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sans histoire, jusqu’au jour où sa mère a trouvé un mari. La femme a-t-elle alors soudain redouté une future rivale dans sa bâtarde ? Ou bien, par jalousie rétroactive, l’homme a-t-il refusé de garder au foyer celle dont il n’était pas le père ? Quoi qu’il en soit, la malheureuse a été enfermée chez les sœurs, sous prétexte qu’elle avait mauvais caractère.

Le fait est qu’elle n’a pas été d’humeur à supporter la séquestration parmi les vestales de l’ignorance crasse et de la crasse ignorantine. Elle faussa compagnie aux femmes-curés.

Domestique dans une famille bourgeoise, elle commet le crime de ne pas accepter sans y répondre les observations et les caprices de sa patronne. On la renvoie. Bientôt, à bout de ressource et faute de quelqu’un sur qui compter, elle décide de se tuer. Avec ses derniers sous, elle achète plusieurs tubes de somnifère, les avale d’un trait, tombe endormie, est transportée à l’hôpital où, après des heures et des heures, elle finit par se réveiller à cette vie dont elle ne voulait plus.

Elle se remet très vite. Saine de corps et d’esprit, fraîche et jeune, elle n’en a pas moins les meilleures raisons de détester l’existence. Elle n’a rien de bon à attendre. Aussi, son psychisme (comme disent les gens du métier) ne s’améliore-t-il guère. Le suicide lui semble la seule solution. Elle ne saurait mettre ailleurs son espérance.

Où, quand, comment, pourquoi, en régime capitaliste, cette malheureuse reprendrait-elle goût à la vie ?

Il s’agit de la caser, c’est-à-dire de l’enterrer vive soit dans un asile, soit dans une maison de correction. Elle a encore la chance de voir tomber sur l’asile le choix des bonnes âmes qui ont à décider de son sort. À sa majorité, elle sera libre. Libre d’aller se prostituer, se jeter à l’eau, s’empiffrer de cyanure de potassium, se saouler de vitriol. En attendant, que la compagnie des démentes l’aide à passer le temps.

Lors de la présentation des malades aux étudiants, le professeur Claude lui demande :

Qu’avez-vous pris pour vous tuer ?

Un peu de tout, répond-elle, avec un sourire où, malgré la macabre gourmandise, pétille l’espièglerie d’une très peu lointaine enfance.

Le professeur doit en convenir : elle n’est pas folle. Son cas est un cas social et non un cas médical. Que faire ?

Et d’abord, monsieur le professeur, messieurs les médecins, messieurs les juges, ces messieurs et dames de la famille, de toutes les familles, prière de ne pas empoisonner la victime particulière d’un ordre ou plutôt d’un désordre général.

De tous ses bagnes, l’État bourgeois nie la personne humaine, l’individu dont il se réclame. Ses asiles valent ses casernes, ses usines et autres geôles.