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Nous avons seulement montré que les résultats de la lutte n’étaient pas toujours également heureux ni ses procédés toujours également indispensables. Nous avons indiqué, en conséquence, que la théorie darwinienne dérivait d’une vue trop étroite de l’ensemble et du mouvement des êtres. Mais, dans la réalité, un principe n’efface pas l’autre ; des forces opposées coexistent ; le germe de la discorde, dit M. Fouillée[1], subsiste à côté du germe de la concorde. C’est pourquoi nous ne prétendons pas qu’il suffise à l’humanité, pour trouver sa vraie voie, de consulter plus méthodiquement la nature. Nous n’opposons pas ici, à la morale « scientifique » du pessimisme darwinien, une autre morale « scientifique » qui serait celle de l’optimisme solidariste. Et ce qui se dégage de plus net de notre recherche sur les leçons de la biologie, c’est l’extrême difficulté où est l’homme de « laisser parler la nature » pour enregistrer son conseil : la conseillère parle plusieurs langages, et varie ses réponses suivant les idées préconçues des enquêteurs.

Il reste qu’en attirant l’attention sur la multiplicité des sens ou des modes de l’évolution organique, et en limitant la vérité du darwinisme, nous avons libéré notre idéal des prophéties fatalistes dont on le poursuivait. Il n’est pas dès à présent démontré par la seule observation du « processus cosmique », que les hommes soient condamnés éternellement, sous peine de déchéance, à s’entre-dévorer. Dans le monde animal déjà il arrive que les êtres survivent et s’élèvent par des procédés moins brutaux et comme plus humains. Il est naturel que nos sociétés préfèrent ces procédés, et s’organisent de façon à rétrécir, autant qu’il est possible, le champ laissé aux autres. Il est faux que cet effort pour faire prédominer, sur les tendances adverses, certaines tendances de l’évolution, soit condamné d’avance.


  1. Nietzche et l’Immoralisme, p. 276 (Paris, F. Alcan). Mackintosh, From Darwin, p. 267.