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L’AVALEUR DE SABRES

— Et savez-vous un peu dessiner, docteur ? demanda encore Saladin.

— Je crois deviner…, voulut dire le docteur.

— Devinez tant que vous voudrez, interrompit Saladin, je n’ai pas l’intention de vous parler en paraboles, mais répondez.

— Eh bien ! oui, fit le docteur, s’il s’agit d’un fruit je le dessinerais, je le peindrais même, ayant cherché autrefois dans les arts une distraction et un délassement.

Saladin se leva.

— Messieurs, dit-il, je suis tout particulièrement satisfait d’avoir noué avec vous des relations qui ne peuvent manquer d’être fructueuses pour vous et pour moi. La séance est levée, à moins que vous n’ayez quelques communications à me faire.

— Mais, dit Comayrol, nous n’avons arrêté aucune mesure.

— En effet, soupira Jaffret, notre jeune Maître nous laisse dans un crépuscule un peu inquiétant.

Saladin leur tendit la main à tous les deux.

— Nous ne nous séparons pas pour longtemps, mes très chers, répondit-il ; dormez bien seulement cette nuit, car je ne répondrais pas de votre sommeil pour la nuit qui viendra.

— Il fera jour ? demanda le Prince.

— Vous ne sauriez croire, répondit Saladin, comme ces vieilles formules, reste d’un temps qui était l’enfance de l’art, me semblent puériles… mais enfin ne changeons rien : il est des traditions qui sont respectables. Je vous laisse. Chacun de vous entendra parler de moi demain avant midi. Si dans vos sagesses vous trouviez qu’il est bon d’attacher le Gioja ici présent par la patte, je vous laisse carte blanche. Docteur, préparez vos caustiques, vos réactifs et toute votre boîte à couleurs ; demain, à la première heure, je serai chez vous. Et à propos de cela, s’interrompit-il, voulez-vous bien me donner votre adresse ?

Le Dr Samuel lui tendit sa carte.

— Je me rendrai chez vous, poursuivit Saladin, avec une charmante jeune personne très douillette, je vous en préviens, et qu’il ne faudra pas faire crier, à laquelle vous aurez la bonté, remplaçant en ceci la Providence, d’appliquer sur le sein droit une cerise de l’espèce dite bigarreau, qui lui vient d’une envie de sa mère.

Il salua à la ronde et prit la porte.

Un grand silence régna, après sa sortie, dans le petit salon qui servait de sanctuaire aux membres du Club des Bonnets de soie noire. Le docteur tournait ses pouces, Jaffret buvait son punch à petites gorgées, et Comayrol allumait une forte pipe qu’il avait gardée jusqu’alors dans sa poche, peut-être par respect.

Ce fut le fils de Louis XVII qui rompit le silence.

— Il paraît, dit-il, que nous allons être menés grand train !

— Peuh ! fit Comayrol.

— Il a de l’acquit pour son âge, dit le bon Jaffret, mais si l’ami Gioja n’était pas une poule mouillée de qualité supérieure, l’affaire du flambeau n’était pas forte.

— J’attendais un regard pour frapper, dit l’Italien d’un air sombre.

— La force du petit, fit observer Samuel, est évidemment dans le