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L’AVALEUR DE SABRES

Et ce secret, eu égard à l’expression du sourire, ne devait pas être à l’avantage de monsieur le marquis de Rosenthal.

Ces demoiselles en étaient venues à traduire ce sourire vaguement, mais tristement, et quand monsieur le marquis de Rosenthal passait, elles disaient :

— C’est ce pauvre jeune homme !

Un peu comme s’il lui eût manqué un bras ou un œil.

Le lendemain de cette soirée que nous avons passée en compagnie des membres du Club des Bonnets de soie noire, entre cinq et six heures du matin, Saladin frappa à la porte d’une petite chambrette, située au plus haut étage de la plus haute maison de la rue Vivienne, et qui était la retraite de mademoiselle Marguerite Baumspiegelnergarten.

On demanda : « Qui est là ? » et monsieur le marquis de Rosenthal se nomma.

Aussitôt, il se fit un bruit dans la chambre, où mademoiselle Guite n’était évidemment pas seule. Il y eut des allées, des venues, un son flasque de pantoufles, un retentissement sec de talons de bottes ; en même temps on causait et l’on ne se gênait vraiment pas pour rire.

Monsieur le marquis de Rosenthal n’avait pas l’air formalisé le moins du monde, seulement, comme il était pressé, il laissait de temps en temps échapper un geste d’impatience en se promenant sur le carré.

Au bout d’un quart d’heure, la porte de mademoiselle Guite s’ouvrit. Un jeune homme sortit qui ressemblait assez à un commis de nouveautés. Il salua monsieur le marquis de Rosenthal avec un sourire moqueur qui ne manquait pas d’une certaine impertinence. Monsieur le marquis lui rendit son salut gravement et entra.

La chambrette était fort en désordre. Guite, vêtue d’un peignoir de mousseline, avait commencé à se coiffer devant sa petite toilette. Ses cheveux magnifiques étaient épars ; elle avait les épaules demi-nues.

Et ses épaules, en vérité, étaient remarquablement belles.

Saladin ne les regarda pas. Il s’assit sur une chaise et dit :

— Allons, allons, mignonne, nous sommes en retard.

Guite rejeta ses cheveux prodigues en arrière et lui envoya le plus coquet de ses sourires.

— Vous êtes donc bien avare de votre temps ? dit-elle.

— Je n’en ai pas à perdre, répliqua Saladin.

— Ah ça, s’écria Guite en frappant du pied et avec un dépit qui devait avoir sa source dans le lointain d’autres entrevues, est-ce que vous ne me trouvez pas jolie, dites donc, à la fin ?

— Si fait, répondit Saladin, je vous ai choisie parce que vous êtes jolie.

— Et vous n’êtes pas jaloux ? demanda encore la fillette effrontée d’un accent où débordait le dédain.

— Ma foi non, repartit Saladin, dépêchons-nous, s’il vous plaît.

Mademoiselle Guite rougit de colère.

— Vous êtes…, commença-t-elle.

Mais elle s’arrêta et reprit en riant :

— Après tout, qu’est-ce que cela me fait !

Saladin s’approcha d’elle et lui toucha la joue d’une main que Guite trouva froide comme la peau d’un reptile. Elle se détourna à demi, curieuse de ce qu’il allait dire. Saladin répéta seulement :