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le soir, après dîner, à ce moment si doux, où nous étions seuls dans mon petit salon. C’était une pièce qui portait aux confidences et dans laquelle je me sentais encore plus proche de mon cher mari. Ce soir-là, il me questionna affectueusement, comme de coutume :

— Qu’avez-vous fait de votre journée d’hier, ma bonne chérie ?

— J’ai commencé par penser à vous, puis il m’est survenu une visite.

— Une visite ? répéta Jacques, en haussant les sourcils.

— Oui, et bien inattendue…

— Le sieur Labatte ?

— Pas du tout ! C’était le bon Anselme de M. de Gritte.

Jacques était près de moi sur un divan, son bras autour de mes épaules. Aux noms que je prononçai, il bondit comme un ressort et marcha de long en large, l’air soucieux. Puis il s’arrêta devant moi et, réprimant sa nervosité, il me demanda, d’un air qui voulait être calme :

— Que désirait-il ?

— Son maître l’envoyait vous chercher, pour vous consulter au sujet d’un manuscrit que vous compo­siez ensemble.

Un silence passa. C’est étonnant ce qu’un silence peut contenir de choses…

Jacques interrogea :

— Et pourquoi n’est-il pas venu lui-même, M. de Gritte ?

— Parce qu’il souffre de la goutte et qu’il ne peut ni marcher, ni écrire.

— Pauvre vieil ami !

Il y eut de nouveau un silence, après lequel Jacques parla d’un ton changé :

— Mon amour, aimez-moi bien, parce que je suis malheureux.

Je criai :

— Je ne veux pas que tu sois malheureux !

Je le serrai dans mes bras, à l’étouffer.

— Ah ! sur ton cœur, j’oublie ma misère ! bégaya mon pauvre mari, en pressant son front contre mon épaule.