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Enfin comment puis-je reconnaître Dieu dans un Juif de la populace, condamné au dernier supplice pour avoir mal parlé des magistrats à cette populace, et suant d’une sueur de sang<ref>Luc, {{rom|xxii|22}}, 43, 44. </ref> dans l’angoisse et dans la frayeur que lui inspirait la mort ? Est-ce là Platon ? est-ce là Socrate, ou Antonin, ou Épictète, ou Zaleucus, ou Solon, ou Confucius ? Qui de tous ces sages n’a écrit, n’a parlé d’une manière plus conforme aux idées que nous avons de la sagesse ? Et comment pouvons-nous juger autrement que par nos idées ?
Enfin comment puis-je reconnaître Dieu dans un Juif de la
populace, condamné au dernier supplice pour avoir mal parlé
des magistrats à cette populace, et suant d’une sueur de sang<ref>Luc, xxii, 43, 44. </ref>
dans l’angoisse et dans la frayeur que lui inspirait la mort ? Est-ce
là Platon ? est-ce là Socrate, ou Antonin, ou Épictète, ou Zaleucus,
ou Solon, ou Confucius ? Qui de tous ces sages n’a écrit, n’a parlé
d’une manière plus conforme aux idées que nous avons de la sagesse ? Et comment pouvons-nous juger autrement que par nos
idées ?


Quand je vous ai dit que j’adoptais quelques maximes de Jésus, vous avez dû sentir que je ne puis les adopter toutes. J’ai été affligé en lisant<ref>Matthieu, {{rom|x|10}}, 34, 35.</ref> : « Je suis venu apporter le glaive, et non la paix ; je suis venu diviser le fils et le père, la fille, la mère, et les parents. » Je vous avoue que ces paroles m’ont saisi de douleur et d’effroi ; et si je regardais ces paroles comme une prophétie, je croirais en voir l’accomplissement dans les querelles qui ont divisé les chrétiens dès les premiers temps, dans les guerres civiles qui leur ont mis les armes à la main pendant tant de siècles, dans les assassinats de tant de princes, dans les horribles malheurs de tant de familles.
Quand je vous ai dit que j’adoptais quelques maximes de
Jésus, vous avez dû sentir que je ne puis les adopter toutes. J’ai
été affligé en lisant<ref>Matthieu, {{rom|x|10}}, 34, 35.</ref> : « Je suis venu apporter le glaive, et non la
paix ; je suis venu diviser le fils et le père, la fille, la mère, et les
parents. » Je vous avoue que ces paroles m’ont saisi de douleur
et d’effroi ; et si je regardais ces paroles comme une prophétie, je
croirais en voir l’accomplissement dans les querelles qui ont divisé les chrétiens dès les premiers temps, dans les guerres civiles
qui leur ont mis les armes à la main pendant tant de siècles, dans
les assassinats de tant de princes, dans les horribles malheurs de
tant de familles.


J’avoue encore que des mouvements d’indignation et de pitié se sont élevés dans mon cœur, quand j’ai vu Pierre faire apporter à ses pieds l’argent de ses sectateurs. Ananie et Saphire<ref>Act., {{rom|v|5}}, 1-10.</ref> ont gardé quelque chose pour eux du prix de leur champ ; ils ne l’ont pas dit, et Pierre les punit en faisant mourir subitement le mari et la femme. Hélas ! ce n’était pas là le miracle que j’attendais de ceux qui disent qu’ils ne veulent pas la mort du pécheur, mais sa conversion. J’ai osé pensé que si Dieu faisait des miracles, ce serait pour guérir les hommes, et non pour les tuer ; ce serait pour les corriger, et non pour les perdre ; qu’il est un Dieu de miséricorde, et non un tyran homicide. Ce qui m’a le plus révolté dans cette histoire, c’est que Pierre, ayant fait mourir Ananie, et voyant venir Saphire sa femme, ne l’avertit pas, ne lui dit pas : « Gardez-vous de réserver pour vous quelques oboles ; si vous en avez, avouez tout, donnez tout, craignez le sort de votre mari » ; au contraire, il la fait tomber dans le piége ; il semble qu’il se réjouisse de frapper une seconde victime. Je vous avoue que cette aventure m’a toujours fait dresser les cheveux, et que
J’avoue encore que des mouvements d’indignation et de pitié
se sont élevés dans mon cœur, quand j’ai vu Pierre faire apporter à
ses pieds l’argent de ses sectateurs. Ananie et Saphire<ref>Act., {{rom|v|5}} 1-10.</ref> ont gardé
quelque chose pour eux du prix de leur champ ; ils ne l’ont pas
dit, et Pierre les punit en faisant mourir subitement le mari et
la femme. Hélas ! ce n’était pas là le miracle que j’attendais de
ceux qui disent qu’ils ne veulent pas la mort du pécheur, mais sa
conversion. J’ai osé pensé que si Dieu faisait des miracles, ce
serait pour guérir les hommes, et non pour les tuer ; ce serait
pour les corriger, et non pour les perdre ; qu’il est un Dieu de
miséricorde, et non un tyran homicide. Ce qui m’a le plus révolté dans cette histoire, c’est que Pierre, ayant fait mourir Ananie, et voyant venir Saphire sa femme, ne l’avertit pas, ne lui dit
pas : « Gardez-vous de réserver pour vous quelques oboles ; si
vous en avez, avouez tout, donnez tout, craignez le sort de votre
mari » ; au contraire, il la fait tomber dans le piège ; il semble
qu’il se réjouisse de frapper une seconde victime. Je vous avoue
que cette aventure m’a toujours fait dresser les cheveux, et que