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<center>SCIENCES EXACTES ET EXPERIMENTALES</center>
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Les savans des temps passés étaient redoutés par les grands, méprisés par le beau monde, haïs par le peuple. Ils vivaient isolés, cachant sous les voûtes enfumées du laboratoire leur corps amaigri, leurs vêtemens souillés. Chacun était réduit à ses propres ressources, et une découverte ne s’obtenait qu’à force de veilles et de privations. Et quelle récompense ? la jalousie des autres savans, et trop souvent les persécutions du pouvoir. Les temps sont bien changés ! Les fils de la science aujourd’hui, enrichis et décorés, sont tout à la fois hommes d’état, hommes de salons, hommes d’académies, hommes d’actions, autrement dit, actionnaires en toutes sortes d’entreprises. Ils ont mille facilités pour leurs travaux. On les respecte, on les admire : ils ne s’admirent pas moins entre eux, et rarement ils citent le nom d’un confrère sans l’accompagner d’une épithète retentissante.
Les savans des temps passés étaient redoutés par les grands, méprisés par le beau monde, haïs par le peuple. Ils vivaient isolés, cachant sous les voûtes enfumées du laboratoire leur corps amaigri, leurs vêtemens souillés. Chacun était réduit à ses propres ressources, et une découverte ne s’obtenait qu’à force de veilles et de privations. Et quelle récompense ? la jalousie des autres savans, et trop souvent les persécutions du pouvoir. Les temps sont bien changés ! Les fils de la science aujourd’hui, enrichis et décorés, sont tout à la fois hommes d’état, hommes de salons, hommes d’académies, hommes d’actions, autrement dit, actionnaires en toutes sortes d’entreprises. Ils ont mille facilités pour leurs travaux. On les respecte, on les admire : ils ne s’admirent pas moins entre eux, et rarement ils citent le nom d’un confrère sans l’accompagner d’une épithète retentissante.


La politique des gouvernemens a fait du XIX{{e}} siècle l’âge d’or de la science. L’activité des esprits les effrayait : ils ont entrepris de la diriger vers les études qui sont sans influence directe sur l’opinion publique. En cela comme en mille autres choses, ils ont imité Napoléon, ennemi déclaré de l’idéologie, mais grand partisan de la botanique.
La politique des gouvernemens a fait du {{s|xix}} l’âge d’or de la science. L’activité des esprits les effrayait : ils ont entrepris de la diriger vers les études qui sont sans influence directe sur l’opinion publique. En cela comme en mille autres choses, ils ont imité Napoléon, ennemi déclaré de l’idéologie, mais grand partisan de la botanique.


Les savans expliquent autrement leur vocation. Si la science occupe tous les bons esprits, c’est, nous disent-ils, en raison de sa ''positivité'' ; c’est parce qu’au lieu de se contenter, comme la philosophie, d’abstractions et d’hypothèses, elle veut des faits démontrés par l’évidence. On pourrait demander si presque tous les effets physiques n’ont pas pour cause première des ''inconnues'' ; si la chimie, en admettant pour substances élémentaires les corps ''indécomposés'', ne bâtit pas elle-même sur le terrain mouvant de l’hypothèse ? La science qui se dit positive, ne possède pas plus que la métaphysique la certitude absolue ; mais il faut lui reconnaître sur celle-ci un incontestable avantage. Dans l’ordre matériel, les écarts ne sauraient être dangereux : une expérience, inspirée par un principe faux, peut même révéler une application de grande valeur pour l’industrie ou les arts. Les fous du moyen-âge qui tourmentaient les métaux pour composer de l’or, n’ont-ils pas arraché à la nature qu’ils violaient, des secrets précieux, perdus peut-être aujourd’hui ? Il n’en est pas de même dans l’ordre moral. Une doctrine, partant d’un principe vicié, ne peut engendrer que de mauvaises lois, et pis encore, de mauvais hommes, pour interpréter ces lois mauvaises !
Les savans expliquent autrement leur vocation. Si la science occupe tous les bons esprits, c’est, nous disent-ils, en raison de sa ''positivité'' ; c’est parce qu’au lieu de se contenter, comme la philosophie, d’abstractions et d’hypothèses, elle veut des faits démontrés par l’évidence. On pourrait demander si presque tous les effets physiques n’ont pas pour cause première des ''inconnues'' ; si la chimie, en admettant pour substances élémentaires les corps ''indécomposés'', ne bâtit pas elle-même sur le terrain mouvant de l’hypothèse ? La science qui se dit positive, ne possède pas plus que la métaphysique la certitude absolue ; mais il faut lui reconnaître sur celle-ci un incontestable avantage. Dans l’ordre matériel, les écarts ne sauraient être dangereux : une expérience, inspirée par un principe faux, peut même révéler une application de grande valeur pour l’industrie ou les arts. Les fous du moyen-âge qui tourmentaient les métaux pour composer de l’or, n’ont-ils pas arraché à la nature qu’ils violaient, des secrets précieux, perdus peut-être aujourd’hui ? Il n’en est pas de même dans l’ordre moral. Une doctrine, partant d’un principe vicié, ne peut engendrer que de mauvaises lois, et pis encore, de mauvais hommes, pour interpréter ces lois mauvaises !