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encore qu’ils aient leur raison d’être, — on serait tenté de dire leur justification et leur utilité, — dans la constitution naturelle du sujet. Nous demandons, et nos peintres, de leur côté, tout en proclamant avec Poussin que « la fin de la peinture est la délectation, » s’imposent quelque chose de plus que de flatter les yeux ; ils veulent aussi satisfaire l’esprit. Un Français mêlera toujours je ne sais quel vague regret à la sincérité de son admiration pour un chef-d’œuvre tel que les ''Noces de Cana'', du Véronèse, mais quand il louera dans ''les Pèlerins d’Emmaüs'', de Rembrandt, la vulgarité même et la réalité fortement accentuée des types, ce ne sera jamais que par une espèce d’abjuration de son goût national et un courageux effort d’impartialité théorique. On peut craindre, à la vérité, que nous ne nous soyons pas toujours assez tenus en garde contre cette disposition à chercher dans la peinture et y réclamer des qualités qui ne sont qu’occasionnellement pittoresques. C’est une erreur à l’artiste que d’affecter la réputation du penseur. Ni la sculpture, ni la peinture ne sont évidemment des modes d’expression de la raison pure. Passe encore de peindre « pour les gens d’esprit, » ou même, comme on en fait un mérite à Poussin, « pour les philosophes ; » mais peindre « pour les logiciens, » il est permis de dire que c’est excéder les bornes de la peinture. L’importance trop grande accordée par l’école française à la composition rationnelle nous a fait tomber de proche en proche à la peinture littéraire. S’il y a vraiment dans le tableau de Poussin ; ''les Israélites recueillant la manne dans le désert'', toutes les intentions que Le Brun y discerne, il faut bien convenir que toute cette psychologie pittoresque approche parfois de la puérilité. Nous n’avons pas su nous retenir sur la pente. Ai-je en effet besoin de faire une fois de plus remarquer la place que le sujet, c’est-à-dire l’anecdote, le fait divers, — pour ne pas dire la devinette, — a prise dans notre peinture moderne ? Comme s’il y avait quelque chose de moins pittoresque au monde que le motif lithographique, ''le Convoi du pauvre'', ou ''le Départ de l’émigrant'' ? Mais, d’autre part, il n’est pas moins vrai que, dans les grands sujets, la composition et l’ordonnance importent, et qu’elles y sont régies par des lois qui ne sont pas uniquement celles de la couleur et du dessin. C’est une question de mesure, on pourrait dire même : c’est une question de dimension.
encore qu’ils aient leur raison d’être, — on serait tenté de dire leur justification et leur utilité, — dans la constitution naturelle du sujet. Nous demandons, et nos peintres, de leur côté, tout en proclamant avec Poussin que « la fin de la peinture est la délectation, » s’imposent quelque chose de plus que de flatter les yeux ; ils veulent aussi satisfaire l’esprit. Un Français mêlera toujours je ne sais quel vague regret à la sincérité de son admiration pour un chef-d’œuvre tel que les ''Noces de Cana'', du Véronèse, mais quand il louera dans ''les Pèlerins d’Emmaüs'', de Rembrandt, la vulgarité même et la réalité fortement accentuée des types, ce ne sera jamais que par une espèce d’abjuration de son goût national et un courageux effort d’impartialité théorique. On peut craindre, à la vérité, que nous ne nous soyons pas toujours assez tenus en garde contre cette disposition à chercher dans la peinture et y réclamer des qualités qui ne sont qu’occasionnellement pittoresques. C’est une erreur à l’artiste que d’affecter la réputation du penseur. Ni la sculpture, ni la peinture ne sont évidemment des modes d’expression de la raison pure. Passe encore de peindre « pour les gens d’esprit, » ou même, comme on en fait un mérite à Poussin, « pour les philosophes ; » mais peindre « pour les logiciens, » il est permis de dire que c’est excéder les bornes de la peinture. L’importance trop grande accordée par l’école française à la composition rationnelle nous a fait tomber de proche en proche à la peinture littéraire. S’il y a vraiment dans le tableau de Poussin : ''les Israélites recueillant la manne dans le désert'', toutes les intentions que Le Brun y discerne, il faut bien convenir que toute cette psychologie pittoresque approche parfois de la puérilité. Nous n’avons pas su nous retenir sur la pente. Ai-je en effet besoin de faire une fois de plus remarquer la place que le sujet, c’est-à-dire l’anecdote, le fait divers, — pour ne pas dire la devinette, — a prise dans notre peinture moderne ? Comme s’il y avait quelque chose de moins pittoresque au monde que le motif lithographique, ''le Convoi du pauvre'', ou ''le Départ de l’émigrant'' ? Mais, d’autre part, il n’est pas moins vrai que, dans les grands sujets, la composition et l’ordonnance importent, et qu’elles y sont régies par des lois qui ne sont pas uniquement celles de la couleur et du dessin. C’est une question de mesure, on pourrait dire même : c’est une question de dimension.


Si donc l’école, par la suite, eut le tort certain de s’exagérer l’importance de cette partie de la peinture, jusqu’à y sacrifier les autres, l’Académie royale eut raison pourtant, dans ses conférences, d’y accorder plus d’attention que n’avaient fait en général les écoles d’Italie. Testelin avait raison quand il reprochait au Bassan, dans un tableau qui représentait ''le Retour de l’enfant prodigue'' « d’avoir éloigné les figures principales dans le derrière du tableau et de les avoir fait fort petites, tandis qu’il faisait paraître sur le devant une grande cuisine et des gens qui habillent un veau gras. » Coypel encore, quelques
Si donc l’école, par la suite, eut le tort certain de s’exagérer l’importance de cette partie de la peinture, jusqu’à y sacrifier les autres, l’Académie royale eut raison pourtant, dans ses conférences, d’y accorder plus d’attention que n’avaient fait en général les écoles d’Italie. Testelin avait raison quand il reprochait au Bassan, dans un tableau qui représentait ''le Retour de l’enfant prodigue'' « d’avoir éloigné les figures principales dans le derrière du tableau et de les avoir fait fort petites, tandis qu’il faisait paraître sur le devant une grande cuisine et des gens qui habillent un veau gras. » Coypel encore, quelques