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La vie des gens de Lettres est un des points sur lesquels je puis le plus aisément vous instruire. En arrivant ici, j’étais fort avide de les voir, soit parce que j’étais curieux de connaître des personnes dont les écrits m’avaient tant fait de plaisir, soit pour me mettre en état de répondre aux questions qu’on pourrait me faire ; je m’imaginais que je les trouverais renfermés dans leur cabinet, occupés à recueillir leurs matériaux, à méditer, à arranger, à écrire, et à revoir. Bien loin de là. Après avoir couru çà et là à toutes heures, il en était peu que je pusse rencontrer. Les uns ne sont plus chez eux après 8 heures du matin, et il n’y en a presque aucun qu’on puisse rencontrer encore après midi. J’attribuai pendant quelques jours à mon malheur l’inutilité de mes courses, mais enfin à force de tentatives, je m’assurai que la difficulté demeurait constante et qu’apparemment elle avait une cause réelle. Seulement j’ignorais s’ils étaient véritablement hors de chez eux, ou si leur opiniâtreté au travail les engageait à fermer leur porte à toutes les visites. J’interrogeai là-dessus un homme très connu dans la République des Lettres : « Qui donc avez-vous souhaité de voir ? », me dit-il. Je lui nommai deux ou trois personnes.
 
« Pour M...., je ne puis pas vous le faire connaître, me répondit-il, nous ne nous voyons pas ; faites-vous introduire chez Madame ... les mercredis ; je vous conduirai vendredi chez Madame ... où vous trouverez ... « Mais, lui dis-je, ce n’est pas dans la société que je voudrais les voir, ne pourrais-je pas les questionner dans leur cabinet ? » « Dans leur cabinet, s’écria-t-il, à peine s’y tiennent-ils chaque jour trois ou quatre heures, et pour lors ils s’enferment si bien qu’on ne saurait les aborder. Mais c’est dans les maisons qu’on peut les voir ; c’est là qu’on disserte, que l’esprit s’épanouit ; dans les unes règne la gaieté, dans l’autre le sérieux, ici on encense à Fontenelle, là c’est à Montesquieu, ou à Voltaire ; et comme si les mérites de différents genres ne pouvaient se concilier, il faut toujours qu’un auteur ait une préférence en quelque sorte exclusive. Elle est surtout marquée pour les auteurs vivants. Si l’on vous introduit chez Madame de ... souvenez-vous qu’elle est Encyclopédiste. « Encyclopédiste ! repris-je, qu’est-ce à dire ? » Ma surprise jeta mon nouveau Mentor dans un étonnement inconcevable. « Quoi ! me dit-il, vous ne savez pas que toute notre littérature est partagée en deux factions, l’une pour, l’autre contre l’Encyclopédie. » « En vérité, lui dis-je, je n’en savais rien, mais cela ne me paraît pas naturel, car tout le monde devrait être pour et contre suivant les articles et la manière de l’envisager. » « Vous avez raison, répliqua-t-il. Mais gardez-vous bien de dire votre sentiment tout haut il n’est pas permis de penser ainsi ; j’aime naturellement les partis modérés ; mais j’ai été forcé à me décider, sans quoi, je serais resté seul. » Quelque envie que j’eusse de m’instruire un peu plus à fond en faisant de nouvelles questions, je ne sais comment la conversation de digression en digression se porta sur d’autres matières jusqu’au moment où nous fûmes obligés de nous séparer. Je connaissais depuis longtemps la mode des bureaux d’esprit, et j’avais si mauvaise opinion du ton de ces rendez-vous que j’évitai d’être introduit dans aucun. Il en est de mille espèces, ils sont conduits par autant d’esprits différents ; mais j’ai ouï parler mal de tous. J’en sais où l’on se rend à point nommé pour bâiller, pour déclamer contre la vie humaine en général, contre les mœurs du temps, contre le séjour de Paris, contre tout ce qu’on a trouvé à propos de nommer préjugé ; et où à force d’analyser tous les plaisirs on est parvenu à n’en sennr aucun. On appelle cela de la Philosophie. Et ceux qui s’ennuient là périodiquement disent tout uniment, en parlant de leurs propres opinions : le Sage méprisant le vulgaire, ou bien la Philosophie nous enseigne, etc.
 
Je ne vous entretiendrai pas de ces sublimes assemblées, parce que je veux vous parler de ce que j’ai pu apprendre de plus certain sur le principal objet de votre curiosité ; je veux parler du sujet de la vérité de cette imputation de cabale que se font réciproquement les auteurs et les ennemis de l’Encyclopédie.
 
Si ma lettre devait être lue par les personnes intéressées, je serais sûr d’offenser les deux parus, mais comme vous n’êtes d’aucun, vous pourrez voir que si je n’ai pas démêlé la vérité, j’ai du moins cherché à le faire.
 
Lorsqu’on commença à annoncer cet immense Dictionnaire, destiné à recueillir tout ce qu’on sait aujourd’hui, et à le faire connaître à la postérité, presque tous ceux qui avaient cultivé quelque parue des sciences auraient désiré d’être employés à le rédiger ; ils jugeaient qu’un ouvrage si ample, qui semblait commencer sous les plus heureux auspices, était un de ces monuments inébranlables qui résistent à tous les événements. On pensa que le nom d’un auteur écrit à la tête d’un pareil ouvrage était un gage assuré de l’immortalité.
 
Le premier volume qui parut fit déjà à l’Encyclopédie je ne sais combien d’ennemis. Les uns par envie contre une entreprise qui semblait devoir être immortelle auraient voulu arrêter la publication de ce monument colossal ; d’autres auxquels il paraissait qu’on aurait dû les employer, ou, qui même avaient été refusés, tâchaient, en recherchant les fautes du plan et de l’exécution, de faire voir qu’ils étaient capables de faire mieux. Plusieurs qu’on avait blessés par la critique de leurs opinions, ou par des jugements trop sévères de leurs ouvrages voulaient se venger sur le corps entier des injures des particuliers. Des auteurs qu’on avait compilés ou même des Lecteurs indifférents furent offensés de voir des choses très communes annoncées comme des découvertes ; on aperçut des fautes réelles, qui devaient nécessairement se trouver dans un ouvrage si grand et si vaste.
 
On trouva qu’il n’y avait point d’unité de plan ; que quelques manières étaient traitées avec trop d’étendue, tandis que d’autres étaient étranglées. Quelques-uns plutôt bien intentionnés que prudents firent beaucoup de bruit de ce qui blessait ou paraissait blesser la Religion ; ils devaient penser que crier à l’irréligion, c’est avertir le public toujours avide de la trouver ; d’ailleurs le gouvernement ne peut agir sans augmenter encore l’avidité, surtout lorsque les auteurs ont porté leurs coups sourdement et de manière à pouvoir nier leurs véritables intentons.
 
Tant de personnes réunies par différents principes pour attaquer I’Encydopédie firent apercevoir aux auteurs qu’ils faisaient corps, que leurs intérêts étaient communs, que déprimer quelque membre de leur association, c’était ôter à chacun une partie de sa gloire. [...]
 
Il faut compter parmi les Encyclopédistes ceux qui, saisis d’un ardent désir de s’immortaliser à peu de frais, postulent pour faire insérer dans le grand Dictionnaire quelque peut article avec leur nom au bas écrit en gros caractères, comme s’il était fort avantageux pour eux que dès ce moment et jusqu’aux temps les plus reculés ont pût dire en lisant ces articles : « Voilà le nom d’un homme qui n’a été joint à une si belle entreprise que pour en augmenter les défauts. » Le nombre de ces aspirants à l’honneur d’être Encyclopédistes est plus grand qu’on ne saurait dire, et vous en verrez de temps en temps paraître quelques-uns, que l’amitié des éditeurs a mis au comble de leurs vœux aux dépens de la perfection de l’ouvrage. Qu’ils sont à plaindre, Monsieur, ces Editeurs, d’avoir à lire tant de misères et qu’il est difficile de refuser honnêtement à une personne qui croit le mériter la faveur de l’associer à une compagnie d’illustres qui s’avancent à la fois et qui vont à l’appui les uns des autres se placer au temple de mémoire !
 
Je ne vous dirai point combien de haines, d’injures, de calomnies, de cabales, et d’art ces factions ont produit, vous l’imaginez aisément, et vous en pouvez voir les effets pour peu que vous jetiez l’oeil sur les productions du jour. Les disputes ne sont pas nouvelles dans la République des Lettres ; mais les factions me paraissent l’étre, à moins que vous ne nommiez ainsi les sectes des Philosophes et celles que des sujets plus graves ont fait naître.
 
C’est ainsi que j’ai vu les choses, et le spectacle m’a paru intéressant. Je ne doute pas que toutes ces dissensions ne préparent des énigmes à la postérité. [...]
 
Mercure danois, octobre 1757
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[[Catégorie:Textes relatifs à l’Encyclopédie et aux Encyclopédistes]]