« Le Talisman, morceaux choisis/La Maniote » : différence entre les versions

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A. Levasseur et F. Astoin, éditeurs — Giraldon-Bovinet (p. 169-177).


La Maniote.


Les Grecques habitant les hauts sommets du Taygète sont les mêmes qui jadis sur les bords de l’Eurotas, disaient à leurs fils :

« Avec ou dessus ! »

Je vais en donner un exemple, il est pris dans ma famille :

Ækatarina Stephanopoly, était mariée à Nicolaos Benoni, riche négociant du canton de Kalamata, établi à Coutchoucoumani. Ækatarina était heureuse, elle avait une belle fortune, une famille nombreuse composée d’enfans beaux et braves, et pour elle l’avenir n’aurait eu que des joies si la Grèce eût été libre.

Le chant nuptial redisait encore ses refrains pour les noces de Georges Benoni, le fils aîné d’Ækatarina, et de la jolie Panoria Mikaëly, lorsque le canon d’alarme retentit à Coron où les Russes venaient de débarquer le 10 mars 1770. Aussitôt tous les Grecs se levèrent en criant Liberté ! Benoni, que ses grandes richesses exposaient à plus de vexations que ses compatriotes, attendait depuis trop long-temps l’heure de la vengeance pour ne pas répondre au premier appel fait à l’ancien courage Spartiate. Il leva à ses frais une compagnie dont ses fils et lui furent les principaux officiers, et pendant trois mois cette valeureuse troupe fit seule le service militaire de la contrée.

Ækatarina était une vraie Maniote, elle ne quittait jamais son mari. Bien qu’il eût de nombreux serviteurs, c’était elle qui chargeait son fusil et pansait ses blessures. Elle-même, armée d’une légère carabine, d’un cangiar affilé et de deux pistolets, elle gravissait les rochers du Magne à côté de son mari, et donnait la mort à un Turc, d’un cœur aussi résolu, d’une main aussi assurée, que pas un des chefs de l’armée russe ; de cette armée apportant aux Grecs la liberté, disait-elle, et qui riva leur esclavage.

Panoria Mikaëly suivait partout sa belle-mère ; elle était sœur de Mavro-Mikaëli, de ce chef qui disait à Alexis-Orloff :

« — Quand tu serais à la tête de toutes les armées de ta souveraine, tu ne serais encore qu’un esclave, et moi le chef d’un peuple libre ; et quand le sort m’en rendrait le dernier homme, ma tête vaudrait encore plus que la tienne. » Telles étaient aussi les nobles pensées de Panoria. Comme les filles de Misitra elle avait de blonds cheveux, de doux et beaux yeux bleus, mais comme Ekatarina elle savait aussi charger et porter un fusil, et donner la mort à un ennemi.

Dans une de leurs excursions, Ekatarina fut assez dangereusement blessée pour être dans l’obligation de se faire transporter chez elle. Le pays était tranquille. Repoussés vers Tripolizza, les Turcs n’inquiétaient plus la contrée ; ce fut donc sans aucune crainte qu’Ekatarina se sépara de son mari, de ses fils et de Panoria, pour revenir seule dans sa maison de Coutchoucoumani.

La journée fut triste pour elle ; c’était la première fois qu’elle se voyait ainsi isolée. La nuit fut également solitaire et pénible ; il semblait à Ækatarina, que quelques heures devaient suffire pour achever la reconnaissance que faisait son mari lorsqu’elle se sépara de lui. Son cœur toujours si ferme se trouvait attendri. La matrone spartiate était sous la puissance d’un de ces pressentimens qui troublent l’ame d’une faible femme. Enfin, vers le matin, la nature fut vaincue. — Ekatarina s’endormit ; mais non de ce repos réparateur qui recrée nos forces. C’était un cauchemar prolongé ; un fièvreux sommeil, qui produit des rêves effrayans et ne laisse après lui qu’une triste fatigue. Au milieu de l’un des songes bizarres, qui se succédaient devant elle. EkaPage:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/206 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/207 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/208 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/209 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/210 toutes ses forces pour la défendre. — Enfin, voyant que les portes ne pourraient résister, elle mit elle-même le feu au couvent ; et, lorsque les Dulcignotes, irrités de la longue résistance qu’ils avaient trouvée, se précipitèrent dans le saint asile pour y porter à la fois le déshonneur et la mort, ils ne trouvèrent que des cadavres et des cendres.


la duchesse d’Abrabantès.