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est huissier, reprit Violette, les dents serrées.

Maussade, elle tourna les talons, et elle rejoignit le groupe pour écouter la conversation.

Usurier ? Huissier ? Pierre ne connaissait pas du tout ces termes-là, mais ils ne lui disaient rien qui vaille.

Que pouvaient donc faire ces hommes ? Pourquoi prenaient-ils des notes sur des carnets, jetaient-ils des regards curieux et indiscrets sur les bâtiments, aunaient-ils d’un œil rapace jusqu’aux meules de foin qui sentaient bon, là, devant la grange ?

Décidément Pierre n’y comprenait rien !… Maintenant les deux intrus s’étaient arrêtés devant le donjon. Ils le regardaient, se penchaient en arrière pour regarder son toit hautain de vieux seigneur féodal.

Puis ils s’engouffrèrent dedans comme deux furets – un gros et un petit – qui vont au terrier ; ils en ressortirent et ils se dirigèrent sur M. des Aubiers qui fumait sa pipe en affectant l’indifférence.

M. Blandot frottait avec satisfaction l’une contre l’autre ses pattes roussies comme pour en faire jaillir des étincelles. M. Palenfroy agitait ses doigts crochus d’araignée comme pour attraper des mouches invisibles.

M. des Aubiers cachait ses mains dans les poches de sa culotte de chasse.

Assez longtemps, ils discoururent tous trois. Pierre n’entendait pas leurs paroles, mais il vit M. des Aubiers qui, d’un signe de tête impatienté, semblait acquiescer aux propos des deux visiteurs.

Violette revenait à lui. Oh ! cette fois, la pauvre fille ne dissimulait plus son chagrin sous une attitude de commande ! De gros sanglots secouaient sa poitrine. Elle étouffait sous le poids d’un souci trop lourd pour le porter seule et, instinctivement, trouvant un protecteur, elle tomba dans les bras de Pierre.

— Pierrot ! mon Pierrot ! c’est affreux, je ne peux pas y croire. C’est fait !

— Mais qu’est-ce qui est fait, mon Dieu ?

— Pierre, il faut que je te conte tout. J’avais pas osé te dire. C’est trop compliqué…

Violette parlait d’une voix haletante… Peu à peu, cependant, elle reprit un peu de son calme pour faire à Pierre ce douloureux récit :

— Pierrot, nous sommes presque ruinés. L’autre jour, je t’ai dit que papa était parti pour affaires, mais je ne savais pas tout. À son retour, je l’ai entendu qui causait avec son notaire ; et puis Maria m’en a conté de toutes les couleurs. Enfin, voilà ce que je crois bien avoir compris : Papa était parti à la suite de la mort d’un grand-oncle que je n’ai pas connu.

— C’est vrai, tu ne m’en as jamais parlé.

— Non, il habitait loin. C’était un vieux garçon qu’on surnommait l’oncle Mange-Tout, parce qu’il avait lustufré sa fortune.

— Lustu… ?

— Lustufré ! c’est un mot de chez nous. Ça veut dire mangé. Enfin, il est mort, et il a laissé des dettes que papa a voulu payer.