« Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon » : différence entre les versions

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==IV. Ils ! ! !==
 
C' est à ces différents talents que Tartarin de
Tarascon devait sa haute situation dans la ville.
Du reste, c' est une chose positive que ce diable
d' homme avait su prendre tout le monde.
 
À Tarascon, l' armée était pour Tartarin. Le brave
commandant Bravida, capitaine d' habillement en
retraite, disait de lui : « C' est un lapin ! » et vous
pensez que le commandant s' y connaissait en lapins,
après en avoir tant habillé.
 
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Ladevèze avait dit, parlant de lui :
 
« C' est un caractère ! »
 
Enfin le peuple était pour Tartarin. Sa carrure, sa
démarche, son air, un air de bon cheval de trompette
qui ne craignait pas le bruit, cette réputation de
héros qui lui venait on ne sait d' où, quelques
distributions de gros sous et de taloches aux
petits décrotteurs étalés devant sa porte, en
avaient fait le lord Seymour de l' endroit, le
roi des halles tarasconnaises. Sur les quais, le
dimanche soir, quand Tartarin revenait de la
chasse, la casquette au bout du canon, bien sanglé
dans sa veste de futaine, les portefaix du Rhône
s' inclinaient pleins de respect, et se montrant du coin de l' oeil les biceps
gigantesques qui roulaient sur ses bras, ils se
disaient tout bas les uns aux autres avec admiration :
« C' est celui-là qui est fort ! ... il a doubles
muscles ! »
 
Doubles muscles !
 
Il n' y a qu' à Tarascon qu' on entend de ces
choses-là !
 
Et pourtant, en dépit de tout, avec ses nombreux
talents, ses doubles muscles, la faveur populaire
et l' estime si précieuse du brave commandant Bravida,
ancien capitaine d' habillement, Tartarin n' était pas
heureux ; cette vie de petite ville lui pesait,
l' étouffait. Le grand homme de Tarascon s' ennuyait
à Tarascon. Le fait est que pour une nature héroïque
comme la sienne, pour une âme aventureuse et folle
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typhons, faire tous les dimanches une battue à la
casquette et le reste du temps rendre la justice chez
l' armurier Costecalde, ce n' était guère... Pauvre
cher grand homme ! À la longue, il y aurait eu de
quoi le faire mourir de consomption.
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En vain, pour agrandir ses horizons, pour oublier un
peu le cercle et la place du marché, en vain
s' entourait-il de baobabs et autres végétations
africaines ; en vain entassait-il armes sur armes,
krish malais sur krish malais ; en vain se bourrait-il
de lectures romanesques, cherchant, comme
l' immortel Don Quichotte, à s' arracher par la
vigueur de son rêve aux griffes de l' impitoyable
réalité... Hélas ! Tout ce qu' il faisait pour apaiser
sa soif d' aventures ne servait qu' à l' augmenter. La
vue de toutes ses armes l' entretenait dans un état
perpétuel de colère et d' excitation. Ses rifles, ses
flèches, ses lazos lui criaient : « Bataille !
Bataille ! " Dans les branches de son baobab, le vent
des grands voyages soufflait et lui donnait de
mauvais conseils. Pour l' achever, Gustave Aimard
et Fenimore Cooper...
 
Oh ! Par les lourdes après-midi d' été quand il était
seul à lire au milieu de ses glaives, que de fois
Tartarin s' est levé en rugissant ; que de fois il a
jeté son livre et s' est précipité sur le mur pour
décrocher une panoplie !
 
Le pauvre homme oubliait qu' il était chez lui, à
Tarascon, avec un foulard de tête et des caleçons,
il mettait ses lectures en actions, et, s' exaltant
au son de sa propre voix, criait en brandissant une
hache ou un tomahawk :
 
« Qu' ils y viennent maintenant ! »
 
Ils ? qui, ils ?
 
Tartarin ne le savait pas bien lui-même... Ils !
c' était tout ce qui attaque, tout ce qui combat, tout
ce qui mord, tout ce qui griffe, tout ce qui scalpe,
tout ce qui hurle, tout ce qui rugit... Ils !
c' était l' indien sioux dansant autour du poteau de
guerre où le malheureux blanc est attaché.
C' était l' ours gris des montagnes Rocheuses qui se
dandine, et qui se lèche avec une langue pleine de
sang. C' était encore le touareg du désert, le pirate
malais, le bandit des Abruzzes... Ils, enfin,
c' était ils ! ... c' est-à-dire la guerre, les
voyages, l' aventure, la gloire.
 
Mais, hélas ! L' intrépide tarasconnais avait beau
les appeler, les défier... ils ne
venaient jamais... pecaïré ! Qu' est-ce qu' ils
seraient venus faire à Tarascon ?
 
Tartarin cependant les attendait toujours,
-surtout le soir en allant au cercle.
 
==V.==