« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Sculpture » : différence entre les versions

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de ces rinceaux perlés empruntés à des menus objets rapportés
d'Orient et aussi au génie local qui, par les émigrations des Visigoths,
 
[Illustration: Fig. 28.]
 
[Illustration: Fig. 28^<i>bis</i>.]
 
a bien quelques rapports avec celui des peuplades indo-européennes du
Nord. Les figures 28, 28 <i>bis</i> et 28 <i>ter</i> donnent des exemples de ces ornements
où le byzantin se mêle à cet art que nos voisins d'Angleterre
appellent saxon et dont nous aurons tout à l'heure l'occasion de parler.
 
[Illustration: Fig. 28^<i>ter</i>.]
 
Mais où l'école d'ornements de Toulouse déploie un génie particulier,
c'est dans la composition des chapiteaux dont la forme générale, l'épannelage,
est emprunté au chapiteau corinthien gallo-romain et dont les
détails rappellent, avec une délicatesse de modelé mieux sentie, certains
ornements si fréquents dans la sculpture byzantine<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]]; c'est plus encore
dans ces compositions toutes pleines d'une séve originale, où des feuillages
tordus, des rinceaux, des animaux, s'enchevêtrent avec une sorte de rage,
se découpent puissamment, formant ainsi des reliefs brillants, des ombres
vives d'un grand effet. L'orfévrerie byzantine présente un grand nombre
de ces sortes de compositions; mais l'exécution en est lourde, molle, uniforme,
tandis que l'école de Toulouse sait la rendre précise, heurtée
même parfois jusqu'à la violence. Témoin ce chapiteau du portail occidental
de Saint-Sernin (fig. 29), dans lequel s'entrelacent des animaux
d'une physionomie si farouche et si étrange. Tout imparfait que soit cet
art, après les molles sculptures de la Provence, son énergie charme et
attire l'attention; il est l'expression d'un peuple cherchant des voies nouvelles,
aspirant à se délivrer de traditions abâtardies. Cette ornementation
de l'école toulousaine du XII<sup>e</sup> siècle préoccupe, se fait regarder, provoque
l'étude, tandis que celle de Provence, séduisante au premier abord,
ne présente, lorsqu'on veut l'analyser, qu'une réunion de poncifs communs,
altérés par une longue suite d'imitations ou l'indifférence de l'ouvrier.
Un peuple se peint dans sa sculpture lorsque celle-ci ne lui a pas
été imposée par l'habitude ou par un faux goût prétendu classique. Or,
rien ne pourrait mieux exprimer le caractère de cette population toulousaine
qui sut résister avec tant d'énergie aux armées de Simon de Montfort
que ces nombreux objets d'art que l'on voit encore dans la capitale
languedocienne ou dans quelques villes environnantes, telles que Moissac,
Saint-Antonin, Carcassonne.
 
[Illustration: Fig. 29.]
 
Cette dernière ville possède des sculptures d'ornement dans l'ancienne
cathédrale de Saint-Nazaire, antérieures à celles de Saint-Sernin, c'est-à-dire
qui datent des dernières années du XI<sup>e</sup> siècle. Ce sont principalement
des chapiteaux. Là on peut retrouver les traces mieux marquées d'une
imitation de l'art romano-grec de Syrie. L'importation est récente, mais
elle se traduit avec une puissance supérieure à l'art original. Voici l'un
de ces chapiteaux (fig. 30), dont les feuillages retournés, les caulicoles,
semblent copiés sur quelques fragments syriaques du V<sup>e</sup> siècle, mais avec
un appoint énergique tout local. Il y a là les éléments d'un art qui va se
développer, non les symptômes d'une décadence. Les lignes principales
sont simples, tracées d'après ces principes primitifs que l'on retrouve
dans les arts qui commencent en recourant à l'observation de la nature.
 
[Illustration: Fig. 30.]
 
Bien que ces sculpteurs occidentaux aient été chercher la forme typique
dont ils s'inspirent au milieu d'arts en décadence--car il faut toujours,
dans les arts, trouver un point de départ--ils renouvellent ces motifs
flétris, par un apport juvénile, une verdeur qui apparaissent dans le tracé
des lignes principales. Ce que nous leur avons vu faire dans la statuaire,
ce compromis entre la tradition de l'école byzantine qui leur sert d'enseignement,
et l'observation de la nature qui leur est propre, ils le font
pour la sculpture d'ornement. Ce qu'ils mêlent à l'art oriental, c'est un
élément vivace, jeune, et le produit qui résulte de ce mélange est plus
fertile en déductions, plus logique que ne l'était l'original
lui-même.
Les conséquences rigoureuses de cette disposition intellectuelle des artistes
français au XII<sup>e</sup> siècle, ont été déjà expliquées à propos de la
statuaire;
elles sont plus sensibles encore dans la sculpture d'ornement,
celle-ci n'étant pas rivée à la reproduction d'une certaine forme, la figure
humaine, et laissant un champ plus vaste à l'imagination ou à la fantaisie,
si l'on veut.
 
Mais il est nécessaire, avant d'arriver à la grande transformation due
aux artistes de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, de suivre notre revue des diverses
écoles au moment où l'influence byzantine se fait sentir à la suite des
premières expéditions en Orient. Cette influence est très-puissante en
Languedoc, partielle en Provence; elle prend un caractère parliculier au
centre des établissements de Cluny. La sculpture d'ornement de l'église
de Vézelay n'a plus rien de romain comme celle de la Provence; elle n'est
pas <i>byzantinisée</i>, soit par l'influence des monuments de Syrie, soit par
l'imitation d'objets et d'étoffes apportés d'Orient, comme celle du Languedoc;
elle s'inspire évidemment de l'art romano-grec, mais elle éclot
sur un sol si bien préparé que, dès ses premiers essais, elle atteint l'originalité.
Nous avons cru voir, à la naissance de la statuaire clunisienne,
une transposition de l'art de la peinture grecque; il nous serait plus difficile
d'expliquer comment la sculpture d'ornement byzantine atteint, du
premier jet, presque à la hauteur d'un art original dans les grandes abbayes
de Cluny. La peinture grecque n'a plus là d'influence, car la sculpture
clunisienne du commencement du XII<sup>e</sup> siècle ne la rappelle pas. L'ornementation
romane du XI<sup>e</sup> siècle des provinces du centre et de l'est n'a
rien préparé pour cette école clunisienue. L'influence byzantine, reconnaissable,
semble être comme une graine semée dans une terre vierge,
et produisant, par cela même, un végétal d'un aspect nouveau, plus grandiose,
mieux développé et surtout d'une beauté de formes inconnue.
Malheureusement les premiers essais de cette transformation nous
manquent,
puisque les parties les plus anciennes de l'église mère de Cluny
ont été démolies. Nous ne pouvons la saisir que dans son entier développement,
c'est-à-dire de 1095 à 111O, époque de la construction de la nef
de l'église de Vézelay. Est-il une composition d'ornements mieux entendue,
par exemple, que celle de ce triple chapiteau du trumeau de la porte
centrale de cette église<span id="note33"></span>[[#footnote33|<sup>33</sup>]]; chapiteau destiné à soutenir deux piédroits et
un pilastre décorés de statues, figure 31 (voyez <sc>TRUMEAU</sc>). Si l'on retrouve
dans le faire de cette sculpture, dans ces feuilles découpées, aiguës,
vivement retournées, l'emprunt de l'art romano-grec de la Syrie; si les
profils et le parti d'encorbellement bien franc rappellent plus encore
l'architecture de ces contrées que la sculpture; la souplesse des folioles,
leur modelé délicat, s'éloignent de la sécheresse de l'ornementation byzantine.
Le passage du pilastre rectangulaire au tailloir curviligne du
chapiteau central est tracé avec adresse. On reconnaît déjà un art contenu,
qui se possède, et qui a su trouver sa voie en dehors de l'imitation. Cet
autre chapiteau de la nef de Vézelay, avec ses larges feuilles terminées
par des sortes de grappes et des grosses gouttes pendantes (fig. 32), bien
qu'il ait des analogues dans les édifices dessinés par M. le comte de Vogüé
et par M. Duthoit, n'a-t-il pas une largeur et une fermeté de modelé,
un galbe d'ensemble, très-supérieurs à ces sculptures gréco-romaines?
Mais, dans la plupart de ces chapiteaux, la statuaire se mêle à l'ornementation
avec un rare bonheur, fait que l'on ne trouve pas dans
l'architecture
byzantine, et qui semble, à cette époque, appartenir aux écoles
occidentales,
né de leur initiative.
 
Il y avait donc au centre des établissements de Cluny une forte école
de statuaire et d'ornementation dès le commencement du XII<sup>e</sup> siècle, école
qui ne fit que croître jusqu'au XIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que nous le verrons, école
qui se recommandait par l'ampleur de ses œuvres, la variété incroyable
de ses compositions, la beauté relative de l'exécution. Le peu d'exemples
qu'il nous est possible de donner fait assez voir cependant que cette école
clunisienne du XII<sup>e</sup> siècle sur les confins de la Bourgogne, n'avait aucun
rapport avec celle de Provence et celle du Languedoc à la même époque,
bien que toutes trois se fussent inspirées des arts romano-grecs de
l'Orient.
 
Si nous pénétrons dans les provinces de l'ouest, nous reconnaîtrons
encore la présence d'une quatrième école d'ornementation dont le caractère
est tout local. Là évidemment aussi, l'influence byzantine due aux
premières croisades se fait jour sur quelques points, mais cette influence
est sans grande importance, au moins jusqu'au milieu du XII<sup>e</sup> siècle.
Quelques localités de cette partie du territoire français possédaient des
monuments gallo-romains en grand nombre, comme Périgueux, entre
autres. Là l'ornementation se traîne dans une imitation grossière de l'art
antique, et le renouvellement par l'apport byzantin n'est guère sensible.
Mais en Saintonge, en Poitou, des influences qui ne sont dues ni aux
traditions romaines, ni aux voyages d'outre-mer, apparaissent. Ces
influences,
nous les croyons, en partie, dues aux rapports forcés que ces
contrées auraient eu, dès le X<sup>e</sup> siècle, avec ces hordes que l'on désigne
sous le nom de Normands, et qui ne cessèrent, pendant près de deux
siècles, d'infester les côtes occidentales de la France. Ces Normands
étaient certes de terribles gens, grands pillards, brûleurs de villes et de
villas, mais il est difficile d'admettre qu'une peuplade qui procède dans
son système d'invasion avec cette suite, cette méthode, qui s'établit temporairement
dans les îles des fleuves, sur des promontoires, qui sait s'y
maintenir, qui possède une marine relativement supérieure, qui déploie
une sagacité remarquable dans ses rapports politiques, n'ait pas atteint
un certain degré de civilisation, n'ait pas des arts, ou tout au moins des
industries. Ces peuplades ont laissé en Islande quelques débris d'art fort
curieux; elles venaient du Danemark, des bords de la mer du Nord, de
la Scandinavie, où l'on retrouve encore aujourd'hui des ustensiles d'un
grand intérêt, en ce qu'ils ont avec l'ornementation hindoue des rapports
frappants d'origine. Or, les manuscrits dits saxons qui existent à Londres
et qui datent des X<sup>e</sup>, XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles, manuscrits fort beaux pour la plupart,
présentent un grand nombre de vignettes dont l'ornementation
ressemble fort, comme style et composition, à ces fragments de sculpture
dont nous parlons. Ces hommes du Nord, ces Saxons, hommes aux longs
couteaux, paraissent appartenir à la dernière émigration partie des plateaux
situés au nord de l'Inde. Qu'on les nomme Saxons, Normands,
Indo-Germains,
à tout prendre, ils sortent d'une même souche, de la grande
souche âryenne. Les objets qu'ils ont laissés dans le nord de l'Europe, dans
les Gaules, en Danemark, et qu'on retrouve en si grand nombre dans
leurs sépultures, attestent tous la même forme, la même ornementation,
et cette ornementation est, on n'en peut guère douter, d'origine
nord-orientale.
Or, les manuscrits dits saxons, exécutés avec une rare perfection,
nous présentent encore cette ornementation étrange, entrelacement
d'animaux qui se mordent, de filets, le tout peint des plus vives et des
plus harmonieuses couleurs. Comme exemple, nous donnons ici (fig. 33),
une copie de deux fragments de ces vignettes<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]]. Pour qui a visité
les monuments
du Poitou et de la Saintonge, il est impossible de méconnaître les
rapports qui existent entre la sculpture d'ornement des monuments de ces
provinces et certaines peintures de manuscrits saxons, ou encore les objets
ciselés que les peuplades émigrantes du nord ont laissés dans leurs sépultures.
Ce fragrnent de corniche A de la façade de Notre-Dame-la-Grande, à
Poitiers, et ce petit tympan B des arcatures ornées de statues sur la
même façade (fig. 34), ne rappellent pas la sculpture
pseudo-byzantine de
la Provence, du Languedoc ou de Cluny. Ces artistes du Poitou ont subi
d'autres influences orientales, évidemment, mais venues par le Nord et
par la voie de mer.
 
[Illustration: Fig. 33.]
 
Dans cette province, comme dans les autres qui composent la France
actuelle, l'art de la sculpture ne se réveille qu'à la fin du XI<sup>e</sup>
siècle.
Le Poitou, la Saintonge, les provinces de l'ouest sont entraînées dans
le mouvement général provoqué par les premières croisades,
seulement
leurs artistes ont chez eux un art à l'état d'embryon, et ils le
développent. Comme la Provence mêle à ses imitations de l'art
gréco-romain
de Syrie, les traditions gallo-romaines locales, les Poitevins, en
apprenant leur métier de sculpteurs à l'école gréco-romaine, utilisent
les éléments indo-européens qu'ils ont reçus du Nord, et même,
les éléments gallo-romains. De tout cela ils composent des mélanges
dans lesquels parfois l'un de ces éléments domine. D'ailleurs, entre les
traditions qu'ils avaient pu recevoir du nord de l'Europe et les arts qu'ils
recueillaient en Orient, il existe des points de contact, certaines relations
d'origines, évidentes. L'alliage entre l'art romano-grec ou le byzantin et
ces rudiments d'art introduits au nord et à l'ouest de la France pendant
les premiers siècles du moyen âge, par les derniers venus entre les grandes
émigrations âryennes, était plus facile à opérer qu'entre cet art
byzantin
et l'art gallo-romain. Aussi, dans les monuments du Poitou et
même de la Normandie, le byzantin s'empreint souvent de cet art que
nos voisins appellent saxon, tandis qu'il ne conserve que de bien faibles
traces de l'art romain local. La fusion entre ces deux premiers éléments
se fait de manière à composer presque un art original.
 
[Illustration: Fig. 34.]
 
Ce chapiteau (fig. 35), provenant de la nef de l'église Saint-Hylaire de
Melle (Deux-Sèvres), est un de ces exemples où les trois éléments se re-*
trouvent. La composition des rinceaux rappelle ces entrelacs, ces nattes,
des ornements nord-européens. Il y a une influence byzantine dans la
forme générale du chapiteau, dans l'agencement des sculptures du tailloir;
il y a du gallo-romain dans le modelé et les dentelures des feuillages,
d'un travail un peu lourd et mou.
 
[Illustration: Fig. 35.]
 
En commençant cet article, nous avons dit combien il est périlleux, en
archéologie, de prétendre classer d'une manière absolue les divers styles
d'une même époque. Les enfantements du travail humain procèdent par
transitions, et, s'il est possible de saisir quelques types bien caractérisés
qui indiquent nettement des centres, des écoles, il existe une
quantité
de points intermédiaires où se rencontrent et se mêlent, à diverses
doses, plusieurs influences. Dans l'arLicle CLOCHER, nous avons eu l'occasion
de signaler ces points de contact où plusieurs écoles se réunissent et
forment des composés qu'il est difficile de classer d'une manière absolue.
Il n'en est pas moins très-important de constater les noyaux, les types,
quitte à reconnaître quelques-uns des points de jonction ou des mélanges
se produisant et qui déroutent souvent l'analyse. Ainsi, à Toulouse, nous
avons une école; à Poitiers, nous en voyons une autre; or, sur le parcours
entre ces deux centres, quantité de monuments possèdent des sculptures
qui inclinent tantôt vers l'une de ces écoles, tantôt vers l'autre, ou qui
mélangent leurs produits de telle façon qu'il est difficile de faire la part
de chacune des deux influences. Cela s'explique. Telle abbaye d'une
province établissait une fille dans une province voisine. Elle y
envoyait ses architectes, peut-être quelques artistes, mais elle prenait
aussi les ouvriers ou artisans de la localité, élevés à une autre
école
que celle de l'abbaye mère. De là des mélanges de style. Ici un
chapiteau
toulousain, là un chapiteau poitevin ou saintongeois. Un bas-relief
à figures d'une école et l'ornementation d'une autre. On comprend
donc quels scrupules, quelle circonspection il faut apporter dans l'examen
de ces œuvres du XII<sup>e</sup> siècle, si l'on prétend les classer et découvrir
sous quelles influences elles se sont produites. Depuis vingt-cinq ans, il
a été beaucoup écrit sur l'archéologie monumentale de la France, on
n'est pas encore parvenu à s'entendre sur ce qui constitue la dernière
période de l'art roman, jusqu'à quel point agit l'influence byzantine,
comment et pourquoi elle agit. Plusieurs archéologues en prenant
quelques
exemples pour le tout, ont prétendu que cet art roman est tout
inspiré
du byzantin, c'est-à-dire de l'art romano-grec à son déclin. Ceux ci,
s'appuyant sur d'autres monuments, ont déclaré que le roman était
aborigène,
c'est-à-dire né sur le sol français, comme poussent des champignons
après la pluie, quelques-uns, considérant, par exemple, certains
édifices de la Provence, ont soutenu que le roman n'était que l'art gallo-romain
repris et brassé par des mains nouvelles. Ces opinions différentes,
en leur enlevant ce qu'elles ont d'absolu, sont justes si l'on n'examine
qu'un point de la question, fausses si l'on envisage l'ensemble. Notre roman
nous appartient sans nul doute, mais partout il a un père étranger. Ici
romain, là byzantin, plus loin nord-hindou. Nous l'avons élevé, nous
l'avons fait ce qu'il est, mais à l'aide d'éléments qui viennent tous, sauf
le romain, de l'Orient. Et le romain lui-même, d'où est-il venu? Nous
avons vu parfois quelques personnes s'émerveiller de ce que certains
chapiteaux du XII<sup>e</sup> siècle avaient des rapports de ressemblance frappants
avec l'ornementation des chapitaux égyptiens des dernières dynasties.
Cependant il n'y a rien là qui soit contraire à la logique des faits. Ces arts
partent tous d'une même source commune aux grandes races qui ont
peuplé une partie de l'Asie et de l'Europe, et il n'y a rien d'extraordinaire
qu'un ornement sorti de l'Inde pour aller s'implanter en Égypte ressemble
à un ornement sorti de l'Inde pour aller s'implanter dans l'ouest de l'Europe.
Lorsque l'histoire des grandes émigrations âryennes sera bien
connue depuis les plus anciennes jusqu'aux plus récentes, si l'on peut
s'émerveiller, c'est qu'il n'y ait pas encore plus de similitudes entre
toutes les productions d'art de ces peuplades sorties d'un même noyau
et pourvues du même génie, c'est qu'on ait fait intervenir à travers ce
grand courant une <i>race latine</i> et qu'on ait englobé, Celtes, Kimris,
Belges, Normands, Burgondes, Visigoths, Francs, tous Indo-Européens,
dans cette race dite latine, c'est-à-dire confinée sur quelques hectares de
l'Italie centrale. On aurait beaucoup simplifié les questions historiques
d'art, si l'on n'avait pas prétendu les faire marcher avec l'histoire politique
des peuples. Une conquête, un traité, une délimitation de frontières,
n'ont une action sur les habitudes et les mœurs d'un peuple, et par conséquent sur ses arts, qu'autant qu'il existe en dehors de ces faits purement
politiques, des affinités de races ou tout au moins des relations
d'intérêt. Les Romains ont possédéla Gaule pendant trois siècles, ils ont
couvert ses provinces de monuments; or, dès que le trouble des grandes
invasions est passé, est-ce aux arts romains que le Gaulois recoure? non,
il va chercher ailleurs ses inspirations, ou plutôt il les retrouve dans son
propre génie ravivé par un apport puissant de peuplades sorties du même
berceau que lui.
 
On nous dit: «La langue française est dérivée du latin, donc nous
sommes Latins.» D'abord, il faut reconnaître que nous avons
passablement
modifié ce latin; que le génie de la langue française diffère
essentiellement
du génie de la langue latine; puis, après une possession non
contestée pendant trois siècles, le Romain avait eu le temps d'imposer
sa langue, puisqu'il avait en main le gouvernement et l'administration.
Le latin étant admis comme langue usuelle sur la surface des Gaules, on
ne cessait pas de parler, ne fut-ce que pour se plaindre, dans ces contrées
ravagées par des invasions, mais on cessait de bâtir, et surtout de sculpter
et de peindre; du V<sup>e</sup> au VIII<sup>e</sup> siècle on eut le temps d'oublier la pratique
des arts. Cependant lorsqu'un état social passablement stable succède à
ce chaos, lorsqu'on peut songer à bâtir des palais, des églises, des monastères
et des maisons, lorsqu'on prétend les décorer, pourquoi donc ces
populations gauloises ne prennent-elles pas tout simplement l'art
romain où
on l'avait laissé? Pourquoi (surtout dans les choses purement d'art comme
la sculpture) vont-elles s'inspirer d'autres éléments? C'est donc qu'il y
avait un génie local, à l'état latent, renouvelé encore, comme nous le
disions tout à l'heure, par des courants de même origine, et que ce génie,
à la première occasion, cherchait à se développer suivant sa nature. Ce
n'est pas là une question d'ignorance ou de barbarie, comme on l'a si
souvent répété, mais une question de tempérament.
 
Par instinct, sinon par calcul, ces artistes romans n'ont pas voulu se
ressouder à l'art romain, ou du moins à l'art gallo-romain. Il serait
étrange, en effet, que ces architectes et sculpteurs romans du
commencement
du XII<sup>e</sup> siècle qui avaient autour d'eux, sur le sol gaulois, quantité
de monuments gallo-romains, les aient négligés pour s'emparer avec
avidité de l'art gréco-romain ou byzantin de l'Orient, dès qu'ils l'entrevoient,
s'ils ne s'étaient pas sentis comme une sorte de répulsion
instinctive
pour le romain bâtard de la Gaule et une affinité pour le romain
grécisé de l'Orient. C'était donc cet appoint grec qui les séduisait, qui leur
était sympathique? Avaient-ils tort? Et le XVII<sup>e</sup> siècle a-t-il eu raison en nous
romanisant de nouveau par des motifs fort étrangers à l'art? Qu'un souverain
absolu comme Louis XIV ait trouvé commode d'étouffer le génie
particulier à notre pays pour assurer, croyait-il, le pouvoir monarchique
en France, on le conçoit sans peine, mais que le pays lui-même se rendit
complice de cette prétention, voilà ce qui ne pouvait être. Louis XIV
était cependant un grand roi, sinon un grand homme, et il sut si bien
combiner tous les rouages de son mécanisme de <i>romanisation</i> que nous
en trouvons encore à chaque pas des pièces entières fonctionnant tant
bien que mal, comme la vieille machine de Marly. Parmi ces rouages,
les arts furent un des mieux constitués, monopole académique, <i>protection</i>
immédiate du gouvernement sur les artistes, art officiel, centralisation des
ouvrages d'art de toute la France entre les mains d'un surintendant, rien
ne faillit à ce mécanisme que l'élément vital qui développe les arts, la
liberté, l'affinité avec les goûts et les sentiments d'un peuple.
 
Au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, il n'y avait ni roi, ni seigneur, ni
prélats qui pussent prendre ce pouvoir exhorbitant de confisquer le génie
d'une nation au profit d'un organisme politique. Chaque province se développait
suivant ses traditions, ses penchants, son esprit, acceptait les
influences
extérieures dans la mesure qui convenait à ses goût ou à ses
sentiments;
et si dur qu'on veuille montrer le régime féodal, jamais il n'eût la
prétention de contraindre les artistes à se soumettre à telle ou telle école
d'art. La marque de cette indépendance de l'artiste se trouve sur les monuments
mêmes; n'est-ce pas à cela qu'ils empruntent leur charme le plus
puissant? Si, comme à l'époque gallo-romaine, nous voyons sur toute la
surface du territoire français, sur mille monuments divers, le même
chapiteau, la même composition décorative, le même principe de
statuaire
ou de sculpture d'ornement, la fatigue et l'ennui ne sont-ils pas la conséquence
de cet état de choses? On luttera de richesse, nous le voulons
bien; si l'on a mis sur tel édifice de Lyon pour 100 000 francs de sculpture,
on en mettra pour 200 000 à Marseille. Nous aurons pour 200 000 fr.
d'ennui au lieu d'en avoir pour 100 000 francs. Le moindre grain d'originalité
ferait mieux notre affaire. Or, n'y a-t-il pas un grand charme à
retrouver la trace des goûts de ces provinces diversement pourvues de
traditions et d'aptitudes? N'est-ce pas un plaisir très-vif, en parcourant
les contrées habitées ou colonisées par les races grecques, de découvrir en
Attique, dans le Péloponnèse, en Sicile, en Carie, en Ionie, en Macédoine
et en Thrace, des expressions très-diverses de l'art grec? N'est-ce pas une
vraie satisfaction pour l'esprit en quittant les édifices romans du Berri, de
trouver en Poitou, en Normandie ou en Languedoc des styles différents,
des écoles variées, reflétant, pour ainsi dire, les génies divers de ces
peuples. Dans chaque monument même, les masses contentées, ces
chapiteaux
de compositions diverses n'offrent-ils pas plus d'intérêt pour
l'esprit
et les yeux que ces longues files de chapiteaux romains, tous
copiés
sur le même moule. La symétrie, la majesté, l'unité, objectera-t-on,
commandent cette répétition d'une même note. Pour l'unité, elle n'exclut
nullement la variété, il n'y a pas, à proprement parler, d'unité sans
variété; quant à la symétrie et à la majesté, que nous importent ces qualités,
purement de convention, si elles nous fatiguent et nous ennuient.
L'ennui majestueux ou l'ennui tout court, c'est tout un.
 
Les Grecs des bas temps pensaient ainsi, car dans ces monuments de
Syrie qu'ils nous ont laissés, à Sainte-Sophie de Constantinople, ils admettent la variété dans la composition des chapiteaux d'un même ordre,
dans les ornements des linteaux, des tympans et frises d'un même
monument.
Bien entendu, nos artistes occidentaux suivirent en cela leur
exemple, et se gardèrent de recourir à la majestueuse monotonie de
l'ornementation des monuments gallo-romains, lorsqu'ils reprirent en
main la pratique des arts.
 
Avant de passer outre, il nous paraît utile de définir, s'il est possible,
cet art byzantin auquel nous faisons appel à chaque instant; comment,
en effet, observer la nature de son influence si nous n'en connaissons ni
les éléments divers, ni le caractère propre? Nous serions heureux de recourir
à l'ouvrage d'art ou d'archéologie qui aurait nettement défini ce
qu'on entend par le style byzantin, et de partir de ce point acquis à la
science. Mais c'est en vain que nous avons cherché ce résumé clair, précis.
Tous les documents épars que nous pouvons consulter ne montrent qu'une
face de la question, ne considèrent qu'un détail; quant au faisceau
groupant ces travaux, nous ne pensons pas qu'il existe. Essayons donc
de le constituer, car les arts byzantins connus, les conséquences que nous
pouvons tirer de leurs influences sur l'art occidental, sur le nôtre en
particulier, sembleront naturelles. N'oublions pas qu'il s'agit ici de la
sculpture.
 
Voir dans l'art de Byzance un compromis entre le style adopté par les
Romains du bas-empire et quelques traditions de l'art grec, ce n'est certes
pas se tromper, mais c'est considérer d'une manière un peu trop
sommaire
un phénomène complexe. Il faudrait,--l'art admis par les Romains bien
connu,--savoir ce qu'étaient ces traditions de l'art grec sur
le Bosphore au IV<sup>e</sup> siècle. Cet art grec était romanisé déjà avant l'établissement
de la capitale de l'Empire à Constantinople; mais il s'était
romanisé en passant par des filières diverses. Or, comme les Romains, en
fait de sculpture, n'avaient point un art qui leur fût propre, ils trouvaient
à Constantinople l'art grec modifié par l'élément latin et tel, à
tout
prendre, qu'ils l'avaient admis partout où ils pouvaient employer des artistes grecs. Les Romains apportaient donc à Byzance leur génie
organisateur
en fait de grands travaux publics, leur structure, leur goût pour
le faste et la grandeur, mais ils n'ajoutaient rien à l'élément artiste du
Grec. Mais ces Grecs de l'Asie qu'étaient-ils au IV<sup>e</sup> siècle?
Avaient-ils
suivi rigoureusement les belles traditions de l'Attique ou même celles
des colonies ioniennes, cariennes? rappelaient-ils par quelques côtés ces
petites républiques de l'Attique et du Péloponnèse qui considéraient
comme des barbares tous les étrangers? non certes; ces populations, au
milieu desquelles s'implantait la capitale de l'Empire, étaient un mélange
connus d'éléments qui, pendant des siècles, avaient été divisés et
même
ennemis, mais qui avaient fini par se fondre. Le génie grec dominait encore,
au sein de ce mélange assez pour l'utiliser, pas assez pour l'épurer.
 
D'ailleurs pourquoi l'empire romain transportait-il son centre à Byzance?
Dorénavant maître de l'Occident borné par l'Océan, tranquille du côté du
Nord (le croyait-il du moins) depuis les guerres de Trajan, et depuis
qu'il
avait organisé comme une sorte de ligue germanique dévouée à Rome;
du côté de l'Orient, il trouvait un continent profond, inconnu en grande
partie, dans lequel ses armées pénétraient en rencontrant chaque jour,
et des obstacles naturels et des populations guerrières innombrables.
Byzance était (la situation de l'Empire admise au commencement du
IV<sup>e</sup> siècle) la base d'opérations la mieux choisie, tant pour conserver les
anciennes conquêtes que pour en préparer de nouvelles. C'était aussi,
et c'est là ce qui nous intéresse ici, le nœud de tout le commerce du
monde connu alors. Or, il est inutile de dire que l'Empire prétendait accaparer
tous les produits du globe et l'industrie des nations, depuis
l'ivoire jusqu'au bois de charpente, depuis les perles jusqu'aux métaux
vulgaires, depuis les épices jusqu'aux étoffes précieuses. Bien avant l'établissement
de Constantin à Byzance, cette ville, ou plutôt les villes du
Bosphore, étaient le rendez-vous des caravanes venant du nord-est par le
Pont, de l'est par l'Arménie, de l'Inde et de la Perse par le Tigre
et l'Euphrate.
Avec ces caravanes arrivaient non-seulement des objets d'art
fabriqués dans ces contrées éloignées, mais aussi des artisans,
cherchant
fortune et attirés par la consommation prodigieuse que l'Empire
faisait
de tous les produits de l'Orient. Il était donc naturel que l'élément
grec
qui existait et avait pu dominer sur les bords du Bosphore fût
influencé
et modifié profondément par ces appoints perses, assyriens, indiens
même, que ces caravanes faisaient affluer sans cesse vers Byzance.
 
Constantinople devint plus encore, après l'établissement de l'Empire
dans ses murs, une ville orientale cosmopolite. Le luxe de la cour des
empereurs, le commerce étendu qui se faisait dans cette capitale si admirablement
située, donna aux arts que nous appelons byzantins un caractère
qui, bien qu'empreint encore du génie grec, offre un mélange des plus
curieux à étudier de l'art grec proprement dit avec les arts des Perses et
même de l'Inde. Comme preuve, nous présenterions les ouvrages de
M. le comte Melchior de Vogüé, que nous avons cité déjà souvent, sur
les villes du Haouran, et celui de M. W. Salzemberg sur les plus anciennes
églises de Constantinople, Sainte-Sophie comprise.
 
Les monuments du Haouran, c'est-à-dire renfermés dans ces petites
villes qui, entre Alep et Antioche, n'étaient guère que des étapes pour
les caravanes qui venaient du golfe Persique par l'Euphrate, monuments
auxquels nous avons donné la qualification de gréco-romains, datent du
IV<sup>e</sup> au VI<sup>e</sup> siècle. Leur sculpture est fortement empreinte de style grec,
sans représentations humaines, sans influences persiques, les dernières
en date seulement présentent quelques réminiscences des sculptures
arsacides et sassanides. Mais il n'en est pas ainsi pour la sculpture de
Constantinople qui date des V<sup>e</sup> et VI<sup>e</sup> siècles<span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]], celle-ci est bien plus persique, quant au style, que grecque ou gréco-romaine. Les arts des Perses
avaient profondément pénétré la sculpture d'ornement de Byzance, à ce
point que certains chapiteaux ou certaines frises de Sainte-Sophie, par
exemple, semblent arrachés à des monuments de la Perse et même de
l'Assyrie. On comprend parfaitement, en effet, comment des villes comme
celle du Haouran, qui ne servaient que de lieux de repos, que d'étapes
pour les caravanes se dirigeant sur Antioche, ne pouvaient pas recevoir
de ces caravanes quantité de produits ou d'objets devant être livrés aux
négociants à destination. En un mot, et pour employer une expression
vulgaire, ces caravanes ne <i>déballaient</i> qu'à Antioche et ce qu'elles laissaient
en chemin ne pouvait être que des objets de peu d'importance
propres à être échangés contre la nourriture et le logement qu'elles trouvaient
dans ces villes. Mais Constantinople était un entrepôt où venaient
s'amasser tous les objets les plus précieux qu'apportaient du golfe Persique
les caravanes qui remontaient le Tigre, passaient par la petite
Arménie,
par la Cappadoce, la Galatie et la Bithynie. À Constantinople, ces
objets étaient vus de tous; des artisans ou artistes perses s'y établissaient,
l'art grec proprement dit, si vivace encore dans le Haouran,
c'est-à-dire
dans le voisinage de ces anciens centres grecs de Lycie, de Carie, de
Cilicie, l'art grec, à Byzance, loin d'ailleurs de ses foyers
primitifs, était
étouffé sous l'apport constant de tous ces éléments persiques.
 
Ainsi donc, si nous entendons par art byzantin l'art de Constantinople
au VI<sup>e</sup> siècle, nous devons,--en ce qui regarde la sculpture,--considérer
cet art comme un mélange dans lequel l'élément persique domine
essentiellement, non-seulement l'élément persique des Sassanides, mais
celui même des Arsacides, et dans lequel l'élément grec est presque entièrement
étouffé. Si, au contraire, nous entendons par art byzantin l'art
de la Syrie du IV<sup>e</sup> au VI<sup>e</sup> siècle, nous admettrons que l'élément grec domine,
surtout si nous prenons la Syrie centrale.
 
Les croisés, à la fin du XI<sup>e</sup> siècle et au commencement du XII<sup>e</sup>,
s'étant
répandus en Orient depuis Constantinople jusqu'en Arménie, en Syrie et
en Mésopotamie, il ne faut point être surpris si dans les éléments d'art
qu'ils ont pu rapporter de ces contrées, on trouve et des influences
grecques prononcées, et des influences persiques, et des influences produites
par des mélanges de ces arts déjà effectués antérieurement. Si
bien, par exemple, que certaines sculptures romanes de France
rappellent
le faire, le style même de quelques bas-reliefs de Persépolis,
d'autres des villes du Haouran, d'autres encore de Palestine et même
d'Égypte; non que les croisés aient été jusqu'en Perse, mais parce
qu'ils
avaient eu sous les yeux des objets, des monuments même, peut-être,
qui étaient inspirés de l'antiquité persique.
 
Reprenons l'examen de nos écoles françaises. L'école de sculpture
d'ornement du Poitou et de la Saintonge étend ses rameaux jusqu'à
Bordeaux,
mais en remontant la Garonne elle ne va pas au delà du Mas
d'Agen. Encore, dans cette dernière ville, cette école subit l'influence
du centre toulousain. L'église du Mas d'Agen nous montre de beaux
chapiteaux, les uns appartiennent à l'école de Saintonge, d'autres donnent
un mélange des deux écoles, et se rapprochent de celle de Toulouse.
Tel est par exemple celui-ci (fig. 36). L'ornementation du tailloir appartient
au roman empreint des arts gréco-romains. Les figures d'un meilleur style que celles du Poitou et de la Saintonge<span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]] rappellent la
statuaire
de Toulouse.
 
[Illustration: Fig. 36.]
 
Cahors présente également, au XII<sup>e</sup> siècle, en ornementation comme en
statuaire, un mélange d'influences dues aux provinces occidentales et
méridionales. Mais où ce mélange est bien marqué, c'est à l'abbaye de
Souillac, sur l'ancienne route de Brives à Cahors. Les bas-reliefs et sculptures
qui décorent l'intérieur de la porte de cette église ont un caractère
qui tient à la fois du génie nord-hindou dont nous avons trouvé des traces
à Poitiers et des arts byzantins. Dans la composition bizarre du pilier de
 
[Illustration: Fig. 37.]
 
gauche tenant à la porte de l'église abbatiale de Souillac (fig. 37), on peut
signaler certains rapports avec le système de composition de la figure 33,
copiée sur un manuscrit saxon du British Museum et, dans la statue A qui
décore l'un des piédroits de la même porte, on reconnaît l'influence byzantine
qui agit si puissamment à Moissac dont la sculpture dérive de
l'école de Toulouse. Ces animaux du pilier de Souillac, qui se mordent
et se nattent, ne se rencontrent ni dans la sculpture gallo-romaine, ni
dans la sculpture ou la peinture gréco-romaine de Syrie. Pour trouver
des analogues à cet art, il faut recourir aux monuments scandinaves,
nord-européens, islandais, ou à ces manuscrits dits saxons de Londres,
ou encore à certaines sculptures hindoues; toutefois, il faut reconnaître
que dans l'exemple que nous fournit l'église de Souillac, il y a une tendance
marquée à imiter la nature. Quelques-uns de ces animaux ont une
apparence de réalité et ne sont plus agencés régulièrement pour former
ornement. Les artistes avaient donc vu très-probablement un certain
nombre de ces produits nord-européens, mais ils ne faisaient que s'en
inspirer, s'en rapportant, pour l'exécution, à l'observation de la nature.
Il serait difficile de donner la signification de cette sculpture étrange.
Le bas-relief du tympan, dont ces piliers supportent l'archivolte, représente
un sujet légendaire dans lequel un abbé et le démon se trouvent traiter
de certaines affaires qui finissent au détriment du tentateur. Deux statues
assises de saint Pierre et d'un saint abbé flanquent le bas-relief. Nous
ne saurions indiquer une corrélation entre ces bas-reliefs et les piliers, si
toutefois les artistes y ont songé.
 
À Moissac, on retrouve, sur le trumeau de la grande porte de l'église,
des réminiscences de cet art nord-européen ou nord-hindou, dans ces
lions entrelacés, superposés, compris entre deux dentelures curvilignes.
 
Ainsi donc l'école de sculpture de Toulouse venait se mélanger à
Moissac, à Souillac, avec l'école des côtes occidentales de la France; or,
celle-ci semble avoir reçu des éléments orientaux d'une assez haute
antiquité par des expéditions scandinaves ou normandes, tandis que l'école
de Toulouse n'obéissait qu'à des traditions gallo-romaines
profondément
modifiées par un apport byzantin.
 
Il est loin de notre pensée de vouloir établir des systèmes ou des classifications
absolues, et nous nous garderons, dans une question aussi
complexe, de laisser de côté des exemples qui tendraient à modifier ces
aperçus généraux sur les origines des arts français du moyen âge. Il
reste peu de fragments d'architecture romane à Limoges. Cependant, par
suite de l'établissement des comptoirs vénitiens dans cette ville, un mouvement
d'art avait dû se produire dès le X^e siècle. Au point de vue de
l'architecture,
Saint-Front de Périgueux en est la preuve. Mais en ne considérant
que la sculpture d'ornement, dans les villes du Limousin, on
retrouve quelques traces d'un art qui n'est ni le roman de l'ouest, ni
celui de Toulouse. Cet art décoratif paraît plus qu'aucun autre inspiré
par la vue et l'étude de cette quantité d'objets, d'étoffes, de bijoux que
les Vénitiens rapportaient, non-seulement de Constantinople, mais de
Damas, de Tyr, d'Antioche et des côtes de l'Asie Mineure. Nous en
trouvons
une trace évidente dans un édifice de la fin du XII<sup>e</sup> siècle,
Saint-Martin
de Brives; les chapiteaux de la porte occidentale présentent cette
composition d'ornements (fig. 38), qui rappelle fort les chapiteaux, non
plus byzantins, mais arabes, d'une époque reculée<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]].
 
[Illustration: Fig. 38.]
 
L'église Saint-Martin de Brives est d'ailleurs un édifice remarquable.
Ses parties les plus anciennes datent des premières années du XII<sup>e</sup> siècle,
mais la nef et la porte, dont proviennent les chapiteaux (fig. 38), ont été
construites vers 1180. Le vaisseau principal et ses deux collatéraux sont
voûtés à la même hauteur. Des colonnes cylindriques très-élancées
portent ces voûtes. Un passage relevé règne intérieurement au niveau
des appuis des fenêtres des bas-côtés. La sculpture, sobre d'ailleurs,
affecte, dans ces constructions de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, un caractère
oriental très-prononcé.
 
[Illustration: Fig. 39.]
 
Les monuments du XII<sup>e</sup> siècle dans le Limousin, ou plutôt dans cette
contrée qu'occupent aujourd'hui les départements de la Creuse, de la
Haute-Vienne et de la Corrèze, sont rares. Ceux qui restent debout sont
d'une telle sobriété d'ornementation,--les plus riches ayant été détruits
lors des guerres de religion,--qu'il serait difficile de bien définir si là il
existait un centre d'art, une école de sculpture au XII<sup>e</sup> siècle, comme
en Languedoc et en Poitou. Si, au contraire, nous nous rapprochons du
centre, si nous entrons en Auvergne et dans le Vélay, nous trouvons
les nombreuses traces d'un art qui n'est ni celui de Toulouse,
ni celui du Poitou, ni celui du Limousin. Là, jusque vers le
commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, le gallo-romain règne en maître<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]]. Les chapiteaux
de la partie la plus ancienne du cloître de la cathédrale du Puy, qui
datent de la première moitié du XI<sup>e</sup> siècle, sont des sculptures romaines
mal copiées; mais vers 1130, un nouvel art, fin, recherché, souple, se
développe. On en pourra juger par ce chapiteau (fig. 39)<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]], qui n'est plus
gallo-romain, mais qui n'est byzantin, ni par la composition, ni surtout
par le faire. À côté de ce morceau, des portions de corniches de la même
époque (fig. 40), accusent, au contraire, l'influence orientale, soit par la
présence de ces objets du Levant apportés par les Vénitiens, soit par la
vue des monuments de l'époque des Sassanides, car cette ornementation
de palmettes arrondies et perlées, entremêlées d'animaux, est plutôt
persane que byzantine. Plus tard, au contraire, vers 1180, alors que
dans les provinces du Nord les écoles laïques ont complétement laissé de
côté les influences gréco-romaines, les artistes d'Auvergne s'y soumettent,
mais évidemment de seconde main. C'est le roman plus ou moins
byzantinisé
du Languedoc, du Lyonnais, qui vient se mêler aux débris des
traditions gallo-romaines et à ces éléments orientaux reçus du Limousin.
Ce fragment du porche méridional de la cathédrale du Puy, dont la
construction n'est pas antérieure à la fin du XII<sup>e</sup> siècle (fig.41), accuse
ces influences diverses et leur mélange qui, malgré l'habileté d'exécution
des sculpteurs, choque par le défaut d'unité, soit dans l'ensemble,
soit dans les détails.
 
[Illustration: Fig. 40.]
 
Par sa situation géographique même, l'école de sculpture de l'Auvergne
reste indécise entre ses voisines puissamment établies. Elle reflète tantôt
l'une, tantôt l'autre, et plus elle s'avance vers la fin du XII<sup>e</sup>
siècle, moins
elle sait prendre un parti entre ces influences différentes. Elle rachète,
il est vrai, cette incertitude par la finesse d'exécution, par une recherche
des détails, mais elle ne parvient pas à constituer un style propre. Aussi,
quand s'éteignent les belles écoles du Midi, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, les
sculpteurs de l'Auvergne, dépourvus de guides, ne laissent rien, ne reproduisent
rien par eux-mêmes, et ce n'est qu'à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle que
l'art de la sculpture se relève dans cette province, avec l'importation des
arts du Nord.
 
Il n'en fut pas ainsi dans le Berri. Cette province centrale est une de
 
[Illustration: Fig. 41. Du porche sud de la cathédrale de Puy.]
 
celles qui, à côté de traditions gallo-romaines assez puissantes, admit
certains éléments byzantins très-purs. Nous en avons un exemple des plus
caractérisés à Bourges même. Il existe dans cette ville une porte du
monastère de Saint-Ursin qui date de la fin de la première moitié du
XII<sup>e</sup> siècle et que l'on voit encore entière rue du <i>Vieux-Poirier</i>. Cette
porte est d'abord fort intéressante comme construction en ce qu'elle présente
un linteau appareillé supportant un tympan et déchargé par un arc
plein cintre. Le tympan, en reliefs très-plats, représente, au sommet, des
fabliaux; au-dessous, dans la seconde zone, une châsse qui paraît copiée
d'après ces bas-reliefs si fréquemment sculptés sur les sarcophages des Bas-temps.
Dans la zone inférieure, les travaux des mois de l'année. Sur le
linteau appareillé se développe un enroulement quasi romain. À côté de
ces sculptures, qui sont évidemment imitées des fragments antiques si
nombreux à Bourges au XII<sup>e</sup> siècle, se trouvent des pieds-droits, des chapiteaux
et colonnettes engagés que l'on croirait copiés sur de la sculpture
de Constantinople, si bien que plusieurs ont cru longtemps que cette
porte, élevée au XII<sup>e</sup> siècle, avait été complétée à l'aide de fragment
d'une époque antérieure. Cela n'est pas admissible cependant, car en y
regardant de près, les figures sont vêtues d'habits du XII<sup>e</sup> siècle; le faire,
la taille, les inscriptions, appartiennent à cette époque. D'ailleurs, sous
le tympan, un cartouche contient cette légende:
 
[Illustration: Fig. 41.^bis.]
 
Voici (fig. 42) une partie de cette porte qui indique clairement ces
juxtapositions des styles gallo-romain et byzantin. On voit même que
l'ouvrier chargé de l'exécution du piédroit A avait déjà modelé la partie
supérieure de l'ornement dans le goût de celui du linteau et que brusquement
il abandonne cette exécution lourde et molle pour adopter le style
serré, plat, en façon de gravure, de l'ornement byzantin. La colonnette est
entièrement sculptée dans ce style oriental. Nous en donnons un
fragment
en B.
 
On voit apparaître dans le Berry, à Châteauroux (église de Déols), à
Saint-Benoît-sur-Loire, à Saint-Aignan, à Neuvy-Saint-Sépulcre, etc., dans
la sculpture d'ornement de la fin du XI<sup>e</sup> siècle au milieu du XII<sup>e</sup>, les traces
non douteuses de ce rapprochement entre l'art gallo-romain corrompu
et l'art gréco-romain de Syrie importé dès les premières croisades, sans
que de ce mélange il résulte tout d'abord un art formé, complet comme
dans le roman du Midi, celui de Cluny ou celui de l'Ouest. Ces artistes
tâtonnent pendant presque toute la première moitié du XII<sup>e</sup> siècle, sans
 
[Illustration: Fig. 42.]
 
parvenir à fondre entièrement ces deux éléments. À côté d'une imitation
très-fine de la sculpture byzantine est un morceau lourdement inspiré
des restes gallo-romains, comme dans l'exemple précédent qui se
rapproche
de 1150. Cependant les fragments anciens de la cathédrale de
Bourges<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]] qui garnissent les deux portes nord et sud et notamment le
linteau à grands enroulements d'une de ces deux portes, 1140 à 1150,
présentent un caractère de sculpture assez franc, se rapprochant
beaucoup
de l'art roman de Chartres et de l'Île-de-France.
 
Par le fait, vers cette époque, l'école romane du Nord se développe sur
une surface de territoire étendue qui comprend l'Île-de-France
proprement
dite, une partie de la Normandie Séquanaise, le Beauvoisis, le
Berry, le pays Chartrain et la Basse-Champagne. Cette école, de 1130 à
1145, avait, de ces éléments, su mieux qu'aucune autre (l'école
toulousaine
exceptée) composer un style particulier qui n'est ni le byzantin, ni
une corruption du gallo-romain, ni une réminiscence de l'art
nord-européen,
mais qui tient un peu de tout cela et qui, au total, produit de
beaux résultats. Arrivée plus tard que les écoles du Centre et du
Midi, et
surtout que la grande école de Cluny, peut-être a-t-elle profité des efforts
de ses devancières, a-t-elle pu mieux qu'elles opérer un mélange plus
complet de ces styles divers.
 
Cependant, quand on remonte aux premiers essais de l'école dont 1e
foyer est l'Île-de-France, après l'abandon des traditions
gallo-romaines
restées sur le sol, on ne peut méconnaître que cette école réagit plus
qu'aucune autre contre ces traditions. On pourrait voir là dedans le
réveil d'un esprit gaulois, d'autant qu'il est bien difficile autrement de
comprendre l'espèce de répulsion que l'art de la sculpture, au
commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, manifeste pour tout ce qui rappelle le style romain.
Dans les autres provinces, au fond de toute sculpture, on retrouve quelque
chose de l'art antique admis dans les Gau1es, et plus spécialement dans
les pays de langue d'Oc, mais autour de Paris des éléments neufs ou renouvelés
apparaissent.
 
Cette école de l'Île-de-France était certes, au commencement du
XII<sup>e</sup> siècle, relativement barbare. L'échantillon de sculpture d'ornement
datant de cette époque que nous donnons ici (fig. 43), tiré de l'église
abbatia1e de Morienval (Oise)<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]], est bien éloigné de la belle et large sculpture
de Vézelay, de celle de Toulouse, de celle du Quercy. Mais on ne
peut voir là seulement de grossières réminiscences des arts antiques. Le
cheval sculpté sur l'un de ces chapiteaux se retrouve sur un grand nombre
de monnaies gauloises antérieures à la domination romaine. Cette
ornementation
inspirée d'ouvrages de vannerie est elle-même plus gauloise
que romaine. Il n'est pas jusqu'au <i>faire</i> qui ne rappelle le travail linéaire
qui décore certains ustensiles de nos aïeux. Pourquoi les souvenirs des
arts romains auraient-ils laissé moins de traces dans ces provinces que
dans d'autres de la Gaule? c'est ce que nous ne nous chargerions pas
d'expliquer, puisque le territoire de l'Île-de-France et notamment les environs
de Soissons et de Compiègne, étaient couverts d'édifices
gallo-romains
très-importants et dont on trouve des débris à chaque pas.
Comment, après onze cents ans, lea habitants de ce territoire en seraient-ils
revenus aux formes d'art pratiquées avant la domination romaine?
Comment auraient-ils conservé ces formes à l'état latent, ainsi qu'une
tradition nationale? Ce sont là des problèmes que, dans l'état des études
historiques, nous ne pouvons résoudre. Les poser, c'est déjà quelque
chose, c'est ouvrir des horizons nouveaux.
 
[Illustration: Fig. 43.]
 
Sans se lancer dans le champ des hypothèses, on en sait assez
aujourd'hui
déjà, pour reconnaître: que les traditions d'un peuple laissent des
traces presque indélébiles à travers les conquêtes, les invasions, les délimitations
territoriales, comme pour donner un démenti perpétuel à l'histoire, telle qu'on l'a écrite jusqu'à ce jour; que ce <i>principe des
nationalités</i>
reparaît à certaines époques pour déconcerter les combinaisons de la politique
qui semblent les plus solidement conçues. Dans l'histoire de ce
monde, les peuples, leurs goûts, leurs affections, leurs aptitudes, jouent
certainement un rôle bien autrement important qu'on ne se l'imaginait il y
a encore un demi-siècle. Nous pensons donc qu'on adonné une place trop
large à l'influence de la civilisation romaine sur la Gaule et que cette influence, toute gouvernementale et administrative, malgré trois siècles de
domination sans troubles, n'a jamais fait pénétrer dans le sol national que
des racines peu profondes, que le régime féodal et l'introduction d'éléments
identiques à ceux de la vieille Gaule celtique, au V<sup>e</sup> siècle, n'a pu
que raviver le génie national comprimé pendant la période romaine et
qu'enfin, à cette époque du moyen âge ou un ordre relatif se rétablit,
ce génie national considère comme un temps d'arrêt, une lacune, la
période
de domination et de désordre comprise entre le I^er siècle et le XI<sup>e</sup>.
 
Si dans les monuments qui nous restent de l'époque carlovingienne,
nous voyons la sculpture, dans les Gaules, s'efforcer de se rapprocher des
arts antiques, copier grossièrement des ornements romains, pourquoi à
la fin du XI<sup>e</sup> siècle abandonne-t-on ces traditions sur la partie du territoire
qui est destinée à former le noyau de l'unité nationale rêvée par Vercingétorix,
cinquante ans avant notre ère? Pourquoi les arts de ces provinces françaises, entourant Paris, après avoir produit les grossiers essais
dont nous venons de donner un fragment (figure 43), n'adoptent-ils
qu'avec réserve, soit les importations de l'Orient acceptées avec empressement
au delà de la Loire, soit les restes des édifices gallo-romains dont
ils étaient entourés? Et comment se trouvant dans une situation d'infériorité
relative au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, si on les met en parallèle
avec les écoles des Clunisiens et celles du Midi, atteignent-ils au contraire,
dès 1150, une supériorité marquée sur ces écoles de l'Est et
d'outre-Loire?
Ce serait donc que le génie national, mieux conservé dans ces
provinces voisines de Paris, plus ombrageux à l'endroit des importations
étrangères, se trouvait, par cela même, plus propre à concevoir un art
original?
 
L'art roman de l'Île-de-France et des provinces limitrophes, au
commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, est relativement barbare, ce n'est pas contestable,
mais en peu d'années, dans ces provinces, les choses changent
d'aspect. Tandis que la sculpture des provinces méridionales et du centre
ne progresse plus et tend au contraire à s'affaisser vers la seconde moitié
du XII<sup>e</sup> siècle, indécise entre le respect pour des traditions diverses et
l'observation de la nature; dans le domaine royal, il se forme une grande
école qui ne rappelle plus la sculpture gallo-romaine, qui refond,
pour ainsi dire, l'art byzantin et se l'approprie, qui ne néglige pas absolument
ces traces éparses de l'art que nous appelons Nord-Européen,
mais qui sait tirer de tous ces éléments étrangers des traditions locales,
l'unité dans la composition, dans le style et l'exécution, fait que nous
chercherions vainement ailleurs sur le sol gaulois. Cette école préludait
ainsi à l'enfantement de cet art laïque de la fin du XII<sup>e</sup> siècle si complet,
si original aussi bien dans la structure des édifices que dans la manière
toute nouvelle de les décorer.
 
[Illustration: Fig. 44.]
 
Voici (fig. 44) des chapiteaux jumelés du tour du chœur de
Saint-Martin
des Champs, à Paris, dont la sculpture atteint à la hauteur d'un
art complet. Certes, on retrouve bien là des éléments byzantins, mais non
de cet art byzantin des monuments de Syrie. Cette sculpture rappellerait
plutôt celle des dyptiques et des reliures d'ivoire, l'orfévrerie byzantine.
Le sentiment de la composition est grand, clair, contenu. Dans des
fragments déposés à l'église impériale de Saint-Denis, à Chartres, à l'église
de Saint-Loup (Marne), dans quelques édifices du Beauvoisis, on
retrouve ces mêmes qualités. Il n'est pas besoin de faire ressortir les différences
qui distinguent cet art des arts romans du Midi et du Centre;
ces derniers, quelle que soit la beauté de certains exemples, restent à
l'état de tentatives, ne parviennent pas à se développer complétement.
 
L'unité manque dans l'École toulousaine, dans celle de l'Auvergne et
du Quercy. Elle se retrouve davantage dans l'École poitevine, mais
quelle lourdeur, quelle monotonie et quelle confusion, en
comparaison
de ces compositions déjà claires et bien écrites du roman de
l'Île-de-France
vers 1135!
 
Veut-on un exemple, examinons ces fûts de colonnettes qui, au portail
occidental de Notre-Dame de Chartres, séparent les statues. Ces fûts sont
couverts de sculptures dans toute leur longueur, et datent de 1135 environ
(fig. 45). Si la composition de ces entrelacs est charmante, bien
entendue,
sans confusion, à l'échelle de tout ce qui se trouve à l'entour,
l'exécution en est parfaite. Les petits personnages qui grimpent dans les
rinceaux sont dans le mouvement, largement traités, s'arrangent avec
l'ornementation de manière à ne pas détruite l'unité de l'effet général.
 
Où les sculpteurs français avaient-ils pris ces exemples? Partout et
nulle part... Partout, puisque depuis l'époque romaine on avait souvent
sculpté des fûts de colonnes, notamment dans les Gaules, puisque dans
les provinces de l'Est, avant cette époque, des fûts de colonnes étaient
décorés. Nulle part, parce que dans cette sculpture de fûts antiques ou
du moyen âge on ne retrouve ce principe neuf, d'un réseau ronde-bosse,
enveloppant la colonne comme le ferait une branche tordue à l'entour.
 
Des ustensiles rapportés d'Orient, des manches d'ivoire, de bois,
pouvaient
avoir donné au sculpteur chartrain l'idée de cette gracieuse
décoration;
mais le style de l'ornementation et l'exécution lui appartiennent.
Remarquons que ces colonnettes placées entre des statues d'un travail
simple comme masses, sinon comme détails, font admirablement ressortir
la statuaire en formant, dans les intervalles qui les séparent, comme une
riche tapisserie modelée.
 
Mais ce qui, à cette époque déjà, distingue l'école du domaine royal
de toutes les autres écoles romanes de la France, c'est l'entente parfaite
de l'échelle dans l'ornementation. De Toulouse à la Provence, du
Lyonnais
au Poitou, sur la Loire et en Normandie, à Vézelay même, l'ornementation,
souvent très-remarquable, est bien rarement à l'échelle du
monument. Rarement encore y a-t-il concordance d'échelle entre les ornements
d'un même édifice. Ainsi verrons-nous à Saint-Sernin de Toulouse
des chapiteaux couverts de détails d'une délicatesse extrême à côté de
chapiteaux dont les masses sont larges. À Vézelay, où la sculplure est si
belle, nous signalerons aux portes latérales de la nef, des archivoltes dont
les ornements écrasent tout ce qui les entoure, des chapiteaux délicats
couronnés par des tailloirs dont la sculpture est trop grande. En Provence,
ce sont des détails infinis sur des moulures dont l'effet est détruit par le
voisinage d'une lourde frise. L'exemple de la porte de Saint-Ursin à
Bourges (fig. 42) donne exactement l'idée de ce manque d'observation
dans les rapports d'échelle de l'ornementation. Ces défauts considérables
sont évités dans le roman développé du domaine royal, et c'est ce qui
en fait déjà un art supérieur, car il ne suffit pas qu'un ornement soit,
beau, il faut qu'il participe de l'ensemble, et ne paraisse pas être un
fragment posé au hasard sur un édifice.
 
[Illustration: Fig. 45.]
 
Cependant il se faisait, vers 1160,
dans l'art de la sculpture d'ornement
comme dans la statuaire, une révolution.
Les artistes se préparaient à
abandonner entièrement ces influences,
ces traditions qui jusqu'alors
les avaient guidés; influences, traditions
conservées dans les cloîtres,
véritables écoles d'art. De l'archaïsme,
la statuaire passe, par une rapide
transition, à l'étude attentive de la
nature; il en est de même pour la
sculpture d'ornement. En prenant
la tête des arts, les laïques semblent
fatigués de cette longue suite d'essais
plus ou moins heureux, tentés
pour établir un art sur des éléments
antérieurs. Dorénavant, instruits dans
la pratique, ils vont puiser à la source
toujours nouvelle de la nature. C'est
précisément à l'époque des croisades
de Louis le Jeune et de Philippe-Auguste,
que l'on signale comme une
renaissance des arts en Occident provoquée
par l'influence orientale que
les artistes français rejettent, soit
dans le système d'architecture, soit
dans la sculpture, toutes les influences
orientales qui avaient eu, au commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, une si
grande action sur le développement
de nos diverses écoles. Mais ce mouvement
n'est pas général sur la surface
du territoire des Gaules; il ne se
fait sentir que dans les provinces du
domaine royal, en Bourgogne, en
Champagne et en Picardie. La prédominance
de l'art du Nord en France
sur l'art du Midi est assurée à dater
de ce moment. De même que la langue
d'oil tend chaque jour à réduire
les autres dialectes français à l'état
de patois, de même les écoles d'architecture et de sculpture du domaine royal tendent à se substituer à ces
écoles provinciales si brillantes encore au milieu du XII<sup>e</sup> siècle. Nous
expliquons ailleurs<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]] comment les sculpteurs laïques de la fin du XII<sup>e</sup> siècle
vont chercher leurs inspirations dans la flore des champs et des forêts;
comment certaines tentatives timides avaient été faites partiellement en
ce sens, dès le commencement du XII<sup>e</sup> siècle, par les meilleures écoles
françaises, et notamment par les artistes de Cluny, sans toutefois que ces
tentatives aient apporté un appoint important à travers les influences
orientales ou les traditions gallo-romaines; mais comment, enfin, cette
observation de la nature se formule en des principes invariables au sein
de l'école du domaine royal, de 1190 à 1200.
 
Il ne semble pas toutefois que cette école ait, la première, repris la
voie à peine entrevue et bientôt abandonnée par quelques artistes, près
d'un siècle auparavant. C'est encore l'école de Cluny qui marche en tête,
vers 1170; et si elle est bien vite dépassée par l'esprit logique des artistes
laïques de l'Île-de-France, il ne faut pas moins lui rendre cet hommage.
 
Entre autres qualités et défauts, l'esprit de la population dont Paris est
devenu le centre passe brusquement de l'idée à la pratique par une
déduction
logique; nos révolutions, nos modes en sont la preuve. Une idée,
un principe ne sont pas plus tôt émis chez nous, que l'on prétend
immédiatement
les mettre en pratique.
 
En Allemagne, on discutera pendant des siècles sur la caducité d'un
système ou la vitalité d'un principe avant de penser sérieusement à
détruire le premier et à adopter le second; en France, à Paris surtout,
on passera bien vite de la discussion théorique aux effets. Si dans le
domaine de l'art, les Académies ont pu, depuis deux siècles, ralentir
ce courant logique qui conduit de la théorie à la pratique, comme elles
n'existaient point en 1180, et qu'il ne paraît pas que les écoles monastiques
aient prétendu prendre ce rôle, il n'est pas surprenant que l'école
laïque, nouvellement formée alors, se soit jetée avec passion dans cette
application de principes nouveaux à l'ornementation sculptée, d'autant
qu'elle avait hâte d'en finir avec cet art roman qui représentait à ses yeux
la féodalilé monastique, dont elle ne voulait plus, dont saint Bernard
avait diffamé les arts, et que les évêques tendaient à détruire.
 
L'école de Cluny, malgré les reproches du fondateur de l'ordre de
Cîteaux,
ne tenait pas moins à conserver le rang élevé qu'elle avait su
prendre dans la pratique des arts. À ce point de vue, elle prétendait marcher
avec le siècle et le devancer au besoin. Vers 1130, ses relations avec
l'Orient s'étaient étendues. Elle élevait alors le narthex de l'église de Vézelay,
dont l'ornementation est mieux pénétrée de cet art gréco-romain de
Syrie que ne l'est celle de la nef. Quelques années après, vers 1150, elle
construisait la salle capitulaire de la même église, dont la sculpture est
si fortement empreinte de l'art byzantin de Syrie, qu'on croirait voir dans
la plupart des chapiteaux et culs-de-lampe, des fragments arrachés à ces
villes gréco-romaines du Haouran. Dans cette voie d'imitation, ou d'interprétation
plutôt, on ne pouvait aller plus loin sans tomber dans les pastiches
ou la monotonie, car cette ornementation gréco-romaine, de même que
l'ornementation grecque, son aïeule, ne brille pas par la variété. L'école
clunisienne fit donc un temps d'arrêt, et chercha les éléments
nouveaux
qui lui manquaient dans l'amas de traditions usées par elle. Ces
éléments,
elle les trouva dans les végétaux de ses champs; elle pensa qu'au
lieu d'imiter ces feuillages de convention attachés sur les frises et les
chapiteaux de la Syrie, au lieu d'essayer de les modifier suivant le goût
de l'artiste, il serait mieux de prendre les plantes qui croissaient dans la
campagne, et d'essayer de les mettre à la place de la flore traditionnelle
qu'elle reproduisait sans cesse avec plus ou moins d'adresse et de charme.
Désormais cette école, rompue aux difficultés du métier, habile de la
main, grâce à ce long apprentissage, était capable de rendre avec délicatesse
ces plantes qui allaient remplacer l'ornementation romane à bout
d'invention ou d'imitation. Aussi ses essais sont des coups de maître.
Vers 1160, on ouvrit dans la salle capitulaire de Vézelay, bâtie depuis
dix ans, trois arcades donnant sur le cloître. Ces trois arcades sont décorées
de chapiteaux et d'archivoltes sculptés dont rien n'égale la souplesse
et l'élégance. La forme générale de ces chapiteaux rappelle encore
la forme romane, mais les détails imités de la flore des champs sont composés
avec une grâce, une délicatesse de modelé que la main la plus
exercée atteindrait difficilement.
 
Voici (fig. 46) un fragment de ces groupes de chapiteaux taillés dans
de la pierre qui a la dureté et la finesse de grain du marbre. Ces sculpteurs
n'avaient pas été loin pour chercher leur modèle d'ornement. Ils
avaient cueilli quelques tiges d'ancolie.
 
Ce morceau d'archivolte (fig. 47) appartenant à la même construction,
d'un si beau caractère, et ces chapiteaux, indiquent assez les
progrès
que l'école clunisienne avait faits en recourant à la nature dans la
composition des ornements. La tradition romane n'apparaît là que dans
l'ensemble de la composition et dans l'aspect monumental donné à ces
feuillages inspirés par la flore plutôt que copiés.
 
On observera cependant que les critiques de saint Bernard ont porté
coup. Dans la sculpture de Vézelay <i>innaturelle</i>, comme disent les Anglais,
jusqu'en 1132, année de la dédicace du narthex, sur les chapiteaux,
la figure humaine, les animaux, les bestiaires, abondent. Déjà,
dans la sculpture de la salle capitulaire, un peu plus moderne, ces figures
disparaissent presque entièrement. L'ornementation si riche des
trois arcs ouverts de 1160 à 1165 dans cette salle n'en porte plus trace.
Déjà la flore naturelle s'est substituée à ces éléments aimés des sculpteurs
romans et, entre tous, des clunisiens. Mais l'architecture qui
portait,
à Vézelay, cette sculpture déjà naturelle, était encore toute romane;
elle ne devenait <i>gothique</i>, c'est-à-dire conçue d'après le système de struc-*
ture gothique, que dans la construction du chœur de la même église,
c'est-à-dire vers 1190.
 
[Illustration: Fig. 46.]
 
Le mouvement d'art ne se produit pas de la même manière à
Saint-Denis,
en France. C'est en 1137 que l'abbé Suger conmmence la construction
de l'église abbatiale, dont nous voyons encore la basse œuvre du tour
du chœur et le narthex. L'édifice fut élevé en trois ans et trois mois, il
était donc achevé en 1141. Or, si la structure de l'église abbatiale de
Suger est complétement gothique<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]], l'ornementation incline à peine, et
comme passagèrement, à imiter la flore.
 
C'est en 1128, avant le règne de Zenghi, que les <i>Francs</i>, comme les
appelaient les auteurs arabes, sont arrivés à l'apogée de leur puissance
en Orient: «L'empire des Francs, dit l'auteur de l'histoire des Atabeks<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]],
s'étendait, à cette époque, depuis Maridin et Schaiketan en
Mésopotamie,
jusqu'à El-Arisch, sur les frontières de l'Égypte; et de toutes les
provinces de Syrie, Alep, Emesse, Hamah et Damas, avaient pu seules
se soustraire à leur joug. Leurs troupes s'avançaient dans le Diarbékir
jusqu'à Amida, sans laisser en vie ni adorateurs de Dieu, ni ennemis
de l'erreur; et dans l'Al-Djézirèh jusqu'à Rassain et Nisibe, sans
laisser
aux habitants ni effets ni argent.» C'est en effet à cette époque, c'est-à-dire
de 1125 à 1135, que la structure de nos monuments d'Occident
rappelle le mieux les divers styles orientaux dont nous avons
indiqué plus haut la provenance. Dès 1137, Zenghi avait pris un bon
nombre de places aux chrétiens, s'était fortifié en Syrie; en 1144, il s'emparait
d'Édesse. À dater de cette époque, les affaires des Occidentaux ne
firent que s'empirer en Orient. Noureddin continua avec succès l'œuvre
commencée par Zenghi. Cependant, en 1164 et en 1167, les armées
chrétiennes de Syrie envahirent deux fois la basse Égypte, et s'y maintinrent
jusqu'en 1169, dans la crainte de voir les armées musulmanes
attaquer à la fois le royaume de Jérusalem par le nord, l'est et le sud.
Pour les chrétiens, à dater de 1170, l'Orient n'est plus qu'un champ de
bataille où chaque jour il faut se défendre. Plus de commerce, plus d'établissements
sûrs, plus de relations avec les caravanes venant de la Perse.
Acculés à la mer, ils ne devaient plus songer qu'à se maintenir dans le
peu de villes voisines du littoral qui leur restaient, et n'offraient plus aux
Occidentaux, qui affluaient en Syrie et en Palestine trente ans auparavant,
que des armes pour défendre les débris de leur domination. Cette source
d'arts et d'industries qui avait eu sur l'Occident une influence si considérable
était tarie; d'ailleurs elle nous avait donné ce qu'elle pouvait
nous donner.
 
[Illustration: Fig. 47.]
 
Indépendamment des invasions à main armée que les Francs avaient
tentées en 1164, il existait entre l'Égypte et le royaume de Jérusalem des
relations fréquentes; ces invasions mêmes n'étaient qu'une conséquence
des rapports, quelquefois amicaux, plus souvent hostiles, qui s'étaient
établis entre les successeurs de Godefroy de Bouillon et les khalifes
d'Égypte. En 1153, les chrétiens s'emparaient de la ville d'Ascalon, qui
était le boulevard des Égyptiens en face des armées de Syrie. Vers le
même temps, une flotte partie des côtes de la Sicile s'empara de la
ville de Tanis, non loin de la ville de Damielle. Ainsi les Occidentaux,
qui, de la fin du XI<sup>e</sup> siècle jusque vers 1125, occupaient principalement
les villes du nord de la Syrie et de la Syrie centrale, avaient peu à peu
étendu leurs possessions, malgré bien des revers, jusqu'en Égypte.
Leurs établissements, répartis sur une ligne peu profonde, mais
très-allongée,
s'étaient trouvés tout d'abord en contact avec les débris des arts
gréco-romains et byzantins, puis, plus tard, avec ceux de la Palestine,
et enfin de la basse Égypte, c'est-à-dire avec les arts des Sassanides, des
khalifes, et même peut-être des Ptolémées. Il ne faut pas oublier d'ailleurs
que les Occidentaux furent en Orient des destructeurs de villes et de
monuments bien autrement actifs que ne l'avaient été les Arabes. Ces derniers
ne s'attaquaient guère aux édifices, bâtissaient peu, jusqu'au X<sup>e</sup> siècle;
enlevaient les richesses et les populations, mais laissaient subsister les
monuments. Nous en avons la preuve dans le Haouran. Mais les chrétiens
d'Occident, bâtisseurs de forteresses, de remparts, ne laissaient
rien debout.
Il y a tout lieu de croire qu'il existait bien des édifices en Syrie, en
Palestine et dans la partie nord-orientale de l'Égypte, qui furent ainsi
renversés pour élever ces châteaux et ces murs dont aujourd'hui encore
on trouve des débris si nombreux et si imposants. De précieux
monuments
pour l'étude de l'archéologie ont dû disparaître ainsi; mais ces
démolisseurs acharnés ne laissaient pas, en Orient, comme partout, de
profiter des arts dont ils anéantissaient ainsi les modèles. Il y a, entre
l'art de Syrie et celui de l'Égypte antique, une lacune regrettable. Notre
sculpture, de 1140 à 1160, est peut-être un reflet affaibli de l'art qui
s'éleva entre celui des Ptolémées et celui des Sassanides, puisqu'on retrouve
dans nos monuments occidentaux des traces non douteuses de
ces arts orientaux. Le mélange a pu se faire chez nous, il est vrai, mais
quelques rares fragments en Syrie et dans la partie orientale de la basse
Égypte feraient également supposer que cet art de transition existait
des bords de la mer Morte aux bouches du Nil.
 
Il est certain que la sculpture romane d'ornement, vers 1140, dans
l'Île-de-France notamment, et en basse Champagne, dans le pays
chartrain,
n'a plus les caractères gréco-romains ou byzantins si apparents
au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, en Languedoc, en Provence, dans le
Lyonnais, une partie de la Bourgogne et de la haute Champagne.
 
Ce chapiteau (fig. 48), provenant de l'église abbatiale de
Saint-Denis<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]]
n'a de rapports ni avec ceux de Sainte-Sophie de Constantinople, ni avec
 
 
 
Ligne 3 300 ⟶ 4 508 :
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : <i>Arch. romane du midi de la France</i>, par H. Revoil,
architecte. Paris, Morel, 1864.
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : Voyez CHAPITEAU, fig. 18.
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : Voyez PORTE, fig. 51.
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : IV <i>Évang. lat. Sax.</i> Bib. Cotton. Nero D. IV, p.
57. Brit. Museum, XII<sup>e</sup> s.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : Voyez l'ouvrage de M. W. Salzemberg. <i>Alt-Christliche
baudenkmale von Constantinopel...</i>, Berlin, 1854.
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : Il faut dire que l'école de statuaire du Poitou est supérieure à celle de la Saintonge,
mais ces deux écoles ne diffèrent entre elles que par la qualité de l'exécution, les artistes
poitevins étant très-supérieurs aux artistes saintongeois. Quant au style, il est le même
dans ces deux provinces.
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : Il est clair que nous entendons ici l'art <i>dit</i> arabe, mais qui, de fait, est en grande partie dû aux artistes de l'époque des Sassanides.
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : Les monuments gallo-romains étaient très-abondants en Auvergne, notamment au Puy en Vélay.
 
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : Du cloître de la cathédrale du Puy en Vélay; partie du XII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : Fragments romans replacés aux portes nord et sud, lors de la reconstruction de la
cathédrale au XIII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : Chapiteaux de l'abside dont la construction remonte aux premières années du
XII<sup>e</sup> siècle. Nous devons ces dessins à M. Bœswilwald qui a bien voulu nous communiquer
les études très-détaillées faites par lui sur cet intéressant monument.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : Voyez FLORE.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : Voyez, à ce sujet, les deux excellents articles de notre ami si justement regretté,
M. Félix de Verneilh, dans les <i>Annales archéologiques</i>, t.
XXIII, p. 4 et 115.
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Voyez les <i>Extraits des historiens arabes relatifs aux
guerres des croisades</i>, par M. Reinaud, 1829.
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] : Des colonnes monostyles des collatéraux de l'abside.