaient promise à ce prince. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Commencement des malheurs de Démétrius, fils de Philippe.


Démétrius, de retour en Macédoine, fit connaître la réponse que le sénat lui avait faite. Quand les Macédoniens y virent que c’était en considération de ce prince qu’ils avaient été si favorablement traités, qu’on lui était redevable de la grâce qu’on avait reçue, et que dans la suite il n’y aurait rien que les Romains ne fissent pour l’obliger, ils le regardèrent comme le libérateur de la patrie ; car la manière dont Philippe se conduisait avec les Romains leur faisait craindre que ceux-ci ne vinssent bientôt fondre avec une armée sur la Macédoine. Philippe et Persée furent choqués des honneurs que Démétrius recevait ; ils ne pouvaient digérer que les Romains voulussent qu’on n’eût obligation de leurs faveurs qu’à ce jeune prince. Le père cependant eut assez de force pour cacher en lui-même et dissimuler son chagrin ; mais Persée fit éclater ses ressentimens. C’était un prince qui non-seulement était beaucoup moins aimé des Romains que son frère, mais lui était infiniment inférieur soit par le caractère, soit par les talens ; ce qui lui faisait appréhender que, quoique aîné, il ne fût exclus de la succession à la couronne. Pour prévenir ce malheur, il commença par corrompre et se gagner les amis de Démétrius..... (Ibid.)


Philippe.


Il arriva dans ce temps-là un événement qui fut, pour ce prince et pour tout le royaume de Macédoine, le commencement d’une horrible calamité et qui mérite bien d’être remarquée. La fortune, comme pour tirer vengeance de tous les crimes et de toutes les impiétés dont Philippe avait souillé sa vie, déchaîna contre lui des furies qui, ne le quittant ni le jour, ni la nuit, le tourmentèrent jusqu’au dernier moment de sa vie. Preuve éclatante qu’il est un œil de la justice auquel l’homme ne peut se soustraire et qu’il est impie de mépriser. La première pensée que ces furies vengeresses lui inspirèrent fut que, devant déclarer la guerre aux Romains, il chassât des grandes villes, et en particulier des villes maritimes, tous ceux qui les habitaient avec leurs femmes et leurs enfans, de les transférer dans la province qui, appelée autrefois Péonie, porte aujourd’hui le nom d’Émathie, et de peupler ces villes de Thraces et de Barbares qui, pendant son expédition contre les Romains, lui seraient plus fidèles et plus attachés. Cette transmigration causa un deuil et un tumulte prodigieux dans toute la Macédoine, une irruption d’ennemis n’y aurait pas apporté plus de désordre et de confusion. On ne cacha plus la haine contre le prince ; on éclata en imprécations contre lui.

Cet ordre inhumain fut à peine exécuté, qu’il lui vint dans l’esprit de ne rien laisser qui fût suspect et dont il pût avoir à craindre. Il écrivit aux gouverneurs des villes de rechercher les enfans, tant de l’un que de l’autre sexe, des Macédoniens qu’il avait fait mourir, et de les enfermer dans des prisons. Quoique cet ordre regardât particulièrement Admète, Pyrrhique et Samus, et les autres qui étaient morts avec eux, il s’étendait cependant à tous les autres à qui Philippe avait fait perdre la vie. On dit que, pour justifier cette cruauté, il citait ce vers :

Sot qui, tuant le père, épargne les enfans.

Le sort de ces enfans, qui la plupart venaient de pères illustres et puissans, fit un grand éclat dans le royaume, et il n’y avait personne qui n’en fût vivement touché.

La fortune donna dans le même temps une troisième scène où les propres enfans de Philippe vengèrent les autres de l’inhumanité qu’il avait exercée contre eux. Persée et Démétrius étaient mal ensemble et cherchaient réciproquement à se perdre. Le père fut averti de leur division et de leur haine mutuelle, et l’inquiétude mortelle où il était de savoir lequel des deux serait assez hardi pour tuer l’autre, et duquel des deux il avait à redouter pour lui le même malheur dans sa vieillesse, le tourmentait nuit et jour. Quand on pense à l’état violent où l’esprit de ce prince était perpétuellement, on ne peut s’empêcher de croire que quelques dieux irrités punissaient dans sa vieillesse les crimes qu’il avait commis dans un autre âge. C’est ce que l’on verra encore plus clairement par ce que nous dirons dans la suite. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


IV.


Philopœmen et Lycortas, préteurs des Achéens.


Le premier n’était, en vertus, inférieur à aucun des héros de l’antiquité ; mais du côté de la fortune il n’était pas si favorisé. Lycortas, qui lui succéda, n’était en rien moins estimable que lui.

Philopœmen, pendant quarante ans dans un état populaire et susceptible de vicissitudes infinies, n’entreprit rien dont il ne s’acquittât avec honneur ; et, quoiqu’il n’accordât rien à la faveur et qu’il allât toujours sans respect humain au bien de la république, il eut cependant l’art de se soustraire aux traits de l’envie. En cela, je ne sais si l’on trouverait son semblable. (Ibid.)


Annibal.


C’est une chose singulière que ce général des Carthaginois ait été dix-sept ans en guerre, à la tête d’une armée composée de nations, de pays et de langage différens, qu’il conduisait à des expéditions étonnantes et dont on pouvait à peine espérer quelque succès, sans que jamais aucun de ses soldats se soit avisé de le trahir. (Ibid.)


Publius Scipion.


Après avoir brillé dans les premières charges de la république, ce Romain se vit assigné à comparaître devant le peuple pour répondre à une accusation que je ne sais quel plébéien avait intentée contre lui, selon la coutume des Romains. Il comparut en effet, et l’accusateur lui reprocha beaucoup de choses qui devaient le piquer ; mais il s’était tellement gagné et l’amitié du peuple et la confiance du sénat, qu’après avoir dit simplement qu’il ne convenait pas au peuple romain d’écouter un accusateur de Publius Cornélius Scipion, à qui les accusateurs mêmes devaient la liberté qu’ils avaient de parler, l’assemblée se dissipa et laissa l’accusateur tout seul. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


V.


Différentes réponses du sénat à différens ambassadeurs.


La seconde année de la présente olympiade, il vint à Rome des ambassadeurs de la part d’Eumène, de Pharnace, des Achéens, des Lacédémoniens exilés et de ceux qui étaient dans la ville. Les Rhodiens y en avaient aussi envoyé pour se plaindre du meurtre qui s’était fait dans Sinope. Le sénat répondit aux ambassadeurs de Sinope, d’Eumène et de Pharnace, qu’il députerait pour être informé au juste de l’état des affaires des Sinopéens et des démêlés que les deux rois avaient ensemble.

À l’égard des autres, comme Q. Marcius était tout récemment arrivé de Grèce, de Macédoine et du Péloponnèse, et qu’il avait donné sur ces pays-là tous les éclaircissemens qu’on pouvait souhaiter, le sénat ne jugeait pas qu’il fût nécessaire d’en écouter les ambassadeurs. On fit appeler cependant ceux du Péloponnèse et de la Macédoine, et on les laissa parler. Mais dans la réponse qu’on leur fit et dans les jugemens que l’on porta, on eut moins égard à leurs remontrances qu’au rapport qu’avait fait Marcius ; qu’à la vérité Philippe avait obéi aux ordres du sénat, mais qu’il ne s’y était soumis qu’avec une extrême répugnance, et qu’à la première occasion qui lui paraîtrait favorable, il ne manquerait pas de se déclarer contre les Romains. Sur ce rapport, le sénat loua Philippe de ce qu’il avait fait ; mais il le loua de telle sorte qu’il l’avertissait en même temps de se donner de garde de rien entreprendre contre la république romaine.

Touchant le Péloponnèse, Q. Marcius avait rapporté que les Achéens ne voulaient renvoyer aucune affaire au sénat, et que c’était une ligue fière et orgueilleuse qui prétendait tout décider par elle-même ; que si les pères ne les écoutaient que de certaine façon et témoignaient tant soit peu n’être pas contens de leurs procédés, les Lacédémoniens feraient certainement la paix avec Messène, et qu’alors les Achéens viendraient en supplians implorer le secours des Romains. Sur quoi le sénat fit réponse à Sérippe, ambassadeur de Lacédémone, qu’il avait fait jusqu’alors pour les Lacédémoniens tout ce qui lui avait été possible ; mais que pour le présent il ne croyait pas que le différend qu’ils avaient avec les Messéniens le regardât. Le sénat répondit ainsi pour laisser les Lacédémoniens en suspens. Quand ensuite les Achéens demandèrent qu’en vertu du traité d’alliance, on leur donnât, si l’on pouvait, du secours contre les Messéniens, ou que, si cela ne se pouvait pas, on prît du moins des mesures pour empêcher qu’il n’allât d’Italie à Messène ni armes, ni vivres, on ne leur accorda ni l’un, ni l’autre. Loin de là, le sénat répondit que quand les Lacédémoniens, ou les Corinthiens, ou les Argiens, se détacheraient de la ligue des Achéens, ceux-ci ne devraient pas être surpris que les pères ne s’intéressassent pas à cette séparation. C’était comme publier à son de trompe qu’ils permettaient à qui que ce fût de se séparer de la ligue des Achéens. On retint après cela les ambassadeurs à Rome jusqu’à ce qu’on eût appris quel avait été le succès de l’expédition des Achéens contre ceux de Messène. Voilà ce qui se faisait alors en Italie. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Députation à Rome de la part des Lacédémoniens exilés.


Les exilés de Lacédémone firent à Rome une députation, dans laquelle se trouvaient Arcésilas et Agésipolis, qui dans son enfance avait été roi de Sparte. Ces députés furent pris par des pirates qui les tuèrent. On leur en substitua d’autres qui arrivèrent sains et saufs à Rome. (Ibid.)


VI.


Lycortas, après avoir soumis les Messéniens, venge la mort de Philopœmen.


Après que Lycortas, préteur des Achéens, eut jeté la terreur parmi les Messéniens, ceux-ci, au lieu de se plaindre comme autrefois de la rigueur du gouvernement, osaient à peine, quoique secourus par les ennemis, ouvrir la bouche et dire qu’il fallait députer pour traiter de la paix. Dinocrate lui-même, environné de tous les côtés, prit le parti de céder au temps et de se retirer chez lui. Alors les Messéniens, dociles aux avis de leurs anciens, et surtout des ambassadeurs de Béotie, Épénète et Apollodore, qui heureusement se trouvaient alors à Messène pour négocier la paix, les Messéniens, dis-je, députèrent pour finir la guerre et demander pardon de leurs fautes passées. Lycortas assembla les autres magistrats, et, après avoir entendu les députés, il leur dit que l’unique moyen qu’avaient les Messéniens pour obtenir la paix, était de livrer les auteurs de la rébellion et de la mort de Philopœmen, de remettre tous leurs intérêts à la disposition des Achéens, et de recevoir garnison dans leur citadelle. La réponse du préteur divulguée, ceux d’entre le peuple qui depuis long-temps voulaient du mal aux auteurs de la guerre étaient très-disposés à s’en saisir et à les livrer. D’autres, qui croyaient n’avoir rien à craindre de la part des Achéens, consentaient aussi volontiers qu’on abandonnât tout à leur discrétion. Et il fallait bien que les uns et les autres acceptassent les conditions, puisqu’il ne leur restait aucune autre ressource. La citadelle fut donc aussitôt ouverte au préteur, qui y mit des rondachers. Il entra ensuite dans la ville suivi d’un corps de troupes choisies. Il convoqua la multitude, lui fit une harangue convenable aux conjonctures présentes, et lui promit que jamais il ne manquerait à la foi qu’il lui avait donnée. Pour les affaires générales, il les renvoya toutes au conseil des Achéens, qui devait fort à propos s’assembler à Mégalopolis. Il fit encore justice de tous ceux qui étaient convaincus de quelque crime, et condamna à mort ceux qui avaient trempé dans la mort de Philopœmen. (Ibid.)


VII.


Philippe.


Jamais roi ne fut plus infidèle et plus ingrat que l’était ce prince, lorsque sa puissance vint à s’accroître et qu’il fut le maître chez les Grecs ; jamais roi ne fut plus modeste et plus raisonnable que lui, lorsqu’il cessa d’avoir le vent de la fortune en poupe. Quand ses affaires furent entièrement dérangées, tranquille sur tout ce qui pourrait lui arriver, il tenta toutes sortes de moyens pour rétablir son royaume dans son premier état. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Sur Philippe.


Voilà donc la vengeance que tirèrent de Philippe ses propres amis jusqu’au jour où il quitta la vie. Un pareil exemple rend manifeste ce que dit le proverbe, qu’aucun mortel ne doit mépriser l’œil vigilant de la justice.

Philippe, roi de Macédoine, après avoir fait périr un grand nombre de Macédoniens, ordonna aussi le massacre de leurs enfans, se fondant, dit-on, sur ce vers qu’il récita :

Fou qui pardonne au fils dont il tua le père.

Son âme, aveuglée par la fureur, poursuivait dans les enfans la haine implacable qu’il avait vouée aux parens. (Angelo Mai et Jacobus Geel, ubi suprà.)


De la discorde des frères Démétrius et Persée.


La fortune faisait à cette époque monter, pour ainsi dire, sur un théâtre et comparaître devant tous les aventures de ces deux frères. Ce n’était pas seulement pour que nous y vissions de simples tragédies, des fables ou des histoires, mais pour que chacun y reconnût clairement que chaque fois que des frères laisseront naître et s’envenimer ces haines odieuses, non-seulement ils périront, mais encore ils occasionneront la ruine de leurs enfans et de leurs états. Chaque fois, au contraire, qu’ils conserveront les uns pour les autres une affection indulgente, ils deviendront les sauveurs des états dont j’ai parlé, et vivront avec gloire cités et loués dans l’univers.

Combien de fois, en vous parlant des rois de Lacédémone, ne vous ai-je pas dit qu’ils conservèrent à leur patrie l’empire de la Grèce tant qu’ils voulurent gouverner ensemble, sous la tutelle vigilante et paternelle des éphores ; mais, qu’aussitôt qu’ils aspirèrent chacun pour soi à la monarchie et qu’ils troublèrent l’état, ils accablèrent Sparte des plus affreux malheurs. Comme exemple plus frappant et plus rapproché, je citerai Attalus et Eumène, qui ont su, d’un si faible empire, faire un état si florissant, qu’il ne le cède à aucun autre. Comment y sont-ils parvenus, sinon par la concorde, la bonne intelligence, l’harmonie qui régna dans toutes leurs actions. Vous connaissez ces exemples, bien que votre conduite prouve que vous êtes loin de les prendre pour guides. (Ibid.)

(Ce fragment semble être un discours adressé par Philippe à ses fils.)


VIII.


Philopœmen, général des Achéens, fut empoisonné.


Ce fut un homme que personne avant lui ne surpassa en mérite, mais qui ne put maîtriser la fortune, bien qu’elle ait semblé dans le cours de sa vie s’associer à lui et le seconder. À cet égard, je pense comme le proverbe, qu’un homme peut être heureux, mais que ce bonheur l’accompagne rarement jusqu’à la fin de ses jours. Aussi faut-il féliciter, non pas ceux qui furent toujours heureux (car on ne doit pas sottement adorer la Fortune), mais ceux qui, dans leur carrière, parvinrent à se rendre favorable cette déesse malgré ses caprices, et n’éprouvèrent que des disgrâces supportables. (Ibid.)


IX.


Comme on délibérait dans le sénat au sujet d’une somme destinée à des besoins urgens, et que le questeur alléguait une loi qui ne permettait pas d’ouvrir le trésor ce jour-là, Popilius demanda les clefs, et dit qu’il l’ouvrirait lui-même, prenant sur lui la responsabilité du fait. Dans une autre assemblée du sénat, où on l’engageait de s’expliquer sur l’argent qu’il avait reçu d’Antiochus avant la trève, pour la solde de l’armée, il répondit que ses comptes étaient en règle, mais qu’il ne se croyait pas obligé de les rendre. Pressé cependant par celui qui l’interpellait de montrer ces comptes, Popilius envoya son frère pour chercher les registres. Lorsqu’ils furent apportés, Popilius les ouvrit en présence de tous, fit chercher au questionneur le compte réclamé, et, s’adressant aux autres, leur demanda comment ils exigeaient qu’il justifiât de l’emploi de trois mille talens, quand eux-mêmes ne s’inquiétaient pas de montrer dans quel trésor on portait les quinze mille talens que leur payait Antiochus. Que ne m’interrogez-vous aussi, ajouta-t-il, afin de savoir comment vous êtes devenus maîtres de l’Asie, de la Libye et de l’Espagne ? Ces paroles réduisirent au silence non-seulement l’assemblée, mais encore l’accusateur. Ceci soit dit en passant, tant pour rappeler le souvenir des vertus d’autrefois, que pour allumer le désir des grandes actions dans le cœur de nos descendans. (Angelo Mai et Jacobus Geel, ubi suprà.)