« Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 2/Chapitre IX/Section I/Paragraphe 3 » : différence entre les versions

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§. III. Du temple de Medynet-abou.

Au fond de la cour, est un petit temple entouré d’une galerie soutenue par des piliers carrés, dont quatre composent la façade : ceux qui forment la travée du milieu sont plus espacés que les deux autres, et l’on y a pratiqué la porte d’entrée. Les faces latérales de la galerie sont formées de cinq piliers de même dimension que ceux de la façade. Sous la galerie, à chacun des quatre angles, on remarque une colonne à huit pans, alternativement ornés de haut en bas d’une ligne d’hiéroglyphes. Ces colonnes n’ont point, à proprement parler, de chapiteaux ; elles sont surmontées d’un dé carré, sur lequel reposent immédiatement les pierres du plafond. Ce sont des supports nécessaires, établis sans prétention et sans art, pour diminuer la portée des pierres ; et les anciens Égyptiens, en y gravant les hiéroglyphes, ont voulu leur imprimer le cachet de leur architecture. L’emploi de ces piliers produit un effet désagréable à la vue, et l’on s’accoutume encore moins à voir des galeries[1] barrées par de pareils supports, surtout lorsqu’ils ne sont point régulièrement et symétriquement disposés, comme il arrive ici ; mais c’est dans ce défaut même de symétrie que l’on reconnaît la nécessité où l’on s’est trouvé de les employer. On s’était aperçu sans doute que les pierres du plafond, trop pesantes, menaçaient de se rompre sous leur propre poids : cet accident a dû se manifester plus particulièrement dans les angles, où les matériaux employés ont des dimensions plus considérables. Il est aussi arrivé qu’au lieu de faire usage d’une seule pierre dans les angles, on en a employé plusieurs de moindre dimension, dont il a été nécessaire de soutenir les extrémités par un point d’appui intermédiaire. Cela nous porte à croire qu’on se sera assujetti, dans la construction de la galerie du temple, à se servir des matériaux qu’on avait sous la main ; car on ne peut supposer que les Égyptiens n’aient point eu la facilité de s’en procurer de grandeur convenable. Nous ne voyons pas toutefois qu’on puisse rendre autrement raison d’un défaut de symétrie aussi choquant.

Les piliers qui forment la façade du temple sont ornés de sculptures analogues à celles du temple d’Éléphantine[2]. Elles consistent en tableaux composés de deux figures debout, dont les unes ont des têtes d’animaux, tels que le chacal et l’épervier, et les autres des têtes humaines. La première de ces figures porte dans sa main une croix à anse, et quelquefois aussi une massue, qu’elle tient dans une position horizontale ; elle paraît être la divinité à laquelle s’adressent les hommages : sa coiffure varie dans des différens tableaux. La seconde figure, et c’est celle qui fait les offrandes, tantôt à la main droite passée sur l’épaule de la première, tantôt lui soutient le coude d'une main, et de l’autre lui porte à la bouche une croix à anse. Ces personnages sont vêtus d’une espèce de jupe, le plus souvent étroite, mais toujours courte : quand cette jupe est plus large, elle est terminée en avant, dans la partie inférieure, par un angle très-aigu.

Sous la galerie qui regarde le nord-est, sont différens sujets sculptés, parmi lesquels on remarque plus particulièrement un Harpocrate, emblème de la fécondité. Il a les jambes collées l’une contre l’autre ; sa coiffure est une mitre composée de deux lames arrondies : il est enveloppé d’une tunique collante, au travers de laquelle passe le signe de la virilité. Devant lui est un personnage remarquable par le grand bonnet dont sa tête est surmontée. C’était un homme de rang élevé, un prêtre sans doute. Il a le corps penché en avant, et il est dans l’action de labourer la terre avec un instrument de cette forme, , qu’il tient par le petit côté. Cet instrument, qui n’est autre chose que la houe, n’a pas été vu seulement dans le tableau dont nous nous occupons maintenant ; on le retrouve employé dans toutes les scènes d’agriculture sculptées et peintes dans les grottes, et particulièrement dans celles dont nous avons recueilli les dessins à Elethyia[3], en sorte qu’on ne peut douter de son usage. Si l’on ne savait déjà combien l’agriculture, ce premier de tous les arts, a été en honneur chez les Égyptiens, le tableau que nous venons de décrire le prouverait incontestablement. Ce même instrument, employé à tracer des sillons, et qui, avec de légères modifications, représente la charrue égyptienne, est très-souvent dans les mains des divinités. Parmi les exemples les plus remarquables que nous pouvons en donner, nous citerons une petite idole recueillie par nous-mêmes dans les tombeaux des rois[4]. Outre la houe qu’elle a dans chacune de ses mains, elle porte encore, suspendue par des cordons, une poche à bretelle, pareille à celle que tient, dans les scènes d’agriculture représentées à Elethyia[5], celui qui jette la semence dans les sillons : ce rapprochement ne laisse absolument aucun doute sur l’attribut principal[6].

Dans un autre endroit de la galerie, on voit un homme qui semble embrasser les parties de la génération d’un Harpocrate.

Aux extrémités nord-ouest et sud-est de la façade du temple, et sous la galerie, sont deux portes pratiquées entre deux piliers, qui conduisent à deux pièces maintenant très-encombrées. Celle de gauche a trois mètres[7] de longueur et cinq mètres[8] de largeur : ses murs n’offrent aucune peinture, mais on y trouve beaucoup d’inscriptions qobtes. Celle de droite a neuf mètres[9] de long et cinq mètres[10] de large ; elle a deux ouvertures sur chacune des faces latérales, à peu de distance des murs de fond. Le milieu de son plafond est soutenu par deux colonnes surmontées de chapiteaux en forme de vase ou de fleurs de lotus. Un dé carré, placé au-dessus, reçoit immédiatement l’architrave. Cette pièce est éclairée au sud-est par quatre petites fenêtres de soixante-quatre centimètres[11] de hauteur, et de quatre-vingt-onze centimètres[12] de largeur. Trois barreaux verticaux en pierre les ferment en partie, et ne laissent entrer de lumière que ce qui est nécessaire pour répandre dans cette salle une douce clarté. Cette pièce est remplie d’inscriptions qobtes, dont quelques-unes ont été copiées par M. Villoteau. On y trouve aussi des inscriptions tracées en caractères semblables à ceux de l’inscription intermédiaire de la pierre de Rosette. Le mot entièrement grec de μονασθήριον, qu’on lit dans une des inscriptions, doit faire présumer que ce temple a servi de monastère dans les premiers siècles du christianisme. Ainsi cet édifice, consacré par les anciens Égyptiens au culte de la divinité, et habité par leurs prêtres, a retrouvé, après la destruction du gouvernement et de la religion de l’Égypte, une destination analogue à celle pour laquelle il avait été construit.

L’intérieur de la cella du temple est presque entièrement découvert. Deux pierres du plafond sont les seules qui subsistent encore à l’extrémité ouest. Cette circonstance, et l’analogie des autres édifices, doivent faire présumer qu’il a été entièrement couvert, bien qu’au premier abord on ne soit pas disposé à adopter cette opinion[13].

Au fond de la galerie, on trouve six petites pièces obscures, construites dans un massif dont les murs latéraux sont dans le prolongement des pilastres des galeries du temple. On entre dans la première pièce par une porte placée sur l’axe du temple ; elle a cinq mètres[14] de longueur et quatre mètres[15] de largeur. La pièce suivante a une largeur égale et un peu moins de profondeur. On pénètre dans les deux salles latérales de gauche par une porte pratiquée dans la première pièce. Les deux salles latérales de droite ont, la première, une issue sous la galerie, et la seconde, une porte qui communique avec la pièce intermédiaire. Toutes ces pièces sont ornées de tableaux et d’hiéroglyphes en relief. Celle du fond, à droite, renferme en outre un monolithe en granit rouge, de deux mètres[16] de long, d’un mètre[17] de large, et de plus d’un mètre de hauteur ; il est renversé, et l’on n’en voit que la face postérieure : il est rompu à peu près au quart de sa longueur. Ce monolithe est en partie caché sous les décombres et les débris qu’on a accumulés dans le temple. Il ne nous a point été possible de constater, d’une manière positive, si c’est une de ces chapelles que l’on trouve ordinairement dans les sanctuaires, et où l’on renfermait les animaux sacrés. Quelques-uns des voyageurs[18] qui nous ont précédés, et plusieurs de nos collègues[19], l’ont indiqué comme un sarcophage : il en résulterait alors que la pièce qui le renferme aurait été destinée aux sépultures. L’analogie nous laisse également indécis entre l’une et l’autre de ces deux opinions[20].

La pièce latérale de droite, dont l’entrée est sous la galerie, a cinq mètres de long et trois mètres de large. Ses murs de côté sont chargés de sculptures, où l’on voit des figures en ordre et debout, portant des offrandes destinées à une divinité qui est dans le fond. Au-devant d’elle, sont trois figures de front, agenouillées, qui paraissent lui montrer ces présens. On remarque en outre deux personnages, dont l’un tient des bandelettes, et l’autre laisse tomber, d’un vase de forme élégante, une liqueur qui, se distribuant en deux jets, va remplir deux petites jattes qu’une figure accroupie porte dans ses mains. Plus haut, sont de nombreuses offrandes, précédées de personnages dont l’un tient le timon d’une charrue, et l’autre un rouleau de papyrus ; un troisième personnage verse de l’eau sur un autel où une figure accroupie pose les mains. Au nord-ouest du temple, est un bassin carré[21], qui servait peut-être de nilomètre, et qui fournissait l’eau nécessaire aux ablutions et aux sacrifices. Des fouilles entreprises à l’un des angles de ce bassin ont mis à découvert une statue assise, de granit noir ; elle est fort mutilée : elle a une tête de lion, et ressemble à celles que nous avons trouvées en si grand nombre sur les bords du bassin de Karnak[22]. Y aurait-il eu de semblables statues aux autres angles ? C’est une hypothèse que des fouilles plus considérables pourraient seules détruire ou confirmer.

À quelque distance de là, on trouve des fragments de deux colosses en granit, brisés et reversés. Ils peuvent avoir douze mètres[23] de proportion : ils ont les bras collés contre le corps, et sont dans l’attitude de figures prêtes à marcher. Ils ornaient sans doute l’entrée de quelque grand édifice détruit ou enseveli sous les décombres.

  1. Voyez pl. 4, fig. 1, A., vol. II.
  2. Voyez pl. 36, fig. 2, 3 et 4, A., vol. i
  3. Voyez pl. 68, A., vol i.
  4. Voyez la pl. 80 ; fig. 6 et 13, A., vol. ii, et l’explication de cette planche, mêmes figures.
  5. Voyez pl. 68, A., vol. i, figure numérotée 62.
  6. Voyez, pour de plus amples détails, le Mémoire de M. Costaz sur les grottes d’Elethyia, A. M.
  7. Neuf pieds.
  8. Quinze pieds.
  9. Vingt-sept pieds.
  10. Quinze pieds.
  11. Deux pieds.
  12. Trente-quatre pouces.
  13. Dans la gravure (voyez pl. 4, fig. 4, en c), la cella a été indiquée sans plafond.
  14. Quinze pieds.
  15. Douze pieds.
  16. Six pieds un pouce.
  17. Trois pieds.
  18. Granger, Relation d’un voyage fait en Égypte en 1730, pag. 67.
  19. MM. Villoteau et Jomard en ont fait mention dans leurs journaux.
  20. Voyez, dans la description du petit temple d’Isis, de l’ouest du tombeau d’Osymandyas, ce que nous disons des sépultures dans l’intérieur des temples, section IV de ce chapitre.
  21. Voyez le plan topographique, pl. 2, A., vol. ii
  22. Voyez la Description de Karnak, section viii de ce chapitre.
  23. Trente-six pieds.