« Les Prolégomènes » : différence entre les versions

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{{Titre|Les prolégomènes. Première partie|[[Ibn Khaldoun]]|1377}}
 
<small>(1863). Traduits en Français et commentés par William MAC GUCKIN, Baron DE SLANE, membre de l’Institut. (1801-1878).</small>
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=Premier discours préliminaire.=
 
Ce discours préliminaire servira à démontrer que la réunion des hommes en société est une chose nécessaire. C’est ce que les philo­sophes ont exprimé par cette maxime : « L’homme, de sa nature, est citadin. » Ils veulent dire, par ces mots, que l’homme ne saurait se passer de société, terme que, dans leur langage, ils remplacent par celui de cité. Le mot civilisation 1 exprime la même idée. Voici la preuve de leur maxime : Dieu le tout‑puissant a créé l’homme et lui a donné une forme qui ne peut exister sans nourriture. Il a voulu que l’homme fût conduit à chercher cette nourriture par une impulsion innée et par le pouvoir qu’il lui a donné de se la procurer. Mais la force d’un individu isolé serait insuffisante pour obtenir la quantité d’aliments dont il a besoin, et ne saurait lui procurer ce qu’il faut pour soutenir sa vie. Admettons, par la supposition la plus modérée, que l’homme obtienne assez de blé pour se nourrir pendant un jour ; il ne pourrait s’en servir qu’à la suite de plusieurs manipu­lations, le grain devant subir la mouture, le pétrissage et la cuisson Chacune de ces opérations exige des ustensiles, des instruments, qui ne sauraient être confectionnés sans le concours de divers arts, tels que ceux du forgeron, du menuisier et du potier. Supposons même que l’homme mange le grain en nature, sans lui faire subir aucune préparation ; eh bien ! pour s’en procurer il doit se livrer à des travaux encore plus nombreux, tels que l’ensemencement, la moisson et le foulage, qui fait sortir le blé de l’épi qui le renferme. Chacune de ces opérations exige encore des instruments et des procédés d’art beau­coup plus nombreux que ceux qui, dans le premier cas, doivent être mis en usage. Or il est impossible qu’un seul individu puisse exécuter cela en totalité, ou même en partie. Il lui faut absolument les forces d’un grand nombre de ses semblables afin de se procurer la nourri­ture qui est nécessaire pour lui et pour eux, et cette aide mutuelle as­sure ainsi la subsistance d’un nombre d’individus beaucoup plus con­sidérable. Il en est de même pour la défense de la vie : chaque homme a besoin d’être soutenu par des individus de son espèce. En effet, Dieu le très haut, lorsqu’il organisa les animaux et leur distribua des forces, assigna à un grand nombre d’entre eux une part supérieure à celle de l’homme. Le cheval, par exemple, est beaucoup plus fort que l’homme ; il en est de même de l’âne et du taureau. Quant au lion et à l’éléphant, leur force surpasse prodigieusement celle de l’homme.
Comme il est dans la nature des animaux d’être toujours en guerre les uns avec les autres, Dieu a fourni à chacun un membre destiné spécialement à repousser ses ennemis. Quant à l’homme, il lui a donné, au lieu de cela, l’intelligence et la main. La main, soumise à l’intelligence, est toujours prête à travailler aux arts, et les arts four­nissent à l’homme les instruments qui remplacent, pour lui, les membres départis aux autres animaux pour leur défense. Ainsi les lances suppléent aux cornes, destinées à frapper ; les épées remplacent les griffes, qui servent à faire des blessures ; les boucliers tiennent lieu de peaux dures et épaisses, sans parler d’autres objets dont on peut voir l’énumération dans le traité de Galien sur l’usage des membres 2. Un homme isolé ne saurait résister à la force d’un seul animal, surtout de la classe des carnassiers, et il serait absolument incapable de le repousser. D’un autre côté, il n’a pas assez de moyens pour fabriquer les diverses armes offensives, tant elles sont nom­breuses, et tant il faut d’art et d’ustensiles pour les confectionner Dans toutes ces circonstances, l’homme doit nécessairement recourir p.88 à l’aide de ses semblables, et tant que leur concours lui manque, il ne saurait se procurer la nourriture ni soutenir sa vie. Dieu l’a ainsi décidé, ayant imposé à l’homme la nécessité de manger afin de vivre. Les hommes ne sauraient non plus se défendre s’ils étaient dépourvus d’armes ; ils deviendraient la proie des bêtes féroces ; une mort prématurée mettrait un terme à leur existence, et l’espèce hu­maine serait anéantie. Tant qu’existera chez les hommes la dispo­sition de s’entr’aider, la nourriture et les armes ne leur manqueront pas : c’est le moyen par lequel Dieu accomplit sa volonté en ce qui regarde la conservation et la durée de la race humaine. Les hommes sont donc obligés de vivre en société ; sans elle, ils ne pourraient pas assurer leur existence ni accomplir la volonté de Dieu, qui les a placés dans le monde pour le peupler et pour être ses lieutenants 3. Voilà ce qui constitue la civilisation, objet de la science qui nous occupe.
Dans ce qui précède nous avons établi, pour ainsi dire, que la civilisation est réellement l’objet de la branche de science que nous allons traiter. Cela n’est cependant pas une obligation pour celui qui traite d’une branche des connaissances quelconque, attendu que, d’après les règles de la logique, celui qui traite d’une science n’est pas tenu d’établir que ce qu’il pose comme étant l’objet de cette science l’est en effet 4. La chose n’est cependant pas défendue, et elle p.89 entre dans la classe des actes purement facultatifs. Dieu est celui qui seconde les hommes par sa grâce.