« Page:Mercure de France - 1897 - Tome 23.djvu/329 » : différence entre les versions

Phe-bot (discussion | contributions)
Le_ciel_est_par_dessus_le_toit: split
(Aucune différence)

Version du 4 mai 2021 à 11:49

Cette page n’a pas encore été corrigée

(Note. — On vient précisément d’imaginer ceci : tout conscrit marié ne ferait qu’un an de service. C’est montrer le service militaire sous son vrai jour, — un jour de souffrance, sinon de prison. Voilà une loi qui serait vraiment délicieuse. Qui aurait annoncé son intention de bien procréer ne serait passible que d’un an de détention ; mais si les enfants ne venaient pas, le libéré provisoire reprendrait la casaque. En cas d’enfants préalables, on appliquerait même aux conscrits la loi Béranger : ils seraient acquittés.)

Devenu animal électoral, le citoyen n’est pas dépourvu de subtilité. Ayant flairé, il distingue hardiment entre un opportuniste et un radical. Son ingéniosité va jusqu’à la méfiance : le mot Liberté le fait aboyer, tel un chien perdu. A l’idée qu’on va le laisser seul dans les ténèbres de sa volonté, il pleure, il appelle sa mère, la République, son père, l’État ; il supplie les lois d’apporter des flambeaux, des cordes, et qu’on le retire, de la caverne où il gît parmi les insectes nocturnes. Où sont les lois ? Elles sont vieilles, elles vont mourir : qu’on en trouve d’autres, de toutes jeunes, assez fortes pour suffire à d’incessantes besognes de protection, assez fécondes pour se reproduire spontanément par un facile provignage ! Le citoyen électeur, dès qu’on l’a retiré de son trou, s’achemine vers l’urne où il laisse tomber le bulletin qu’on lui a mis dans la main. Alors, il ressent une joie, un soulagement, et il s’en va boire en rêvant aux Lois nouvelles, à celle qui viendra un jour et qui refera de lui, enfin, le tout petit enfant au maillot qui suce inconscient les mamelles maternelles.

Cependant, il faut nourrir les Lois, payer ces impérieuses servantes : à ce moment l’animal électoral se transforme en animal contribuable. Du fond de sa grange ou de son atelier, il entretient volontiers ceux qui le protègent contre lui-même. A peine si son geste est plus lent à ouvrir sa bourse qu à tendre la main vers la chaîne ou vers la férule. Cet argent qu’il aime par-dessus tout, il le déverse presque volontiers dans le grand coffre, fier, tout au fond de son âme obscure, de savoir que, s’il paie neuf sous une livre de sucre, il y a six sous pour l’État : six sous, en somme, c’est le blanchissage d’une paire de guêtres ; pourvu que le Maître soit content et bien chaussé, le contribuable marche ingénument et sans se plaindre, les pieds nus dans des sabots. Oh ! que cet animal est vertueux !

Doux animal, animal respectueux, stupide et résigné, travaille,