« Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/366 » : différence entre les versions

 
(Aucune différence)

Dernière version du 13 mai 2021 à 18:24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous les acides agissent sur l’étain, et quelques-uns le dissolvent avec la plus grande énergie ; on peut même dire qu’il est non seulement dissous, mais calciné par l’acide nitreux, et cet exemple, comme nombre d’autres, démontre assez que les acides n’agissent que par le feu qu’ils contiennent[1]. Le feu de l’acide nitreux exerce son action avec tant de violence sur l’étain qu’il le fait passer, sans fusion, de son état de métal à celui d’une chaux tout aussi blanche et tout aussi peu fusible que la potée, ou chaux produite par l’action d’un feu violent ; et, quoique cet acide semble dévorer ce métal, il le rend néanmoins avec autant de facilité qu’il s’en est saisi ; il l’abandonne en s’élevant en vapeurs, et il conserve si peu d’adhésion avec cette chaux métallique, qu’on ne peut pas en former un sel. Le nitre, projeté sur l’étain en fusion, s’enflamme avec lui et hâte sa calcination, comme il hâte aussi celle des autres métaux qui peuvent se calciner ou brûler.

L’acide vitriolique, au contraire, ne dissout l’étain que lentement et sans effervescence ; il faut même qu’il soit aidé d’un peu de chaleur pour que sa dissolution commence, et pendant qu’elle s’opère, il se forme du soufre qui s’élève en vapeurs blanches, et qui quelquefois surnage la liqueur comme de l’huile, et se précipite par le refroidissement. Cette dissolution de l’étain par l’acide vitriolique donne un sel composé de cristaux en petites aiguilles entrelacées.

L’acide marin exige plus de chaleur que l’acide vitriolique pour dissoudre l’étain ; il faut que ce premier acide soit fumant ; les vapeurs qui s’élèvent pendant cette dissolution assez lente ont une odeur arsenicale ; la liqueur de cette dissolution est sans couleur et limpide comme de l’eau ; elle se change presque tout entière en cristaux par le refroidissement. « L’étain, dit M. de Morveau, a une plus grande affinité avec l’acide marin que plusieurs autres substances métalliques, et même que l’argent, le mercure et l’antimoine, puisqu’il décompose leurs sels. L’étain, mêlé avec le sublimé corrosif, dégage le mercure, même sans le secours de la chaleur, et l’on tire de ce mélange, à la distillation, un esprit de sel très fumant, connu sous le nom de liqueur de Libavius[2]. » Au reste, les cristaux qui se forment dans la dissolution de l’étain par l’acide marin se résolvent en liqueur par la plus médiocre chaleur, et même par celle de la température de l’air en été.

L’eau régale n’a pas besoin d’être aidée de la chaleur pour attaquer l’étain, elle le dissout même en grande quantité ; une eau régale, faite de deux parties d’acide nitreux et d’une partie d’acide marin, dissout très bien moitié de son poids d’étain en grenailles[3], même à froid : en délayant cette dissolution dans une grande quantité d’eau, l’étain se sépare de l’acide sous la forme d’une chaux blanche ; et, lorsqu’on mêle cette dissolution avec une dissolution d’or, faite de même par l’eau régale, et qu’on les délaie dans une grande quantité d’eau, il se forme un précipité couleur de pourpre, connu sous le nom de

  1. Je ne dois pas dissimuler que la raison des chimistes est ici bien différente de la mienne : ils disent que c’est en prenant le phlogistique de l’étain que l’acide nitreux le calcine, et ils prétendent le prouver par ce que, dans cette opération, l’acide prend les mêmes propriétés que lui donne le charbon, et que l’étain qui a passé dans l’acide nitreux, quoique non dissous, ne se laisse plus dissoudre, et que, par conséquent, en supposant dans cette opération que l’étain fût calciné par le feu de l’acide, il devrait brûler de nouveau, et que cependant il est de fait que la chaux d’étain et l’acide nitreux n’ont plus aucune action l’un sur l’autre. Cette raison des chimistes est tirée de leur système sur le phlogistique, qu’ils mettent en jeu partout, et lors même qu’il n’en est nul besoin. L’étain contient sans doute du feu et de l’air fixe, comme tous les autres métaux ; mais ici le feu contenu dans l’acide nitreux suffit, comme tout autre feu étranger, pour produire la calcination de ce métal sans rien emprunter de son phlogistique.
  2. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 238 et 239.
  3. Idem, p. 373. « Cette dissolution, ajoute ce savant chimiste, fournit quelquefois des cristaux en aiguilles par une évaporation très lente. »