« Livre de chevalerie » : différence entre les versions
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Pour ce qu’il m’est venu en mémoire de parler de plusieurs estas de gens d’armes qui ont esté pièça et encores sont, vueil-je un petit retraire et faire aucune mention briefment ; et bien en peut-on parler, car toutes tels choses sont assés honorables, combien que les unes le soient assés, et les autres plus et adès en plus jusques au meilleur. Et tousjours la meilleure voie seurmonte les autres, et cils qui plus y a le ceur, va tousjours avant pour venir et attaindre au plus haut honneur, et pour ce convient-il que nous viègnons à parler de ceste manière au commencement.
Premièrement du mains au plus, et bien me semble que nuls ne s’en doit, ne peut tenir à mal paiés  ; ; car nuls ne pourra dire qu’il y ait fors que bien et vérité, ou autrement seroit mal du retraire. Et pour ce vueil-je parler de plusieurs estats de gens d’armes en la meilleure maniere que je pourray, car c’est drois que chascuns en recorde le bien là où il n’y a point de mal, à tous hommes d’armes qui soit. Là où il n’y a reproche, il n’y peut avoir nul mal fors que bien, et pour ce prie-je Dieu qu’il me doint manière et matière de en parler tousjours en bien.
Si dirons premier d’une manière de gens d’armes qui bien sont à loer selon le fait d’armes, dont leur volenté est d’entremettre. Ce sont li aucun qui ont bon corps sain et appert, et qui se tienent nettement et joliement, ainsi comme il affiert bien à
Dont de l’autre nous estuet parler, auquel tout plain de gens d’armes entendent à faire leur corps : ce sont les fais des tournoiemens. Et vraiement il sont bien à loer et priser : car il convient grans mises, grans estofes et grans despens, travail de corps, froisseures et bleceures et péril de mort aucune fois. Et pour cesti fait d’armes en y a aucuns qui, bon corps qu’ils ont fort et appert et délivre, le font si très-bien qu’ils ont en ce mestier grant renommée pour leur bien fait, et dont pour ce qu’il le font souvent, et bien leur en croist leur renommée et leur cognoissance et en leurs marches et entour leurs voisins ; et ainsi veulent continuer de poursuivre en celi fait d’armes, pour les grâces que Dieu leur en a faittes. Et de ceste mestier d’armes se tiennent pour contens pour les grans los qu’il en ont et entendent à avoir ; et vraiement il sont bien à loer, combien que : ''qui plus fait, miex vault''.
Dont me convient après ces fais d’armes de pais dessus nommés, parler d’autres estas de gens d’armes pour la guerre ; car plusieurs en plusieurs manières en attendent à faire leur corps en celi mestier ; et pour ce parlerai-je premièrement de ceulx qui suient et hantent les guerres en leurs pays, sans aler en loyntaines marches, et qui moult sont à loer pour leurs grans fais et emprises qu’ils ont fais et font de leurs sens et de leurs corps et de leur main, comme ceulx qui ont guerre en leur chief, pour deffendre leur honneur et leur héritage, comme de ceulx qui veulent faire guerre pour aidier à deffendre l’onneur et héritage de leurs amis charneulx, comme de ceulx qui demeurent et servent leur droit seigneur en ses guerres pour deffendre et garder l’onneur et héritage de leur dit seigneur, soubs qui ils tiennent leur chevance ; car la foy et loyauté qu’ils doivent à leur seigneur, ne peut estre mieux monstrée qu’à le servir et aidier loyaument à tel besoing comme de fait des guerres, qui est si pesant comme de mettre corps, honneur et chevance tout en aventure.
Et autres en y a encores qui veulent servir les amis, quant ils ont à faire aucun fait de guerre ; et aucuns en y a, qui n’ont de quoy yssir de leurs pays. Et quant Dieu donne grâce à tels gens dessus nommés de bien faire et de bien guerrier et d’emporter grâce en plusieurs bonnes journées que ils pèvent avoir, icelle gent doit l’en prisier et honorer, qui si bien se sont portés et gouvernés en leurs marches. Et bien semble que autre part le seussent-il bien faire. Et si osé-je bien dire que toutes gens d’armes qui bien l’ont fait en ce mestier, et à qui il en est bien pris et souvent, et fust fait en leur pays tant seulement, que en leur pays et entre toutes gens l’on les doit honorer, ainsi comme l’on doit honorer bonnes gens d’armes et ainsi comme il appartient à eulx de si très-noble cevre comme de fait d’armes de guerre qui passe tous autres, excepté Dieu servir.
Si avons parlé de ceulx et des gens
Si dirons d’une autre manière de gens d’armes qui entendent faire leurs corps en alant hors de leur pays et en plusieurs manières qui toutes sont bonnes et honorables, combien que les unes vaillent miex des autres.
Si dirons de ceulx qui entendent leurs corps à faire par grant emprise
Dont nous convient parler encore
Une autre manière de gens y a, qui ne se veulent partir de leur lieu, ne entremettre
Une autre manière de gens
Si me convient dire
Or me convient encore parler
Si
Or est il donques raisons que, aprés tous ces estas et manieres d’armes dont nous avons parlé, nous parliens du droit entier estat qui est et peut estre en pluseurs gens d’armes, ainsi come vous pourrés oïr ci aprés ensuiant. Ce sont cil qui, de leur propre nature et de leur propre mouvement, des lors que cognoissance se commence a mettre en eulx en leur joennesce, et de leur cognoissance ilz oent et escoutent volentiers parler les bons et raconter des faiz d’armes, voient volentiers gens d’armes armez et leurs harnois, et si voient volentiers beaux chevaux et beaux coursiers. Et ainsi come ilz viennent en aage, si leur croist leur cuer ou ventre, et la tres grant volenté qu’ilz ont de monter a cheval et d’eulx armer. Et quant ilz sont en aage et en estat qu’ilz le peuent faire, ilz n’en demandent conseil ne n’en croient nullui qui les en vueille conseiller qu’il ne s’arment ou premier fait d’armes qu’il treuvent, et d’ileuc en avant tous jours de plus en plus ; et ainsi come ilz croissent d’aage, ainsi croissent il de bonté et en fait
d’armes de paiz et en fait d’armes de guerre. Et d’eulx mesmes, pour la grant et bonne volenté qu’il y ont, aprennent il l’usage et la maniere du faire, et tant qu’il ont la cognoissance de tous jours faire et tirer au plus honorable, tant de tous faiz d’armes come en autres manieres, de tous bons gouvernemens qui a leurs estaz appartiennent. Et lors s’appensent et avisent et demandent de tout ce qui est bon a faire pour le plus honorable. Si le font briefment et liement, et n’attendent pas que l’en les amonneste ne que l’en les en avise. Et ainsi semble ilz que telx gens sont faiz et se font d’eulx mesmes, dont se doit doubler le bien qui ainsi en teles gens se met, quant de leur propre mouvement et bonne volenté que Dieu leur a donnee, il cognoissent le bien ; et rien n’espargnent, ne corps ni avoir, qu’il ne mettent peine de le faire. Et bien nous peut apparoir en leur maniere de venir avant ; car le premier mestier d’armes qu’il puissent cognoistre en leur commencement, c’est le fait d’armes de joustes, dont le font il volentiers et liement. Et quant Dieu leur donne grace de bien jouster souvent, si leur plaist le mestier et leur croist leur volenté qu’ilz ont d’eulx armer. Dont leur vient il a cognoistre, aprés cesti mestier d’armes de jouster, les faiz d’armes des tournoiemens. Si leur semblent et voient et cognoissent que les tournoiemens sont plus honorables, qui bien y font, que les joustes. Dont se mettent eulx a armer pour les tournois le plus briefment qu’ilz peuent. Et quant Dieu leur donne grace de le bien faire baudement et liement et ouvertement, dont leur semble il bien que le tournoier leur acroist leur renommee et leur bien plus que les joustes ne faisoient. Si delaissent plus les joustes qu’ilz n’avoient acoustumé pour aler aux tournois ; et de plus en plus leur acroist leur cognoissance tant qu’il voient et cognoissent que les bonnes gens d’armes pour les guerres sont plus prisiez et honorez que nul des autres gens d’armes qui soient. Dont leur semble de leur propre cognoissance que en ce mestier d’armes de guerre se doivent mettre souverainement pour avoir la haute honnour de proesce, car par autre mestier d’armes ne le pueent il avoir. Et si tost come ilz en ont la cognoissance, si delaissent a faire si souvent les faiz d’armes de pays et se mettent es faiz d’armes de guerre. Si regardent et enquierent et demandent ou il fait le plus honorable selon le temps en quoy ilz sont ; dont vont il celle part et puis veulent savoir de leur bonne nature tous les estas de fait de guerre et ne se pueent tenir a paiez d’eulx mesmes se ilz ne voient tout le desir qu’ilz ont du savoir et de y estre.
Si veulent savoir et veoir comment l’en met sus une chevauchee pour guerrier et courre sus a ses ennemis, et veoir l’ordenance des coureurs, les ordenances qui se font de gens d’armes et des gens a pié, et la maniere de beau chevauchier en alant avant, et du beau retraire seurement et honorablement quant il en est temps. Et quant ilz ont veü cela, ilz ne leur soufist pas qu’ilz ne veullent estre et savoir comment villes et chasteaux se peuent deffendre, tenir, garder et furnir contre leur ennemis tant d’assaut come de siege et de tous aprochemens que l’en leur puet faire, ce que l’en doit faire a l’encontre par dedanz ; et encore ne s’en veulent ilz mie deporter atant combien que en ce fait d’armes se soient trouvez a leur tres grant honnour. Si veulent il savoir encore tous jours plus pour ce qu’ilz oient parler comment l’en puet mettre siege devant villes et chasteaulx. Dont vont querant a leur povoir comment ilz puissent estre en telles places. Et quant ilz y sont, si prennent grant delit a veoir comment le siege se met pour enclorre la ville ou chastel, comment li batiffol se font oster leurs yssues et les tenir plus court, comment la mine se fait en autres artifices come d’engins, de truyes, de buyres, de chas et de baffrois, et en autres manieres come d’assaillir au mur, de monter par eschielles et de percier les murs et d’entrer enz et et prendre par force. Dont sont il aaisé quant Dieu leur a donné grace d’i estre et avoir veü et avoir bien fait en ce fait d’armes. Et quant plus voient celes gens et font de bien, dont leur semble il de leur bonne nature que ilz n’aient rien fait, et leur semble qu’ilz soient tous jours a l’encommencier. Et pour ce encore ne leur soufist pas que pour ce qu’ilz ont oÿ parler comment l’en se puet et doit combatre sur les champs, gens d’armes contre autres, et ilz oyent recorder a ceulx qui y ont esté les grans biens que les bons y ont faiz, dont leur semble il bien que ilz n’ont rien veü ne rien fait se ilz ne se treuvent en ce noble fait d’armes come de bataille. Dont mettent peine de aler en plusieurs lieux et de travailler leurs corps par tous païz, en mer et en terre. Et quant Dieu leur donne grace de trouver et veoir si tres hautes besoignes come de batailles, avecques ce qu’ilz aient grant gré et grant grace de leur bienfait, dont doivent bien telles gens mercier Nostre Seigneur et servir du bien qu’il leur a fait et monstré pour continuer en ces mestiers d’armes. Et quant il cognoissent quel bien et quelle honnour c’est, dont leur croist leur volenté de travailler pour querir telx faiz d’armes. Et quant bien leur en chiet du trouver, c’est tres grant bien ; et a qui il en chiet le miex de y estre souvent et de y bien faire son devoir en son paÿs et en autres, tant vault il miex des autres qui mains auroient fait. Et li debaz de deux bons est es honorables que li uns vaille miex que l’autre, et chascun bon de cest mestier d’armes doit on priser et honorer, et regarder les meilleurs et aprendre d’eulx, oïr et escouter et demander de ce que l’en ne scet, car par raison ilz en doivent miex parler, aprendre et conseiller que li autre, quar ilz ont veü et sceu, fait, esté et essaié en toutes manieres d’armes ou li bon ont apris le bien et aprennent. Et ainsi par raison doivent bien savoir parler de tout ce que a tout fait d’armes et plusieurs autres estaz doit appartenir. Et quant a ainsi parler pourroient aucuns debatre et faire question duquel ou desquelx l’en doit tenir plus grant bien, ou des povres compaignons qui font et ont fait leurs corps en la maniere que dessus est dicte, ou des grans seigneurs qui leurs corps veulent faire et ont fait es mesmes manieres, et egalment de toute bonté en sens et maniere et de l’ouvrage de fait d’armes et de la main. Mais il semble que a ce peut l’en trop bien respondre, car raisonnablement li povre compaignon font bien a priser et loer qui de leur povreté se mettent a tel travail et a tel labour, dont il vienent a si haute bonté et a si grant cognoissance que la renommee de leurs biens faiz s’espant et estent ainsi come partout, dont avant n’estoit nul compte, ne ne fust, se avant ne se fussent enhardiz et mis a faire les bons fais d’armes ainsi come dit est. Et pour celle honnour leur vient cognoissance, avansement d’estat, profit, richesce et acroissement de tout bien. Dont leur est il plus neccessaire faire et avoir fait ces biens dessus diz que a grans seigneurs ; car aux grans seigneurs n’est il nulle neccessité d’aler nulle part pour estre cogneuz, que leur estat les font assez cognoistre ; ne d’aler nulle part pour estre serviz et honorez, car ilz le sont assez de leurs estaz mesmes ; ne neccessité ne les puet esmouvoir d’aler hors pour proufit avoir, car ilz sont assez riches. Aprés n’est il pas grant besoing qu’ilz voisent hors pour avoir aaise ne deduiz, car en leur terre et en leur paÿs en peuent eulx avoir assez. Dont doit en souverainement plus grant compte faire des emprises, du travail et du peril de corps ou li grant seigneur se veulent mettre et se mettent de leur bonne volenté sanz aucune neccessité, mais sanz plus pour avoir honnour de corps sanz autre loyer attendre pour leur grant mise et travail qu’il font et sueffrent en faisant les biens et faiz d’armes dessus diz, que l’en ne doit de ceulx qui en attendent aucuns proffiz ou avancemens et essaucemens de leurs estas pour les desertes et guerdon de l’onneur qu’il ont pourchacié ou pourchacent.
Et s’il est ainsi que l’en tiegne plus grant compte des uns, li autre ne valent de rien mains 
car tout est bien pour ceulx qui bien font.
Mais toutevoies peuent li grant seigneur trop plus porter grant loange de leur bonté en plusieurs bonnes manieres que ne font les povres compaignons qui valent aucune foiz autant ou miex que li aucun grant seigneur. Maiz la raison si est tele que quant uns grans sires et qui est sires de paÿs est bons en telle maniere come dessus est dit, il en aime miex et prise plus les bons pour la cognoissance qu’il a des biens qu’il a veüz qu’il ont faiz. Et li autre compaignon, qui voient les bons estre honorez par les grans seigneurs pour leur bonté, ont plus grant volenté de venir a ce bien quant ilz voient qu’il est si bien cogneuz. Et ainsi povez vous veoir que plus tost se font et sont fait cent hommes bons ou fait d’armes par I bon grant seigneur que ne seroient X par II bons povres hommes ; car li grans sires les maine et si les aime et les honnore et prise et leur fait proffit, et le doubtent, aiment, honorent et prisent pour le bien qu’ilz voient et cognoissent qui est en li avecques les amours, honours et proufiz qu’il leur fait. Lors se travaillent de faire bien de plus en plus. Et pour ce est il que uns bons sires et bon chevetaine de paÿs refait tout un païs ; et un chetif sires anientist une grant partie du bien de son paÿs. Et li povre bon compaignon ne puet mener autrui a sa mise ne faire profit. Et si ne tient on pas si grant compte d’estre honorez d’un bon povre come d’un bon grant seigneur. Ne li bon povre ne sont tant doubté ne obeÿ a un besoing come sont li grant seigneur. Mais pour ce n’est ce pas que li bien tout entier ne soit et demeure a ceulx qui le font, soient povres ou riches. Et ''qui plus en fait, plus li en demeure et miex vault''.
Or di je dont que bien doit on honorer et les grans et les moyens en qui ces biens sont. Hé Dieux ! Com c’est uns honorables et pesanz faiz a porter, et bien doit estre en grant doubte qui tel faiz porte sur li qu’il ne li chee ; car a grant peine et travail, en grant paour et peril, en grant soing a s’entente mise, et par long temps et par plusieurs annees a chargier ce faiz sur ces espaules, et en petit lieu et pou de heure peut cheoir et tout perdre cui Diex ne donne senz et aviz du savoir garder. Si doit sembler a un chascun que tiex gens doivent mettre toute la bonne diligence qu’il peuent afin que l’en ne leur puist rien reprocher ne reprover sur eulx ne sur les bontez que Diex leur a donnees. Et quant telx gens et de tel estat sont entre autres genz, dont sont il plus regardé que autres. Lors les oit l’en plus volentiers parler que autres, car ilz scevent parler de grans et de grosses et de honorables besoignes. Et semble a un chascun que bien en doivent et scevent parler. Et dont sont il regardés sur toutes bonnes manieres et contenances tant en compaignie comme avecques les grans, dont ilz sont regardez quant ilz sont avecques dames et damoiselles, dont ilz sont regardez et demandent de leur estat mesmes et de leur vie et de leurs gouvernemens. Or n’est ce pas dont tout le bien de ceulx qui se arment que d’estre armez et de bien faire es armeures tant seulement ; mais convient avecques ce que en tous les regars qui dessus sont nommez, que en nulle maniere l’en ne puist chose deshonneste veoir ne dire sur eulx, car de leur deffaute seroit le parler et la renommee plus grant que d’un autre qui n’aroit pas si grant renommee de bonté. Et de telx gens qui sont ainsi faisanz et faiz et parfaiz en tele bonté come dessus est dit, bien les doit l’en volentiers oïr et escouter et raconter de grans biens, de bons faiz et de bonnes paroles qui en celle maniere ont esté faiz et diz par plusieurs bons, tant par ceulx qui sont trespassez de cest siecle come de ceulx qui encore vivent. Et pour ce nous enseignent li bon chevalier et les bonnes gens d’armes dont vous avez oï ci devant retraire et parler et raconter les grans biens, honneurs, prouesces et vaillances que ilz ont aquiz par leurs grans peines, travaulx et paours et perilz de corps et perte de leurs amis mors que ilz ont veü mourir en plusieurs bonnes places ou ilz ont esté, dont ilz ont eu mesaises et courroux en leur cuer souvent. Et qui vourroient bien raconter leurs vies si dures come elles ont esté et sont encores a ceulx qui ceste vie d’onnour veulent mener, elles seroient trop longues a escripre ; mais de leurs enseignemens et de leur doctrine veil je un petit retraire selon ce que eulx dient et commandent a toutes jeunes gens qui tele vie d’onnour ont en volenté de querir : que Dieu et toute sa puissance aiment et doubtent souverainement ; si se doubteront et garderont pour celle amour et pour celle doubtance de faire mauvaises oevres. Avecques ce enseignent li bon dessus dit que gens qui a celle honnour veulent venir ne doivent mettre entente ou vivre de leur bouche delicieusement, ne en trop bons vins, ne en trop delicieuses viandes, car ces delices sont trop contraires ou temps que l’en ne les povoit avoir ne trouver a sa volenté, qui le plus de fois avient a ycelles gens qui tele honnour veulent querir ; si leur en est plus dur a soufrir et aussi n’en ont il mie les cuers ne les corps si legiers de soufrir les dures vies des boires et des mengiers que il faut avoir en ceste honnour acquerir. Et envis muert, ce dit on, qui apris ne l’a, et envis aussi se tient l’en de telx delices de boire et de mengier qui aprises les a. Si ne doit on avoir a telx delices nulle grant plaisance, ne ne t’entremettes trop de savoir deviser bonnes viandes ne bonnes saulces, ne lesquelx des vins valent le miex ne n’i met trop ta cure ; si en vivras plus aisé. Mais se d’aventure tu trueves bien a boire et a mengier, si le pren liement et soufisaument et sanz grant outrage, que li bon dient que l’en ne doit pas vivre pour mengier, mais l’en doit mengier pour vivre ; quar nulz ne doit tant menger qu’il soit trop saoul, ne tant boire qu’il soit ivres. Et toutes ces choses doit l’en faire moiennement, si puet on vivre sanz trop grant grevance. Et vous avez oÿ dire moult de foiz que les jeunes gens qui prennent leur nourreture es grans cours des riches hommes qui pou se travaillent en acquerir ces grans travaulx ; quar quant ilz ont moillé leurs doys en la saulce de la court et mengié les loppins, envis se peuent retraire. Si ne se doit on mie si atruandir, quar qui pour sa gloute gorge pert a faire son corps, l’en lui devroit traire les dens toute l’une aprés l’autre, qui tel dommage leur font come de perdre si haulte honnour qu’ilz peussent avoir acquise en leur jeunesce dont d’eulz. Ha viellesce ! Bien dois estre desconfortee quant tu te trueves es corps de ceulx qui peussent avoir fait tant de biens en leur joennesce et qui rien n’en ont fait, de quelque estat qu’ilz soient, selon ce que un chascun peut et doit faire selon leurs estas. Et ceste viellesce doit estre tristre, doulereuse et honteuse en tous estas ou ilz se truevent avecques autres bonnes gens. Si s’en doivent bien prendre garde toutes joennes gens qui a tel estat d’onneur veulent venir. Si enseignent encore li bon dessus dit a tous ceulx qui a tel honnour ont volenté de venir que ilz ne se vueillent mie trop entremettre ne mettre leur entente en nul gieu la ou convoitise les sourpreigne, come gieu de dez ; car le gieu n’i est plus puis qu’en le fait par convoitise de gaaigner. Et le plus des fois y avient que l’en y cuide gaaigner l’autrui, que l’en y pert le sien, et mout en y a qui y perdent CCC, V, mil livres et plus. Dont il leur vaudroit miex a les donner pour Dieu, ou les donner par parties es bons chevaliers et escuiers qui bien l’ont deservi et qui le voudroient deservir avec la bonne renommee qui seroit de ceulx qui ainsi le voudroient faire, tant de grans come de moyens ; car se li grant et li moyen le vouloient ainsi faire, chascun selon son povoir, il en seroit assez plus des bons qu’il n’est, quant il verroient que leur volenté seroit cogneue. Mais moult en y a qui par convoitise de gaaigner se mettent a juer ou pour deffaute de contenance ou de desplaisance d’estre en la compaignie des bonnes gens.
Et aussi a un jeu que l’en appelle le jeu de la paume, l’ou maintes gens perdent et ont perdu de leur meuble et de leur heritage. Et en jouant a telx geus, l’en ne vouroit veoir ne rencontrer nulles bonnes gens, dont il l’en convenist laissier leur gieu pour eulx parler et tenir compaignie.
Si doit on laissier le gieu des dez pour convoitise de gaigner aux houlliers, ruffiens et ribaux de tavernes. Et se vous y voulés jouer, si n’i faictes force comment il vous en preigne, ne trop n’y mettez du vostre, que vostre gieu ne tournast a courrouz. Ne des gieux de la paume aussi, quar grant tort en a l’on fait aux femmes, que li gieux de la pelote souloit estre li gieux et li esbatemens des femmes. Et toutevoies devroit il sembler que li plus beaux gieux et li plus beaux esbatemens que telles gens qui tel honnour veulent querre devroient faire seroient qu’il ne se doivent point lasser de jouer, de jouster, de parler, de dancer et de chanter en compaignie de dames et de damoiseles ainsi honorablement comme il puet et doit appartenir et en gardant et fait et dit et en tous lieux leur honneur et leurs estas, que toutes bonnes gens d’armes le doivent ainsi faire de droit ; car en teles compaignies, en telx gieux et esbatemens prennent les bonnes gens d’armes leurs bons commencemens, que regars et desir, amour, pensee et souvenir, gayeté de cuer et joliveté de corps les met en la voie de l’encommencement et de l’encommencier a ceulx qui onques n’en auroient eu cognoissance de faire et parfaire les grans biens et honnours dont li bon se sont fait. Iceulx gieux sont plus beaux et plus honorables et dont plus de biens pueent venir que des gieux des dez dont on puet perdre le sien et son honnour et toute bonne compaignie. Toutevoies li biaux gieux sont bons qui sont sanz corrocier, mais quant courroux y vient et s’i met, l’en ne jeue plus. Et quant l’en ne peut estre tous jours en tele et si bonne compaignie come j’ay dit dessus, qui a ce mestier d’onnour ne puet durer tant comme l’en voudroit, si se doit l’en aler jouer, bourder, parler et escouter et demander de ce que l’en ne scet avecques les meilleurs que l’en puisse trouver ; et en teles bonnes compaignies fait bon hanter souvent, que moult en y a qui pour les chetives compaignies qu’ilz ont amees et pour les chetifs conseulx qu’ilz ont euz et creüz, que li aucun grant homme en sont si achaitivez et de cuer et de maniere que aucune foiz en perdent les corps ou honnour ou paÿs ou l’amour de leurs subgiez, et autel est il des moiens a un chascun selon leurs estas. Dont doit il sembler a un chascun que c’est le plus beau jeu qui soit que d’estre souvent en bonne compaignie et loing des chaitis et des chaitives oevres dont nulz biens ne peuent avenir. Encore nous enseignent li bon dessus dit que combien que a toutes gens d’estat appartient bien a amer les deduiz des chiens et des oiseaux, c’est a entendre que l’en ne laisse de riens a faire ne a travailler en nulle chose qui a l’onneur de son corps faire puisse toucher en la plus petite heure du jour ne de la nuit qui puisse estre ; car la plus chiere chose qui soit a perdre, c’est le temps qui passe, qui ne se puet recouvrer ne plus retourner ; et il puet escheoir en une heure d’acquerir telle honnour que en pourroit bien faillir a le trouver en un an ou jamays. Et pour ce, vous qui querez celui haut honnour, gardez que vous ne perdez temps, que ce vous seroit trop grant perte. Et certes qui a cestui haut honnour veult avenir, il ne se puet ne ne doit excuser, que se li corps li demeure sain et il vit son aage soufisaument qui ne le doie avoir puis qu’il vueille faire ce qu’il y appartient et qui pourroit bien faire se en lui ne demeure. Si n’en doit on nulz avoir pour excusez se essoine de corps ou de mise ou de bonne volenté. Et pour ce devez vous estre certains que il n’est nulz qui se puisse ne doie excuser de faire bien s’il veult, un chascun selon son estat, les uns selon les armes, les autres selon la clergie, les autres selon les choses seculieres. Dont il appartient a un chascun de soy entremettre es choses et besoignes neccessaires, que ceulx qui bien y font sont a prisier et a loer, un chascun selon son estat et selon ce qu’il fait et qu’i vaut. Et pour ce ne se doit nulz esmaier de faire les biens que li bon dessus diz nous ensaignent, et par verité, que ceulx ont grant part en bonté qui veulent devenir bons. Et ilz dient voir, quar pour le grant desir qu’ilz ont de venir et d’attaindre a celui haut honnour, riens ne leur grieve qu’ilz aient a soufrir, mais leur tourne tout a tres grant deduit. Certes c’est bele chose que de faire le bien, que ceulx qui font le bien a droit ne s’en peuent lasser ne saouler ; car quant plus en ont fait, adonc leur semble qu’ilz en ont pou fait de la grant plaisance qu’ilz ont et qu’il y prennent de en faire tous les jours de plus en plus. Et cilz biens sont bons a faire, quar quant plus en fait l’en, et moins s’en orgueillist l’en, et semble tous jours que l’en en ait fait le moins. Si doit on tenir moult pou de compte de tous ces autres chetifs deduiz qui si pou peuent valoir a l’encontre de telx biens honorables qui sont si publiez et tant cogneuz et tous temps durent. Et encore enseignent les bons a vous qui celi haut honneur voulez que en vos encommencemens n’aiez trop cures de vos besoignes demorer ou paÿs dont vous estes, especialment que elles se puissent faire par vos personnes, car il ne pourroit estre a ce que vous voulez faire et acquerir, mais les laissiez et commettez en la garde et gouvernement de vos plus especiaulx amis. Et nulle melencolie ne vous en devez donner se vos besoignes ne sont si bien faictes, ne se portent si bien par autrui come par vous ou en vos personnes se vous y estiez, car en nulle maniere ne se pourroit faire, et c’est la coustume toute firtee ; car qui veult faire l’avoir avant que le corps, il puet bien faire l’avoir, mais du corps sera il pou de nouvelles. Et qui a volenté de faire le corps avant que l’avoir, et Dieu li donne vie et santé, il ne puet faillir a l’aide de Dieu de faire le corps, et en nulle maniere ne puet faillir qu’il n’ait de l’avoir et des biens assez quoy qu’il demeure. Si ne vous doit ja chaloir d’amasser grant avoir ; car qui plus fait d’avoir, plus envis veult mourir et plus doubte la mort ; et qui plus a d’onnour, moins doubte a mourir, que li bien et honnour lui demeure a tous jours, et li avoir s’en va et en pou de heure ne scet on qu’il devient. Et de ce soiez certain que qui veult faire son corps par convoitise d’avoir, il pourra faire le corps une partie du temps, mais en la parfin la convoitise de l’avoir li deffera trestout, car grant convoitise fait faire moult de maulx. Et tous maux faiz sont durement contraires au haut honnour dont vous avez et devez avoir si tres grant desir. Si vous devez bien garder d’icelle convoitise et de toutes autres oevres qui a si noble conqueste comme d’acquerir honnour vous y puissent empescher ne destourner si haute emprise comme d’onnour avoir. Encores vous enseignent icelles bonnes gens d’armes dessus diz a qui vous avez si grant desir de resembler, car combien que li mestiers d’armes soit durs et penibles et perilleux a l’endurer, leur semble il que bonne volenté et gayeté de cuer font toutes ces choses passer seurement et liement, et tout ce travail ne leur semble nient, que tout ce y peuent penser qui plus les puet tenir en liesce de cuer et de corps mais que bien soit quant il le doivent faire. Si doivent icelles gens vivre loiaument et liement, entre les autres choses amer par amours honorablement, que c’est le droit estat de ceulx qui celi honour veulent acquerir. Mais gardez que les amours et li amers soient telement que vous gardez si cher come vous devez amer vos honnours et vos bons estaz que l’onnour de vos dames gardez souverainement et que tout le bien, l’onnour et l’amour que vous y trouverés, gardez le secretement sanz vous en venter en nulle maniere, ne faire aussi les semblans si tres grans qu’il conviegne que autres ne plusieurs s’en apperçoivent ; que nul bien en la parfin, quant il est trop sceu, n’en vient mie volentiers, mais en peuent avenir moult de durs emcombriers qui puis tournent a grant ennui ; et ce n’est mie le plus grant deduit que l’en en puisse avoir que de dire « j’ayme celle la », ne de vouloir en faire telx semblans que chascun doie dire « celi aime trop bien par amours celle dame la ». Et moult en y a qui dient qu’ilz ne vouldroient pas amer la royne Genyevre, s’il ne le disoient ou s’il n’estoit sceu. Ycelles gens aimeroient miex que chascun dist et cuidast qu’il amaissent trop bien par amours et ja n’en fust rien, que ce qu’il amassent et bien leur en deust venir et fust tenu bien secret. Et ce n’est mie bienfait, que plus parfaicte joie en a l’on d’estre en la compaignie de sa dame secretement que l’en ne pourroit avoir en un an la ou il seroit sceu et apparceu de plusieurs. Et devons savoir certainement que la plus secrete amour est la plus joieuse et la plus durable et la plus loyal, et tele amour doit l’en vouloir mener. Mais ainsi come l’en doit vouloir garder l’onnour de sa dame en tant comme a lui touche et pour l’amour que l’on y a, l’en y doit garder son honnour mesmes pour l’onnour de sa dame et l’amour que elle lui monstre. C’est a entendre que de vos manieres, de vos estas et de la valeur de vos corps vous devez en telle maniere ordener que la renommee de vous soit tele et si bonne, si grant et si honorable que l’en doie tenir de vous grans comptes et de vos grans biens a l’ostel et aux champs et especialment des faiz d’armes de pays et des faiz d’armes de guerres ou les grans honnours sont congneuz. Et ainsi seront vos dames et devront estre plus honnorees quant elles auront fait un bon chevalier ou un bon homme d’armes. Et quant l’en pourroit dire que un bon chevalier ou un bon homme d’armes ayme une tele dame, ou cas la ou il pourroit estre sceu, certes plus grant honnour seroit a la dame que ainsi aimeroit que de celles qui voudroient mettre leur temps a un chaitif maleuré, qui ne se voudra armer ne pour armes de pays ne mesmement pour les faiz d’armes de guerres, ne se voudroit entremettre la ou eulx le pourroient et sauroient bien faire. Et ceulx qui ainsi aiment et veulent amer, quel honnour font il a leurs dames quant l’en pourroit dire qu’elles aiment un maleureux ?
Laquelles des deux dames doit avoir plus grant joye de son amy quant elles sont a une feste en grant assemblee de gens et elles scevent la convine l’une de l’autre ? Ou celle qui ayme le bon chevalier et elle voit son amy entrer en la salle ou l’en menjue et elle le voit honorer, saluer et festier de toutes manieres de gens et tirer avant entre dames et damoiselles, chevaliers et escuiers, avecques le bien et la bonne renommee que un chascun lui donne et porte, dont icelle tres bonne dame s’esjoïst en son cuer si tres grandement de ce qu’elle a mis son cuer et s’entente en amer et faire un tel bon chevalier ou bon homme d’armes. Et encores quant elle voit et cognoist que avecques les amours qu’elle y a, chascuns l’ayme, prise et honoure, dont elle est tant liee et tant aaisé de cuer du grant bien qu’elle voit et cognoist qui est en celui qui l’aime, dont tient elle son temps a bien emploié. Et des autres dames, s’aucune en y avoit qui aymast le chaitif maleureux qui ne se veult armer et sanz nulle essoine, et elle le voit entrer en celle sale mesme, et elle voit et cognoist que nulz n’en tient compte de lui, ne on le festie, ne fait semblant, et pou de gens le cognoissent, et ceulx qui le cognoissent n’en tiennent nul compte, et demeure derriere les autres, que nulz ne le trait avant. Et certes, se il en y avoit aucunes de telles, bien devroient avoir le cuer amalaisé quant elles verroient qu’elles ont mis leur temps et leur entente en amer et prisier ceulx que nulz ne prise, ne honoure, ne riens n’en oyent recorder ne raconter de nul bien qu’il feissent oncques. Hé Dieux ! Come c’est petit confort et petit soulaz a ycelles dames se aucunes en y avoit qui voient leurs amis a si petit d’onnour sanz avoir essoine fors que de bonne volenté ! Comment osent teles gens amer par amours, quant ilz ne scevent ne veulent savoir le bien qu’il convient qu’il cognoissent et doivent faire, especialment ceulx qui par droicte raison s’en doivent entremettre ? Et certes celle amour ne puet rien valoir ne durer longuement, que les dames ne s’en repentent et retraient d’une part ; et li chaitifs de droicte honte, et pour ce que eulx n’oseront dire ne poursuir leurs dames qu’il ne soit mie ainsi, si s’en retraient ; et les en convient retraire a leur grant honte et mesaise de cuer, ne nulle bonne raison n’ont il de dire le contraire que elles ne le doient ainsi faire. Et pour ce est il que l’en doit bien amer, celer, garder, servir et honorer toutes dames et damoiselles par qui sont fait et se font les bons corps des chevaliers et des escuiers et les bonnes gens d’armes, dont tant d’onnour leur vient et leur acroist leur bonne renommee. Et aussi icelles tres bonnes dames doyvent et sont bien tenues d’amer et honorer ycelles bonnes gens d’armes qui, pour deservir d’avoir leur tres bonne amour et leur bon acueil, se mettent en tant de perilz de corps comme li mestiers d’arme desire, quant pour avenir et attaindre a celui hault honnour, pour lequel haut honnour ilz pensent a deservir d’avoir l’amour de leurs dames. Et li enseignemens d’icelles tres bonnes dames si est telx : « Ayme loyalment se tu veulx estre amez. » Et ainsi devez amer loyaument et vivre liement et faire vos oevres honorablement et en bonne esperance, que tous les estaz d’amours et d’armes se doivent mener de droicte pure gayeté de cuer, qui fait venir la volenté de venir a honnour.
Aprés toutes ces manieres d’amer ci dessus, vous enseignent li bon dessus dit que vous gardez que en nulle maniere vous n’ayez trop grant amour en vos corps nourrir, car c’est la plus mauvaise amour qui soit. Mais ayez grant amour en vos ames et en vos honnours bien garder, qui plus longuement durent que ne fait le corps qui aussitost muert, gras comme maigre. Et li trop amer son corps a nourrir est moult contraires a tout bien. Premierement, quant vous auriez ycelle mauvaise volenté de trop amer a nourrir ces chetifs ces chetifs corps en vostre jonesce, vous voudrés dormir tost et esveiller tart, et s’en vous entrebrise vostre heure de dormir longuement, il vous en sera trop mal ; et tant come vous dormirés plus longuement et souvent, de tant perdrez vous temps de trouver savoir et d’aprendre aucun bien. Et ceste vie de longuement dormir est moult contraire a ceulz qui veulent attaindre au haut honnour, car moult des foys les convient dormir tart et esveillier matin, et ainsi l’ont acoustumé, si leur en est de miex et de santé de corps et d’onnour acquerir. Si faut encores a ces chaitis corps nourir qu’il aient touz jours blans draps et lit mol, et se aucune foys y faillent, les reins et les costes leur deulent tant qu’il ne se peuent aidier de tout le jour. Et cil bon lit leur attraient le repos et la foison dormir qui leur fait perdre tant de bien ouïr. Est ce bien le contraire a ceulz qui honour quierent, quar le plus de foys ont mauvais lis, et moult de fois dorment sanz lis et touz vestus, et si leur souffist mielx cil repos et cilz gesirs, que eulz ne le voudroient mie ne prendroient en grey autrement pour le grant bien et honnour qu’il y attendent a avoir. Et encores pour nourir ces chietiz corps qui n’ont nulle heure de vivre, faut il qu’il soient pehu et abevrez des meilleurs vins et viandes que l’en puet trouver ne avoir, et mengier a heure, ou autrement leur en seroit trop en mal pour les tres grans deliz qu’il y prennent. Et pour ycelles gloutonnies doubtent travail de bien faire. Et certes ytelz delices sont moult contraires a yceus qui ce haut honnour vont querant, car il ne regardent point ne ne se delitent a teles delices, mes boivent et menjuent et le po et l’auques tout ainsi come il le treuvent, et tout leur souffist ; et liement, pour l’onnour qui leur en rent si tres grans guerredons, et trop joyeusement font et prennent li bon les biens et les honnours que Dieux leur a donnés et donne, pour les chaitifz qu’il voient qui n’en ont point. Et pour ce vous enseignent li bons dessus diz qu’il n’est pas bien de vivre, mais de bien vivre. Encores faut il en soustenir et anourir ces chaitis corps que en l’yver soient fourrez et vestuz chaudement et en chaudes maisons, et en esté legierement vestuz et en freiches maisons et es plus froides caves, ou autrement il ne pourroient vivre par leur chaitives coustumes.
Or est ce bien au contraire de ceuls qui a honnour veulent venir, car il se gouvernent selon le temps, quar quant il fait froit, il endurent le froit, et quant il fait chaut, il seuffrent aussi et endurent le chaut. Et tout leur est bon pour la grant plaisance qu’il ont de venir a honnour et de vivre honorablement. Et a ce vous enseignent li bon dessus diz que, pour trop longuement aaisier vos corps delicieusement, vous n’aquerrez ja grant honnour. Et sur toutes ces choses ament encore pour ces chaitiz corps gouverner que, pour ce que il ont grant paour et grant doubte qu’il n’aient deffaut de leurs aises qu’il ont acoustumez, sont convoiteux de prendre partout l’ou il en peuent prendre ne avoir, et aussi eschars de li despendre, qu’il n’en mettent ne despendent fors que en leurs corps aaisier, dont li diable en feront leur feste. Et tout ce est contraire a yceus qui veulent despendre le leur en acquerir honnour ; car il amassent du leur ce qu’il peuent et empruntent assez, tant qu’il doivent de retour, et leur tarde qu’il soient briefment au lieu la ou il le puissent briefment despendre en travaillant pour acquerir honnour. Et li bon dessus dit vous enseignent que touz jours les armes rendent ce qu’en y met, quoy qu’il demeure. Et encores ont cilz chaitiz corps si tres grant doubte de mourir qu’il ne se peuent asseurer. Si tost comme il saillenthors de leurs maisons que il voient une pierre en un mur qui saille avant un pou hors des autres, jamais n’y oseroient passer, car il leur semble touz jours qu’elle leur doie cheoir sur les testes. S’il passent une riviere un pou trop grant ou trop roide, il leur semble, de la grant paour qu’il ont de mourir, qu’il doyent touz jours cheoir dedens. S’il passent sur un pont qui soit un po trop haut ou trop bas, il descendent a pié et ont encores grant paour que li pons ne fondent desous eulz, tant ont paour de mourir. S’il voient un pas qui soit un po trop mol, il se tordroient bien demie lieue pour trouver le dur, pour la paour qu’il ont de cheoir dedens. S’il ont un po de maladie, il cuident tantost estre mors. Se aucuns les manacent, il ont grant paour de leurs chetiz corps et tres grant paour de perdre leurs avoirs qu’il ont si chaitivement amassez.
Et s’il voyent plaies sur aucuns, il ne l’osent regarder du chaitif cuer qu’il ont. Et encores cilz tres chaitis ne sauront ja gesir en si fort maison, car quant il vente un po trop, qu’il n’aient grant paour que la maison ne chee sur eulz. Et encores ycelles chietives gens, quant il montent a cheval, n’osent il ferir des esperons pour ce que leurs chevauls ne queurent, tant ont paour de cheoir, que leurs chevaux ne cheent ne eulz aussi. Or povés veoir que ycelles chaitives gens qui ont ces chaitifs cuers ne seront ja asceur, qu’il ne vivent en plus grant paour et doubte de perdre ces chaitis corps que n’ont ycelles bonnes gens d’armes qui en tant de perilz et en tant de dures aventures mettent leurs corps pour acquerir honnour ; car il ont tant acoustumé et cogneu que de teles chaitives paours, dont cilz chaitis ont et si souvent, ne leur en chaut il de nient. Et la ou li chaitis ont grant envie de vivre et grant paour de mourir, c’est tout au contraire des bons ; car aus bons ne chaut il de leur vie ne de mourir, mais que leur vie soit bonne a mourir honorablement. Et bien y part es estranges et perileuses aventures que il querent. Et pour ce dient li bon dessus dit que adonques est bon a homme de mourir quant sa vie lui plaist, que Dieux fait belle grace a ceulz a qui leur vie est tele que le morir est honnorable ; car li bon dessus dit vous enseignent que il vault miex mourir que laidement vivre.
Or convient il avoir un estat souverain en ycelles bonnes gens d’armes, si comme li bon dessus dit dient et enseignent qu’il soient humbles entre leurs amis, fiers et hardiz contre leurs ennemis, piteux et misericors sur ceulz qui le requierent par amandement, cruelz, vengeur sur ses ennemis, cointes, aimables et de bonne compaignie avecques touz fors avecques ses ennemis ; car li bon vous enseignent que vous ne devez pas parler longuement ne tenir parole avecques voz ennemis, que vous devez penser qu’il ne parolent pas a vous pour vostre bien, fors que pour traire de vous dont il se puissent aviser de vous porter plus grant domage. Si devez estre large de donner au miex emploié, et tant eschars comme pourrés de laissier rienz du vostre a vous ennemis. Amez et servez vos amis, heez et grevez vos ennemis, reposez vous avecques vous amis, travaillez vous contre vous ennemis. Vous devez conseillier voz emprises doubteusement et les devez parfournir tres hardiement. Et pour ce vous enseignent les bons dessus diz que nulz ne se doit trop desesperer pour couardise ne trop affermer en sa hardiesce ; car trop desesperer par couardise fait a homme perdre son fait et son honnour, et trop affier en sa hardiesce fait a homme perdre le corps folement ; mes puis que l’en est en besoigne, l’en doit plus doubter laide couhardise que la mort. Gardez que convoitise ne soit en vous pour tolir ne pour avoir l’autruy sanz cause. Et gardez sur tant comme vous vous amez que vous ne vous laissiez rienz tolir du vostre. Dites et racontez le bien des autres et le vostre non, et n’aiez envie sur autruy. Et sur toutes choses fuyez tençon, quar doubteuse chose est a tencier a son pareil, et forsenerie est de tencier a plus haut de luy, et laide chose est de tencier a plus bas de luy, et tres laide chose est de tencier a fol et a yvre. Encore vous asseignent les bons dessus diz que vous vous gardez de dire laides paroles, mais gardez que vous paroles soient plus profectables que courtoises. Et gardez que vous ne loez vostre fait, ne ne blasmez trop l’autruy. N’aiez envie d’oster l’onnour d’autruy, mais gardez le vostre souverainement. Gardez que vous n’aiez en despit nulles povres gens ne nulz mendre de vous, que moult en y a des povres qui valent miex que ne font li riche. Gardez vous de trop parler, car en trop parler convient que l’en die folie, et par exemple li fol ne se peuent taire, et li saige se taisent juques a tant qu’il aient temps de parler. Et vous gardez de trop grant simplece, quar qui riens ne scet, ne bien ne mal, son cuer est auveigle et non voyant, ne il ne scet conseillier ne lui ne les autres ; que se un auveugles veult mener un autre, certes il meismes chiet en la fosse premiers et li autres amprés luy. Or vous gardez encores de chastier les folz, que vous y perdriez voz poines et si vous en herront ; mes chastiez les sages, qui vous en ameront mieulx. N’aiés ja grant esperance en gens qui en brief temps seurmontent les autres par grant fortune sanz desserte, car il ne peuent durer ; car aussitost sont il prestz de descendre comme il sont monté. Et li bon dessus diz vous enseignent que fortune essaie les amis ; car quant elle s’en va, elle vous laisse les vostres et enmaine ceuls qui vostres n’estoient. Encores vous di je que de largesce que vous faciez ne de dons bien emploiez ne vous devez repentir ; car li bon dessus dit vous enseignent qu’il ne doit souvenir a bon homme de ce qu’il a donné, fors tant seulement quant cilz a qui il l’a donné l’en fait souvenir pour le bon guerredon qu’il en rent. Encores vous devez garder d’estre mal renommés en vos viellesces d’escharceté, car quant plus vous aurez donné, donnez encores plus, que quant plus vous aurez vescu, moins aurez a vivre. Et vous gardez souverainement de vous enrichir du domage des autres, mesmement de la povreté des povres, que mieulx vault nette povreté que desloyal richesce. Encores vous enseignent li bon dessus dit que vous devez tenir voz amis en tele maniere que vous ne doiez doubter qu’il ne deviengnent vostre ennemi, que vous devez penser que tant comme vous tendrez vostre secret en vous, il est touz jours en vostre puissance ; et si tost comme vous l’aurez descouvert, vous demourrez en son dengier. Et se descouvrir le vous convient, si vous en descovrez a vostre loyal ami, et vostre maladie descouvrez au loyal mire. Encore vous enseignent li bon dessus dit que en alant dessus voz ennemis et pour eulz encontrer, que en voz cuers n’aiez jamaiz pensee que vous doiez estre desconfit, ne comment vous serez pris, ne comment vous vous enfuirez, mes aiez les cuers fors et fermes et sceürs et touz jours en bonne esperance de vaincre et non mie d’estre vaincus, soit au dessous ou au dessus, que comment qu’il soit ferez vous tous jours bien pour la bonne esperance que vous aurez ; car moult en y a qui se retraient, que s’il demourassent et en feissent ce qu’il peussent, ce pourroit estre a la desconfiture de leurs ennemis, et d’aucuns qui sont pris assez legierement, que se il feissent ce qu’il peussent bien faire, que ce fust a la grant perde de leurs ennemis. Et pour ce devez vous avoir touz jours en touz estas ferme volenté de faire le meilleur, et souverainement droite, ferme esperance que de Dieu viengne et que Dieu vous aide, non mie de vostre force ne de vostre sens ne vostre puissance, fors que Dieu tant seulement, que vous veez assez souvent que par les moins vaillans sont vaincu li meilleur, et par le moins de gens sont vainscu li plus, et par les plus foibles de corps desconfis les plus fors, et par les plus folz et en fole ordenance desconfis plusieurs sages sagement ordenez. Si povés assez veoir et cognoistre que de vous n’avez rienz fors ce que Dieu vous donne. Et ne vous fait Dieu grant grace et grant honnor quant il vous donne grace de vaincre vos ennemis sanz domage de vostre corps ? Et se vous estes desconfis, ne vous fait Dieu grant grace se vous estes pris honnorablement et au los de voz amis et de voz ennemis ? Et se vous estes en bon estat et vous y mourez honnorablement, ne vous fait Dieu grant grace quant il vous donne si honorable fin en ce siecle et vostre ame ammoine avec luy en celle joye qui tous jours durera ? Et povés veoir que nulz ne doit trop doubter ne trop esjoïr ne trop couroucier de teles aventures quant elles aviennent, mes tout regracier et remettre a celui qui les donne plus debonnairement que l’en ne lui scet requerir. Et li bons dessus diz vous enseignent que, se vous voulez estre fors et de bon courage en ces choses, gardez que vous prisiez moins la mort que la honte. Et ceulz qui mettent leurs corps en peril pour droite cognoissance de honte eschiver sont fort en tout. Encores vous enseignent li bon dessus dit que vous devez pensser en voz cuers les choses qui avenir vous peuent, et les bonnes et les mauvaises, si que vous puissiez souffrir paciaument les males et attemprer les bonnes. Et en toutes vos adversitez soiez tous jours fermes et sages. Et aussi bien avez vous mestier de penser comment vous pourrez et devrez soustenir aucuns biens ou honnours, quant Dieux les vous donne, que vous ne les perdez par mauvaise garde, comme de vous oster et de partir des mals quant il vous aviennent. Si en devez mercier et loer premierement celui qui les vous donne, et les garder sanz orgueil, que vous devez savoir que la ou orgueil est, la maint tout courrous et toutes folies ; et la ou humilité maint, la est sens et liesce. Et aussi comme li bon dessus dit vous enseignent et vous dient pour verité que, se orgueil estoit si haut qu’il fust jusques aus nues et la teste li venist jusques au ciel, si convendroit il qu’il cheist et fondist a perte et a nient. Et vous devez savoir que d’orgueil naist moult de branches dont assez de malz viennent, et tant comme pour perdre ame et corps, honnour et avoir. Si devez garder ce que vous savez et l’onneur que vous avez sanz orgueil. Et ce que vous ne savez, requerez humblement qu’il vous soit apris. Encore vous enseignent li bon dessus dit que vous ne vous affiez trop en ce que fortune vous baille, que ce sont choses qui doivent perir, ou par perdre ou par maladie ou par force ou par mort, que la mort n’espargne nulluy, ne les haus ne les bas, mes hingale tout. Et pour ce ne se doit nulz remiser en soy, que ce n’est chose qui puisse longuement durer, mes tantost s’en peut aler et sanz nulle heure attendre. Et qui parfaitement penseroit en ce, jamés d’orgueil ne seroit souspris.
Et pour ce que l’on a parlé cy dessus des biens de fortune, et li aucun n’entendroient pas bien quelz il sont, les convient il un po plus d’esclarcir pour en avoir plus grant cognoissance et pour miex cognoistre les estaz de fortune en ce mestier. Et a ce pourroit on dire que l’en ne se doit point fïer es biens de fortune qui viennent sanz desserte, que elle est muable et doit perir. Mais se vous avez volenté de estre sages et vous y travailliez, et par vostre travaille Dieux vous fait celle grace que vous le soyez et par cela vous soiez eshauciez, ycilz biens n’est mie de fortune. Il vous doit durer, mes que vous le sachiez garder honestement en gouvernant vous premierement et autres se besoings estoit. Quar se vous estes sages, vous ne ferez fors bien et ne vous devez excuser de estre preudoms et loyaux, car c’est le plus grant bien et le plus souverain qui soit. Car il n’est mie sages qui veult, ne n’est pas preux qui veult, ne si n’est mie riches qui veult ; mais nulz ne se doit ne ne peut excuser qu’il ne soit preudoms et loyaulz qui veult. Et se vous avez renommee d’estre bons homs d’armes, et dont vous soiez enhauciez et honorez, et vous l’aiez desservi par vostre grant travaille, peril et hardiesce, et Nostre Seigneur vous a fait celle grace qu’il vous ait ce laissié faire dont vous avez tele renommee, ycilz biens ne sont mie biens de fortune, mais sont biens qui par raison doivent durer, mes que l’en les sache garder humblement et honorablement. Et moult de foys avient, ainsi comme par avant est dit, en fait d’armes de batailles que li moins desconfisent le plus, et moult de fois avient que li pis ordenez sur les champs desconfisent ceulz qui sont en bon ordenance, et moult de fois est avenu que les moindres et foibles ont desconfis les plus grans et les plus haus en touz estaz qu’il ne estoient. Yceste fortune est bonne, que pour les grans biens et hardiesce qui en ycelles sont es vainqueeurs, et par la chaitiveté des vaincus et des desconfis dont il sont venu en leur dessus d’ycelles journees bien se peut appeller dure fortune sur les vaincus et plus male fortune sur ceulz qui sont causes des desconfitures. Mes toutevoies se li moins encontrent le plus, et les plus febles encontrent les plus fors, et les mal ordenez encontrent ceulz qui sont en bonne ordenance, et ainsi le vouloient faire et continuer longuement, ne leur pourroit durer ceste fortune que elle ne deust cheoir par droite cognoissance de la raison ; car la raison est touz jours plus segure et plus ferme et longue duree que les fortunes ne sont qui touz jours sont appareilliez de cheoir. Et s’il est ainsi que par vostre grant bien et de vostre bon sens vous aiez fait services ou de vostre bon travail honorablement, combien que vous soiez de bas estat, que vous soiez enhauciez en grant et en haut estat de possessions et d’autres biens de ce monde, ycilz biens qui par la grace de Dieu sont ainsi venus ne sont mie bien de fortune. Il vous doivent valoir et durer ainsi comme peuent durer les biens de ce monde, mais que vous les gardez, mettez et usez convenablement et sanz grant gloire fors que a Dieu qui les vous a donnez. Ycilz biens, ainsi bien desserviz et bien gouvernez et en bon usage mis sanz orgueil, ne a la grevance d’autruy, ne pour trop grant convoitise, ne pour trop grans delices, ne sont fors biens de raison ; mais ceulz qui sont renommez de sens et il ne le sont mie, et ceulz qui sont renommé d’estre preudomme et il ne le sont mie, et ceulz qui sont renommez d’onnour de fait d’armes et il ne le vaillent mie, et ceulz qui ainsi sont seurmontez en grans hautesces et en grans richesces et es grans estas et sanz nulle deserte, quant ycelles gens sont seurmontés et de tele fortune, si n’en scevent user fors si desmesureement que par les degrez dont il sont monté l’un aprés l’autre en celle hautesce de fortune, pour le foible fondement sur quoy elle est fondee, convient qu’elle chee, fonde et descende desordeneement par ces mesmes degrez a perde et a nient, dont il ont pis assez de la descendue que ce qu’il y fussent onques euz montez en celle hautesce. Et pour ce est li proverbes des anciens veritables que « qui plus haut monte qu’il ne doit, de plus haut chiet qu’il ne vourroit ». Or veez vous donques que les biens qui sont bien comparez et bien deservis sont cil qui par raison doivent venir et durer a plus grant perfeccion tant de l’ame comme du corps ; et ceulz qui veulent avoir les grans biens et honnours sanz poine et sanz travaulx en prennent toutes leurs aaises et leurs delices, iceles genz le peuent assez attendre, mais ja n’en n’auront nul. Et pour ce n’est il nulz, tant soit petit ou de petit estat, que se il veult desservir et traveillier a faire le bien, que li bien ne li viengne si marveilleusement qu’il ne le sauroit souhaidier mieux, ne que Diex li donne avecques la bonne renommee. Ne aussi n’est il nulz si grant ne de si haut estat que se par leurs chaitivetés il n’endurent a travallier ne a deservir d’avoir le bien qu’il en aient ja, nul ainçois demourront en leurs chaitivetez et en la male grace du peuple et en tres mauvaise renommee, que quant plus est uns homs de grant et de haut estat, et plus ait grant renommee en plusieurs parties du monde ou de sa bonne renommee ou de la mauvaise que de plusieurs autres moiennes genz ne pourroit estre ; car qui bien sauroit pourquoy et comment les empereurs, les roys, les princes des terres furent eslevez et faiz pour estre seigneurs sur leur peuple, les causes et maniere de le faire et avoir fait furent moult bonnes, sainctes et justes ; car les plus convenables personnes de corps et les plus parfaiz en toutes bonnes meurs, esleus en trestout leur peuple, il les eslisoient et esleurent a celui temps, dont sont venus depuis et sont encores les empereurs, roys et princes qui a present sont. Et pensez vous que les premieres esleuz dessus diz fussent esleuz a seigneurs pour avoir touz leurs aises et leurs delices ? Certes nennil. Furent il esleuz pour ce qu’il n’amassent Dieu ne ses
Or convient il donques aprés toutes ces demandes et responses venir a la verité pour quoy telz empereeurs, roys et princes de grans peuples et terres furent eslevez et faiz. Si devez savoir que en celi temps il eslisoient entre eulz ceulz que il veoient qui avoient bon corps fort et bien taillié de souffrir paine en touz estaz et pour travaillier ou bon gouvernement de leur peuple, tant en temps de leurs guerres comme en temps de paiz. Ycelles genz ne ytelz seigneurs n’estoient mie eslevez pour avoir les grans repos ne les grans deduis ne les grans delices, mes pour avoir plus grans paines et travaulx que nulz des autres. Et avec les personnes esleues teles comme j’ay dit dessus, regardoient il et demandoient et enqueroient diligeument de toutes leurs condicions afin qu’il fussent souffisans de gouverner li peuple ; adonc les eslisoient il. Si devez savoir qu’il estoient esleuz et faiz pour avoir plus de paines de travaulx de corps et de mesaises en leurs cuers que nulz autres de leur peuple pour la grant charge qu’il prenoient et avoient ou gouverne[me]nt dont il estoient esleuz et chargiez. Adonc il avoient tres grant diligence de bien gouverner leur peuple, si estoient esleuz et faiz pour amer, doubter et servir Dieu et toutes ses oevres. Dont furent il faiz pour faire le proffit du peuple avant que le leur singulier. Dont furent il faiz pour garder leur peuple sanz rienz prendre du leur fors que teles droitures comme il estoient tenuz a leurs seigneurs, et non mie les seigneurs eulz enrichir sur la povreté de leurs peuples sanz causes raisonnables. Dont furent il faiz pour despendre leur richesces en toutes bonnes euvres, si qu’il ne soient repris de les mal emploier. Dont furent il faiz pour fair raison et justice autant au petit comme au grant et tout droit. Dont furent il faiz pour estre piteus et plains de misericorde la ou elle doit appartenir. Dont furent il faiz pour po sejourner et assez travaillier pour le bien de leur commun peuple. Dont furent il faiz pour eulz armer les premiers et travaillier et mettre leurs corps es aventures de batailles pour la deffension de leur peuple et de leurs terres. Dont furent il faiz pour estre hardiz et de bon courage a l’encontre de leurs ennemis et de touz ceulz qui rienz leur voudroient oster du leur ne de leur honnour. Dont furent il faiz pour donner du leur et estre larges envers les bons qui bien l’avoient deservi et a ceulz qui taillié estoient du desservir et es povres pour eulz soustenir. Dont furent il faiz pour estre eschars et garder le leur sanz le donner ne departir a malvaises gens ne de chetif estat, ne pour faire mauvaises
Or povez vous veoir et cognoistre par les condicions dessus dictes les bons princes et les chetiz princes ; car ceulz qui sont mieux condicionnez sont meilleurs des autres, et ceulz qui moins en ont tant valent il moins, et ceulz qui ont plus de mauvaises condicions que de bonnes ne sont dignes de terre tenir ne de peuple gouverner. Et tout autretel est il a parler sur les autres seigneurs comme dux, contes, barons et autres seigneurs de grans terres et peuples a gouverner, de quelque estat qu’il soient, et aussi touz autres seigneurs, tant soient de moyen estat : que touz jours qui miex fait qu’il ne soit li miex louez, prisiez et honnorez entre touz autres. Et n’est ce dont grant merveille de ceulz qui miex aiment faire le mal et mener les chietives vies et faire les cheitives
Or pour ce que vous avez cy devant oÿ parler des meures, des condicions et des estas des grans princes et autres seigneurs et moyens dont uns chascuns, de quelque estat qu’il soient, se doivent travaillier de avoir en eulz le plus des bonnes, que quant plus en auront et miex vaudront et plus liement et plus honorablement en vivront. Si en y pourroit avoir aucuns qui pour une ou deux bonnes condicions qu’il pourroient avoir penseroient et cuideroient que pour ycelles se deussent passer et du remenant ne pourroit chaloir ; et pour ce est il donques raison que les biens que peuent et doivent faire ycelles gens qui honnour d’armes veulent avoir et acquerir, soient un po escharciz a la fin de en avoir cognoissance. Si povez et devez savoir assez que les meilleurs condicions que nulz puisse avoir, si est d’estre preudoms, comment ainsi qu’il appartient entierement de le estre. Et a dire que l’en soit preudoms, en y a d’aucuns que l’en peut bien tenir a preudommes pour la grant simplece qui est en eulz, et a grant paine sauroient il faire le mal, se tout le vouloient il faire, tant sont simple d’eulz mesmes. Et pour ce que les biens sont plus aaisiez a faire et a gouverner que les mals ne sont, pour ce ycelles simples genz si se prennent a les faire, et toutevoies font il que saiges, que les biens sont les meilleurs a tenir. Et encores peut il avoir en aucuns plus de biens que ces simples genz n’en ont, que j’ay dit devant. En autre maniere peut l’en tenir les aucuns a preudommes qui font des ausmosnes assez, et volentiers sont es eglises et oyent des messes assez, et moult dient de paternostres et autres oroisons, et jeunent les caresmes et les autres jeunes commandees. Mais peut estre que en aucuns d’iceulz a condicions contraires a celles et que chascuns n’apperçoit mie si plennement comme les biens que j’ay dit dessus, comme de convoitise en leurs cuers couvertement ou d’envie sur autrui ou de hayne et male volenté ou de plusieurs autres choses qui leur amaindrissent, quant a Dieu, une grant partie des biens devant diz. Et si les tient l’en a preudommes pour les biens qui en eulz s’apparissent ; mais toutevois pourroit l’en miex faire quant a estre preudoms.
Le y sont ceulz que un chascuns doivent tenir a preudommes. Ce sont ceulz qui ayment Dieu, servent et honorent, et sa tres douce Mere et toute sa poissance, et se gardent de faire les oevres dont il les doient courroucier, et qui ont en eulz teles condicions et si seüres que leurs vies ne soient reprouvees de nulz vilains pechiez ne de malvais reproches, et ainsi vivent loyaument et honestement. Et ceulz doit l’en tenir a preudommes. Et ainsi pourroit l’en tenir les aucuns a saiges, dont les uns ont sens assez, mais il tournent leurs sens en si tres grant malice que il en deperdent le droit bon sens naturel dont il deussent et sceussent bien user s’il eussent voulu, mais il le attournent et mettent leur sens plus a mal que a bien, et toutevois convient il sans en faire le mal, mais il n’est mie bon de savoir ne de avoir tel veus.
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Si en y a encores d’autres bonnes gens d’armes et que l’en doit bien tenir a preux. Ce sont ceulz qui en maintes places et lieux et en lointains païs estranges vont querir et ont trouvees les besoignes et en conduit d’autruy et sanz autre gouvernement avoir, et po s’en sont entremis de gouvernement ne de conseil donner, mais ont prises les besoignes ainsi comme il les ont trouvees a leur honneur et sanz nul reproche. Et toutevoies, quant Dieu leur a donné tele grace de tant travaillier et trouver tant de bonnes journees d’armes a leur honneur, l’en les doit bien tenir a preux, combien que, quant a tel estat de prouece, l’en puisse encore miex faire.
Encores en y a d’autres qui souverainement l’en doit plus tenir a preux. Ce sont ceulz qui en leur joennesce ont mis es places et journees qu’il ont trouvees leurs corps en aventure baudement et hardiement et sanz nulle doubtance ne pensee de mort, de prison ne de mise pour querir teles aventures ; car trop grant sens n’est mie bon a jones genz en leur commancement d’estre es faiz d’armes. Et quant ycelles jeunes gens ont cognoissance a quoy li faiz des armes peuent monter ne a quoy il peuent valoir tant de l’onner comme du peril, si se met en ycelles bonnes gens d’armes sens et cognoissance de tout cognoistre. Et pour la grant cognoissance que il en ont, ycelles genz, pour les aventures ou il se sont trouvez en leur joennesce, et il s’en avisent et leur en souvient, dont se prennent il en ouvrer sagement en leur fait, quant il leur en avient le besoing de leurs guerres mesmes, et bien leur en chiet pour leur bon sens et gouvernement qu’il y scevent faire, et aussi scevent il bien aidier et conseillier autruy de l’autruy guerre. Et celles bonnes genz dont l’en voit tant de cognoissance et de hardement es faiz d’armes, a yceulz baille l’en les gouvernemens des gens d’armes et pour les mener et gouverner en faiz d’armes comme chevetaines, connestables, mareschaux ou en autres estaz de gouvernemens des faiz des armes. Et quant yteles bonnes gens d’armes sont ainsi approuvez de leur bon ouvrage de leur main et de leur corps, de leur bon travail et de leur bon sens, de leur bon avis, de leur bonnes hardiesces asseurees et de leurs bonnes paroles qui y sont bien seans en telx fais et de bonnes contenances que l’en voit en eulx sur les durs partis que l’on peut trouver es faiz d’armes, tant a leur dessus comme a leur dessous, et du bon reconfort qui en eulz est et doit estre en touz estaz, ne de nulle taiche ne sont entoichiez dont l’en doie dire nulle vilennie sur euls en nulz estat. Et ycelles bonnes genz d’armes qui assez de bonnes aventures et bonnes journees ont trouvees et veües et dont touz jours se sont passé si tres honorablement comme a la bonne louange de touz, et de leurs amis et de leurs ennemis, ycelles genz sont ceulz de quoy l’on fait les preus qui passent ceulz dont est devant parlé ; car li assez trouver des bonnes journees et li souvent y faire son tres grant honour fait a cognoistre l’espreuve de ceuls qui y deviennent preus ; car les bonnes espreuves que celles bonnes gens d’armes ont faites en assez et plusieurs bonnes journees d’armes leur font avoir celle renommee de proesce dont chascuns les doivent tenir et tiennent a preux, qui est uns tres haut noms en armes, et ycelles genz sont entre touz autres preus dessus diz a prisier, loer et honnorer souverainement.
Or appartient, aprés touz ces biens dessus diz, que il soit parlé d’unes autres manieres de gens qui sont et doivent estre les plus souveraines qui soient entre toutes gens laÿcs et seculiers. Ce sont et doivent estre unes genz qui sont appellez villanz hommes, et ycelles villans genz si sont li plus honnorez, plus amez et plus prisiez que nulles autres genz d’armes qui soient. Et pour ce que l’en puisse miex avoir la cognoissance des villans hommes est il assavoir comment ne pourquoy l’en les doit et devroit tenir a telx. Si devez savoir que se uns homs avoit sens assez et il ne fust preudoms, cilz deus se convertist du tout en mal. Et se uns homs estoit preudoms et ne fust mie assez saiges, tele preudommie est bonne mais non mie tant vallable ne de si grant merite comme li saige de droit sens naturel qui sont vrai preudomme. Et quant a avoir le nom de proesce et l’on ne soit preudoms ne sages, en tele prouesce n’attendez ja a la fin nulle grant perfeccion. Et pour ce est il que se vous avez cognoissance que sur aucune personne ait tele grace de avoir et de user de tel sens comme le meilleur de trois manieres de sens dessus devisiez, et vous aiez cognoisance que en celui mesmes ait toutes condicions de preudomme, mesmes la meilleur condicion des trois manieres et de preudommie dont il est fait mencion ci dessur, et en celi meismes vous aiez cognoissance qu’il a en li droite loyal prouesce et tele comme la meilleur des trois manieres et de preuesce dont dessus est dit, yceli ou ceulz en qui touz les trois souverains biens souz euz et sont et demeurent et perseverent jusques au mourir, certes tenez fermement ycelles genz et villanz ; car il ont en volenté de valoir, si ont il valu et si valent et que touz au miex mettent paine de valoir enjusques a la mort. Et pour toutes ces valours sont il tenuz a villans hommes, et a teles genz fail bon prendre exemplaire et mettre paine de faire les ouvres pour eulz resembler. Si devez savoir que en nulle maniere nul qui soit en cestui monde, ne qui onques y furent, ne que jamais y soient, ne peuent avoir eues, ne n’ont, ne jamais n’auront teles antieres bonnes condicions comme dessus est dit pour ces villans, se ce n’est purement de la droite grace de Nostre Seigneur et de sa tres douce Mere et de sa glorieuse court. Et pour ce est il que ycelles genz a qui Nostre Seigneur a donné de sa grace tant de bontez ne doivent tenir ne penser ne cuidier que en nulle maniere nul de ces biens dessus nommez dont il sont tant amé, loé et honnorez que il leur soient venuz de leur mesmes. Nenil voir, que s’il avoient ceste tres oultrecuidiee pensee, certes tout autresi comme la noif se deffait par la poissance de la chaleur que le soleil li met sur, tout autretel est il des biens, des graces, des honnours, des hautesces, des poissances, des beautez, des sens, des preudomies, des prouesces et autres vertus qui pourroient estre sur aucuns. Et yceulz appliqueroient a leurs personnes, en pensant et cuidant que d’eulz viengnent et leur soit venu, et ne rendent mie le grey ainsi comme il doivent et il sont tenu a ce haut Soleil, a ce tres haut Seigneur de qui il les ont et tiennent et n’en ont cognoissance. Dont cilz tres haus Sires si fait decheoir et fondre touz ytels biens si mal desservis et si mal cogneuz en plusieurs manieres comme par maladies, dont il en disent tout leur temps et en perdent les gloires qu’il en avoient, tant des biens, des graces et des honnours qui tantost et en po de heure sont oublié et po ramenteu, et les hautesces et poissances sont tantost confondues par force d’anemis qui leur croissent, dont il sont abaissié de celle hautesse et amaindri durement de celle poissance. Et quant de la beauté de legier est effaciee et tantost passee, et pour ce donne Nostre Seigneur beauté es malvais pour ce que les bons ne cuident que ce soit trop grant chose. Et du sens vous devez estre certains que quant Nostre Sires veult grever les saiges qui ne le recognoissent, il leur oste le sens comme poissans de l’oster ainsi comme il est poissans de le donner. Et des preudommies, dont li aucun pourroient avoir celle fol crëance qu’il ne pechassent ne peussent pechier, yceste fole crëance les fait cheoir de leur entencion, car a eulz ne doivent il mie appliquier ceste grace, mais a Dieu le tout poissant qui les donne et a qui l’en les doit regracier et requerir. Et se autrement le font, il cheent ou gouvernement et en la poissance du dyable qui les maine a pechié et a dempnacion. Et des prouesces qui a grant paine et a grant peril sont acquises et par plusieurs annees, et en un seule heure les peut l’en toutes perdre et a l’on perdues pour deffaute de recognoissance de celi qui les avoit donnees. Mes honte est si acoustumee et honnour si po cogneue ou temps de maintenant que l’on n’y fait compte. Mais ceulz qui mettent paine de acquerir cestes honorables proesces et ceulz que Dieux a donné grace de les avoir acquises bien doivent tout leur temps regracier et mercier, loer et honorer Nostre Seigneur, prier et requerir humblement que ainsi comme il leur a donnees et faiz, que il ne leur veille retollir ne deffaire pour leurs dessertes. Et pour ce que vous aiez cognoissance certaine et ferme es choses dessus dictes, que nul ne se doit tenir fermes ne seürs de bien qu’il ait en soy qu’il en puisse bien user se par Nostre Seigneur ne l’a et de li li demeure, povez vous prendre par exemple vray des anciens temps passez que Sanses li fors qui fu si tres fors, comme les anciennes ystoires le racontent, que par deseperance et par haynne arracha la coulonme d’une maison pour tuer soy et les autres qui estoient dedens, et par ainsi mesusa il de sa force moult durement. Et de Absalon qui fu si tres beaus comme nulz povoit estre, et les plus beaux cheveux que nul peust porter, que pour la delectacion qu’il post avoir de sa beauté, ainsi comme il chevauchoit dessouz un arbre, si cheveux s’athacherent a celli arbre, et demoura penduz par ses beaux cheveux et la morust. Et de Salomon qui fu si tres sages, si comme il est raconté es anciennes ystoires, il mesusa de son sens par tele maniere que pour l’amonestement de sa fame il se mist a aourer les ydoles en samblance de soy delaissier de la foy de Dieu, et ainsi failli a son sens tres villainement. Et quant a parler de preudommie, messieres sains Pierres, qui tres fermement amoit et creoit Nostre Seigneur comme ses vrais disciples et apostres, ne le renoya il trois foiz en une nuit de sa bouche mais non mie de cuer ? Et toutes les trois foiz pecha mortelment, dont moult tost se repenti et par la grace de Nostre Seigneur comme vrais disciples, et toutes fois pecha il. Dont fort chose seroit es preudommes de maintenant qu’il peussent estre si fermes en la foy de Nostre Seigneur comme estoit cilz sains preudoms messires sains Pierres, qui ainsi sainctement vesqui et qui tant est honorez pour sa tres sainte vie. Et quant a parler de prouesce, Jullius Cesar, qui si tres bon chevalier fu et tant fist et fu en tres grans et merveilleuses batailles et tant fist de belles conquestes pour ceulz de Romme, et pour ce que a son retour de toutes ses honorables batailles et de toutes ses belles et profitables conquestes que il revint a Romme, il vit et cognust que par envie ceulz de Romme ne li firent mie tele honour comme il avoient acoustumé de faire a ceulz et autres qui avoient conquesté et combatu pour l’onnour et prouffit de Romme et qui tant n’en avoient mie fait, ce li sembloit, comme il avoit fait, en prist il en son cuer grant courrous et grant hayne encontre ceulz de Romme, dont il meismes estoit, et tant que depuis il les guerria et fist de grans domages et les conquist et se fist couronner empereur de Romme ; et moult gouverna fort et fist deffendre que nulz ne portast coutel ne espee en son consistoire pour doubte qu’il ne le tuassent, qu’il ne se povoit fïer en eulz. Si avint que li mauvais, qui grant haynne et envie avoient sur lui, se pourpenserent de porter greffes en leurs tables pour semblance d’escripre, et de ce le devoient tuer. Si avint que a l’entree que Julius Cesar li emperieres ala en consistoire, et li uns de ceulz qui savoit ceste malvaise emprise l’en voult aviser, se li bailla en alant une lettre ou ceste emprise malvaise estoit contenue, mais il ne la lut point, ainçois l’emporta en sa main, dont ce fu ses domages. Quant il fu en consistoire et les huis furent fermez, adonques li malvais traitours prindrent chascuns son greffe et de ces greffes le mistrent a mort moult douleureusement et cruelment, dont d’un si tres bon chevalier si preux et si vaillant fu tres grant pitié et domages. Mes pour ce ne se doit nuls donner mal cuer ne male volenté se l’en ne li porte l’onnour que l’on li devroit porter pour telz faiz d’armes, especialment contre son seigneur ne contre les siens, ne que l’on en doie vouloir nulluy grever ne avoir haynne qu’il ot encontre ceulz de Romme, dont il meismes morust si estrangement et douleureusement comme dessus est dit. Et peut estre que, se il ne se fust tournez contre ceulz de Romme, que il eust vescu plus longuement et bien honorablement entre toutes manieres de genz comme tres parfaitement bons chevaliers que il estoit. Dont ne se doit nulz trop loer en soy, ne trop vouloir que il soit trop loez, ne avoir trop grant gloire de ce que l’en le loe, que les biens et honnours de ce monde ne sont point ferme fors tant seulement comme il plait a Dieu qui les donne et de qui l’on les tient. Et bien doivent savoir ceulz qui les biens font que nulz bienfaiz ne peut estre perdus ne recelez, et qu’il ne soit sceu et ramenteu, mais convient qu’il soient dit et cogneu par les amis et ennemis de ceulz qui les font et par plusieurs autres. Si n’en doit chaloir a nulz de ceulz qui font ces grans biens, fors que Dieu regracier et celli seigneur qui les donne en tele maniere qu’il en doie savoir gré a ceulz a qui il les a donnez pour les bonnes recognoissances et services qu’il li en rendent et desservent, et de plus ne leur doit chaloir, mes que il facent touz jours bien ; et le die qui veult, et qui veult si s’en taise, que touz jours sont les bons les plus avanciez. Or povez chascun savoir et cognoistre fermement qu’il n’est sens, preudommie, force, beauté, proesce ne vaillance qui en nulle personne puisse estre, demourer ne perseverer se ce n’est purement de la grace de Nostre Seigneur. Et pour ce que aucun voudroient dire que un homme seul ne pourroient estre toutes ces graces et ces vertus dessus dictes, et bien pourroient dire voir selon le temps et condicions qui a present sont et regnent ; mais se toutes gens qui veulent mettre leur entente de venir et de acquerir ycelles tres hautes honnours qui par force d’armes et de bonnes euvres les convient acquerir, il devroient mettre leur entente de savoir et de aprendre commant les meilleurs chevaliers qui onques furent eurent et acquirent les hautes bontez et honnours dont il est tant parlé et si veritablement, comme la Bible le tesmoingne. Et pour ce que de touz yceulz ramentevoir seront trop lonc, si pourroit l’en parler briefment et veritablement du tres bon chevalier Judas Machabeus, de qui l’en peut bien dire et raconter que en li seul furent comprises toutes les bonnes condicions cy dessus escriptes, que il fu saiges en touz ses faiz ; il fu preudoms et de saintte vie ; il fu fors, appers et penibles ; il fu beaus entre touz autres et senz orgueil ; il fu preux, hardiz, vaillans et bien combatens et par les plus belles, grandes et fortes batailles et aventures et plus perilleuses qui onques furent, et en la fin il morust en bataille saintement comme sains en paradis. Et ainsi est voir, car en touz ses faiz et en tout son temps se gouverna cilz bons chevaliers en la bonne crëance, fiance et esperance de Nostre Seigneur et en li regraciant et merciant devotement de touz les biens et honnours qui li avenoient. Et Nostre Seigneur, pour la grant foy et cognoissance que cilz bons chevaliers avoit en li, le conforta, gouverna et aida en touz ses faiz si tres grandement, hautement et honorablement, comme la Bible le tesmoigne, qui est veritez, que touz ses faiz furent sanz orgueil et sanz envie et sanz convoitise, fors que de touz biens faire, et en desconfisant ses ennemis pour la foy Nostre Seigneur soustenir et maintenir, le voult Nostre Sires prendre en sa glorieuse compaignie et mettre en la compaignie et ou nombre des sains et en grant memoire a touz jours de sa tres haute chevalerie. Hé Dieux ! Comme c’est uns tres beaus exemplaires a toute chevalerie et a genz d’armes qui ont volenté de venir a celle tres haute prouesce et vaillance, dont tant de biens sont faiz et recordez en leur vie et tant longuement aprés leur mort. Et qui bien aviseroit et penseroit a la vie es biens et es bons faiz de ce bon saint chevalier dessus dit et que l’en vousist retraire et resembler le plus pres que l’en pourroit de sa tres bonne vie et condicions, seurement pourroit l’en tenir et fermement que yceus qui ainsi voudroient leur vie et leurs estaz gouverner ne pourroient ne devroient faillir de venir a tres haute honnour de chevalerie, tant de l’ame comme du corps tout ensemble, que moult en y a qui peuent avoir grant renommee du corps, que puis sont les armes perdues. Et de aucuns autres en y a qui po sont renommez de ces hautes honnours, que leurs armes sont et vont en sauvement en la compaignie de Nostre Seigneur. Mais cui Dieux donne grace de tres haute honnour en ce siecle et a la fin l’ame en paradiz, ainsi come il fist a ce tres bon chevallier dessus dit et a plusieurs autres, plus ne li pourroit demander. Et pour ce que li aucuns pourroit dire que es mestiers d’armes l’en ne pourroit sauver l’ame, il ne sauroient qu’il diroient, que entre touz bons mestiers neccessaires et acoustumez peut l’en perdre ou sauver l’ame qui veult. Mais quant es mestiers d’armes, dont l’en peut et doit acquerir ces tres hautes honnours, l’on y peut bien faire les corps honoreement et vassaument et a sauver les ames, que quant les fais d’armes des guerres deuement encommanciees et les batailles qui s’en ensuient, ainsi comme se lurs seigneurs ont guerres, leurs subgiez peuent et doivent guerrier pour eulz et entrer seurement et hardiement pour cestes causes en batailles, que se l’en le fait bien, les corps sont honorez, et se l’on y meurt, les anmes sont sauvees se autre pechié ne les en destournent. Et en oultre, se aucun de son sanc l’on vouloit desheriter ou pour grant neccessité de leur honnour garder, encores en cele neccessité peut l’on entrer en guerres et en batailles seurement pour les corps et pour les ames, car li cas loist de le faire et est de neccessité. Encores, se aucun vouloient oster l’onnour ne l’eritage de povres pucelles ne de povres femmes vesves, et autrement ne les peust l’en destourner de ce sanz guerre ou bataille, l’en y doit entrer seurement et pour les corps et pour les ames sauver, et tout en autele maniere pour povres orphelins et orphelines. Et encores par meilleur raison peut l’on guerroier et entroir en batailles, un chascun endroit soy, pour son honnour deffendre et pour son heritage, qui autrement ne s’en pourroit deffendre, et seurement pour les corps et pour les ames. Encores pour les droiz de Sainte Eglise garder et maintenir, l’on n’y doit espargnier a y mettre les corps pour les deffendre par guerres et par batailles, se autrement ne les peut l’on avoir. Et qui ainsi le fait, il fait l’onnour de son corps et le sauvement de s’ame grandemant. Encores qui fait guerre contre les ennemis de la foy et pour la crestienté soustenir et maintenir et la foy de Nostre Seigneur, ycelle guerre est droite, sainte, seüre et ferme, que les corps en sont sainctement honorez et les ames en sont briefment et sainctement et senz paine portees en paradis. Ceste guerre est bonne, que l’on n’y peut perdre ne les corps ne les armes. Si ne doit l’on rienz doubter ycelles guerres dessus dictes qui de grant neccessité et a leur droit garder sont encommanciez, mes que elles soient maintenues et gouvernees en tele maniere que l’on soit touz jours en tel estat de concience que l’on ne doubte point ne doie doubter a mourir pour toutes hontes eschever, qui a ces mestiers d’armes peuent avenir moult de foys a qui Dieux ne donne grace de les en garder. Et pour ce doit chascuns bien savoir et penser que en touz les mestiers qui en ce monde sunt, ne do quoy nul se doient ne puissent mesler, ne religieux ne autres, n’ont tant besoing de estre net de conscience comme genz d’armes doivent estre ; et bien peut apparoir que ainsi soit, que qui veult penser et considerer en l’ordre de chevalerie comment elle fu ordenee et faite et comment l’en y devoit entrer devotement et saintement, l’en pourroit dire que ceste ordre, la ou elle seroit bien menee et gouvernee au propos et en la maniere que li ordre de chevalerie se doit gouverner, que l’on pouroit dire que entre toutes autres ordres ce seroit la souveraine, excepté le service divin. Que vous devez savoir que les autres ordres de religion furent et sont faites et ordenees pour servir et prier Nostre Seigneur pour eulz et pour les trespassez et en vie, et sanz avoir regart ne delit es choses mondaines ; et bien le peuent et doivent faire quant leur demourance est toute ordenee et est taillié de demourer es abbayes, es cloistres, es maisons et liex ordené pour faire les services de Nostre Seigneur et les prieres, oroisons et abstenances teles comme il y sont tenuz et obligiez par les veuz et promesses, un chascun selon les poins de leurs religions, et sanz nul peril de leurs corps ne a grant travail d’aler aval les champs pour eulz armer ne en doubte d’estre tuez. Et pour ce le font il bien et doivent faire ce a quoy leurs vies et leurs estaz sont establiz et ordenez si paisiblement. Mais quant a l’ordre de chevalerie, pour bien dire et monstrer veritablement que c’est la plus perilleuse et d’arme et de corps, et la ou il appartient plus et mieux gouverner nettement conscience, ceste ordre de chevalerie, que nulle autre ordre qui soit en ce monde.
Et pour ce que l’on entende miex et pourquoy et les bonnes raisons l’orde de chevalerie fu faite et establie, est il bon du retraire pour en avoir miex la cognoissance. Si devez savoir que quant l’en veult chevalier nouvel, il convient tout premierement que il soit confés et repentans de touz ses pechiez, et qu’il se mette en tel estat qu’il doie recevoir le corps Nostre Seigneur. Et puis quant vient la veille dont l’en doit estre chevalier le landemain, il se doivent mettre en un bain et y demourer une longue piece en pensant que il doient laver et nettoier d’illec en avant leurs corps de toute ordure de pechié et de deshonestes vies, et toute celle ordure doivent laissier dedanz celle eaue. Adont se doivent partir tout net de conscience de celle eaue et de ce bain, et se doivent aler gesir en un lit tout neuf et les draps blans et nez, et la se doivent reposer comme ceulz qui du grant travail de pechié et du grant peril du tourment des deables. Et segnefie le lit repos, comme repos de bien, de conscience, de soy apaisier envers Nostre Seigneur de tout ce de quoy l’on l’auroit couroucié ou temps passé. Puis doivent venir les chevaliers aut lit pour vestir yceulz et les doivent vestir de neufs draps, linges et toutes choses neuves qui y appartiennent en segnefiant que, ainsi comme le corps de celli doit estre nettoiez de toute ordure de pechié, le revest l’on des draps blans et neufs et nez en segnefiance que des lors en la se doivent tenir nettement et sanz pechié. Puis les doivent vestir li chevalier de cotes vermeilles en segnefiant que il sont tenus d’espendre leur sanc pour la foy de Nostre Seigneur defendre et maintenir et les droiz de Sainte Eglise et toutes autres droitures desus dictes que chevalier soit tenu de faire. Et puis leur apportent les chevaliers chauces noires et les enchaucent en segnefiance que il leur doie remembrer que de terre soient venu et en terre doivent retourner pour la mort que il doivent attendre, dont il ne scevent l’eure, et pour ce doivent mettre toute orgueil dessouz leurs piez. Et puis leur apportent les chevaliers une courroie toute blanche et l’en seignent et mettent entour de lui en seignefiance que il soient environné en tout entour leurs corps de chasteté et de neiteté de corps. Dont leur apportent les chevaliers un manteu vermeil et li mettent sus les espaules en signe de tres grant humilité, que mantiaus ainsi faiz furent faiz anciennement par droite humblesce. Puis les mainnent les chevaliers a grant joie en l’eglise, et en l’eglise doivent demourer et veillier toute nuit jusques au jour en tres grant devocion en priant a Nostre Seigneur qu’il leur veille pardonner les mauvais dormirs et veilliers qu’il ont faiz ou temps passé et qu’il leur doint veillier en sa grace et en son service d’illeuc en avant. Et l’andemain les ammainnent les chevaliers a la messe et pour la oïr tres devotement en priant a Nostre Seigneur qu’il li donne grace de entrer et de gouverner ceste ordre en son service et en sa grace. Et quant la messe est chantee et dicte, dont les chevaliers les amainent a celli ou a ceulz chevaliers qui leur doivent baillier l’ordre. Dont li chevaliers qui baille l’ordre baille deux esperons dorez a deux chevaliers, a un chascun le sien, et cil duy chevalier li mettent en chascun pié le sien en segnefiance que l’or est le plus convoiteux mettail qui soit, et pour ce les y met l’en es piez qu’il oste de soy cuer toute mauvaise convoitise d’avoir. Dont cilz chevaliers qui leur doit baillier l’ordre de chevalerie prent une espee, pour ce que l’espee tranche de deux pars, ainsi doivent garder et soustenir et maintenir droiture, raison et justice de toutes pars sanz fausser pour nulz a la foy crestienne et les droiz de Sainte Eglise. Et puis li chevaliers qui leur baillent l’ordre les doivent baisier en signe de confermer l’ordre qu’il leur baillent et que eulz recevoient, et que pais et amour et loyauté soit en eulz, et ainsi la doivent il pourchacier et mettre partout la ou il pourront bonnement. Et puis ycilz chevaliers leur doivent donner la colee en signe que a touz jours mais leur doie souvenir de celle ordre de chevalerie qu’il ont receue et de y faire les
Mais aprés ceste ordre de chevalerie est il bon de ramentevoir l’orde de mariage. Dont en mariage pourroit on prendre trois manieres d’y entrer.
Li aucun hommes et femmes si se marient en tel temps dont il n’ont point de cognoissance eue de pechié a autre famme, ne la famme a nul autre homme, et plus par amour que par convoitise ; et ainsi est bon le mariage pour avoir hoirs et pour eulz garder de pechié. Et d’aucuns en y a qui de rienz ne regardent es personnes a eulz marier fors que a la convoitise de l’avoir, et ceulz qui plus se marient par convoitise que par autre plaisance, soit homs ou femme, a envis en pourroit bien venir, que certes li dyables doivent estre a leurs noces. Si en y a d’aucuns qui sont vesves et ont des enfanz et sont anciens et se marient pour eulz garder de pechié plus que pour avoir enfanz ne lignié, et leur aaige ne leur donne de l’avoir, et se peuent bien vivre deuement en ceste ordre de mariage. Et ceulz qui mieux se gouvernent en l’ordre de mariage vivent liemant et plaisaument.
Or pourroit l’en parler ensuiant des saintes ordres de religion, que en trois manieres y pourroit l’en entrer. Premierement, quant l’on y entre si joennes que l’on n’ait encores nulle cognoissance de pechié ne du monde, et l’on y entre de ce temps et de cel aaige, si se nourrissent en l’ordre et mieux le doivent prendre en gré, et par raison se doivent miex porter et selon les poins de religion et les garder. Si en pourroit avoir d’aucuns qui longuement se sont tenuz et cogneu le monde et mené des honestes vies et moult de foiz et longuement, et puis si se veulent mettre en religion et de legiere volenté, sanz avoir grant devocion. Dont leur est il moult grief chose a tenir et mener les droites voies et les poins et les regles qui es religieux appartiennent de mener, et a envis le veulent faire. Et bien en a l’on veü de telx et plusieurs qu’il vausist de mieux es religions que teles genz n’y fussent ja entrez, que telx religieux font et donnent grans diffames es religions et es bons religieux par les tres deshordenees vies et deshonestes que telx tres desordenez religieux mainent. Yceus ont l’ordre mais ne sont mie religieux. Si en y a d’aucuns, quant il sont sur leur aaige et qu’il ne peuent plus travaillier au monde, si se mettent et rendent en religions pour y finer leurs jours plus sainnement pour les corps et pour les armes, et ainsi est bien. Dont peuent et doivent les bons religieux vivre ordeneement et saintement. Si pourroit l’en bien et devroit tenir que es trois ordres dessus dictes pourroit et devroit appartenir et pour le meilleur a y entrer joennes en religion, jeunes en mariage et joennes en l’armeure et en chevalerie.
Si pourroit l’en encores parler briefment de la plus digne ordre qui soit : c’est ordre de prestre. Et en cest ordre est au contraire des autres dessus dictes pour y entrer joennes, que nulz n’y doit entrer se en sa joennesce n’aprent son service que il convient qu’il aprengne et sache tres bien, que moult en y a qui s’i mettent si joenne qu’il ne scevent rienz ne ne s’entendent, dont c’est moult de foiz tres grant perilz. Et moult en y a qui bien s’entendent, mais il font mal l’estat qui y appartient ; dont il leur avient moult mal quant il ne se gouvernent deuement selon le digne estat qu’il ont et qu’il prennent. Mais ceulz qui bien s’entendent et bien font et scevent leur service et devotement chantent et sonnent, et en cel estat se scevent et veillent gouverner ainsi comme a ce digne estat d’estre ordenez a prestre peut et doit appartenir, ytelz prestres peuent faire moult de biens en trois manieres par leurs bonnes prieres envers ce tres haut seigneur que tant de foiz tiennent entre leurs mains, premierement pour eulz, secondement pour les ames des corps trespassez, tiercement pour ceulz qui sont en vie, dont il ont memoire. Si peuent et doivent vivre ytelx bons prestres justement et devotement. Si peut l’en assez savoir que en l’orde de mariage, la ou elle se gouverne bien si comme a la dicte ordre peut et doit appartenir, l’on y puet et doit vivre aaisé de cuer et de corps et pour l’ame aussi. Et quant aus saintes ordres de religion, li bons religieux scevent les heures la ou il doivent faire le service Nostre Seigneur d’aler en l’eglise, les heures la ou il doivent boir et mengier et dormir et po curer du monde. Si doivent et peuent vivre en paiz en leurs cuers de conscience les bons prestres seculiers qui ont si digne office a faire. Il ne leur appartient de chargier d’autres affaires que de celli, et se ainsi le veulent faire, il font selon leurs bons estaz et ce qui a eulz doit appartenir. Si ne doivent avoir a faire fors tant seulement dire leur service et les messes tres diligeument et tres devotement, et cest office doit bien souffire sanz aprendre nul autre.
Si pourroit l’en aprés toutes ces ordres parler de la bonne ordre de chevalerie, qui entre toutes autres ordres pourroit l’en et devroit tenir la plus dure ordre de toutes, espeuciaument a ceulz qui bien la tiennent et s’i gouvernent selon ce que la dicte ordre fu ordenee et faite. Et trop bien peut apparoir que es ordres de religion, combien qu’il leur soit dit a l’entrer, quant l’en cuidera mengier l’en jeunera, quant l’on voudra jeuner lors convendra mengier, et quant l’en cuidera dormir il convendra veillier, et moult de teles autres choses, n’est ce mie comparasons d’assez souffrir comme en l’ordre de chevalerie. Que qui voudroit considerer les paines, travaux, douleurs, mesaises, grans paours, perilz, froisseures et bleceures, que li bon chevalier, qui l’ordre de chevalerie maintiennent ainsi comme il doivent, ont a souffrir et sueffrent mainte foiz, il n’est nulle religion ou l’en en sueffre tant comme font cil bon chevalier qui les faiz d’armes vont querant justement ainsi comme il est dessus dicte, ne nulz ne s’en puet ne doit excuser de soy armer et justement ou pour son seigneur ou pour son lignage ou pour soy meismes ou pour Sainte Eglise ou pour la foy deffendre et soustenir ou pour pitié d’ommes et de fammes qui ne peuent leur droit deffendre. Et en tel cas doivent il mettre baudemant, hardiement et liement leurs corps en telx faiz d’armes et en teles aventures sanz y redoubter rienz. Et pour ce est il bien assavoir que a ces bons chevaliers peut avenir assez des dures vies et aventures, que l’en leur peut bien dire que quant il cuident dormir il les convient veillier, et quant il voudront mengier il les faut jeuner, et quant il ont soif il n’ont rienz a boire moult de foiz, et quant il se cuident reposer lors les convient travaillier et a tresnuitier, et quant il cuident estre asseur lors leur viennent il de grans paours, et quant il cuident desconfire leurs ennemis aucune fois se treuvent desconfiz ou mors ou pris et bleciez et la paine de garir, sanz les perilz et aventures qui leur peuent avenir es chemins et voiages d’aler querir tel fait d’armes, comme en peril de mer, de rivieres, et passer de mauvais paz et pons, de rimours, de robeurs. Et touz telz perilz leur convient avoir et passer quant il peuent, et Dieux leur en donne grace. Et ou sont les ordres qui tant pourroient souffrir ? Certes en ceste ordre de chevalerie peut l’on tres bien les anmes sauver et les corps tres bien honorer. Que pour l’ame sauver, yteles genz peuent avoir aucune foiz d’onnour la renommee, mais les ames y ont petit proffit et les renommees en sont plus courtes. Et qui fait les faiz d’armes plus pour avoir la grace de Dieu et pour les ames sauver que pour la gloire de ce monde, les ames dignes sont mises en paradis et sanz fin, et les corps touz jours mais honorez et ramenteuz en touz biens. Et ainsi est il de touz ceulx qui tielx justes faiz d’armes vont querant, ja ne soient il chevalier, que maintes bonnes genz d’armes sont ainsi bon comme li chevalier, et ausi d’aucuns seculiers comme d’aucuns bons religieux.
Et quant a parler d’une maniere de gens qui se arment et ne sont mie gens d’armes, ne raisons n’est qu’il le soient pour les tres deshonestes et desordenees vies qu’il maintiennent en celle armeure. Ce sont ceulz qui veulent guerroier sanz nulle raison de guerre, qui prennent les uns et les autres sanz deffiance et sanz nulle bonne cause, et les robent et raimbent, blecent et tuent. Ceulz qui en ceste maniere le font deshonoreement le font mauvaisement et en traïson, ne autrement ne l’osent entreprendre de faire. Si vont encores courre sur es uns et es autres en prenant proies, prisons et autres biens s’il les treuvent, et sanz nulle bonne cause. Si en y a d’aucuns autres qui veulent faire entendant que teles mauvaises
Si est bon que aprés ceste chetive matiere l’on se remette a parler des bons chevaliers et des bonnes genz d’armes qui ne se arment ne voudroient armer pour nulles chetives
Et quant a parler de la joennesce des dames, damiselles et autres fames d’estat qui le peuent faire, peut l’on bien dire que a elles appartient de porter belles couronnes, cercles, chapiaux, perles, pierres, aneaulx, brodures, bien vestues et bien ornees de leurs testes et de leurs corps selon ce que chascune le a doit peut faire et peut appartenir de le faire miex assez qu’il n’appartient de les porter aus hommes, que les jeunes damiselles si s’en marient aucune foiz miex quant l’on les voit en bon estat et qui bien leur avient. Et celles qui sont mariees si se doivent mettre et tenir ou meilleur estat que elles peuent pour miex plair a leurs maris et pour estre plus convenablement entre les autres dames et damiselles. Et a fames d’estat appartient trop bien de estre es meilleurs estaz de riches aornemens sur elles et miex qu’il n’appartient aus hommes, que les biens des hommes et la cognoissance sont trop plus tost cogneuz et sceuz et en plus de manieres que la cognoissance des fames ne leurs biens ne peuent estre sceuz, car les hommes vont ou il veulent entre les gens et en plusieurs paÿs : ce ne font mie les fames. Et si peuent les homes jouster et tournoier : ce ne peuent mie les fames. Et si se arment les hommes pour la guerre : ce ne font mie les fames. Et vont et font en plus de compaignies que les fames ne peuent estre. Si appartient aus fames quer, pour ce qu’elles se tiennent plus es hostiex que les hommes ne font et po s’en partent et tant ne peuent avoir de cognoissance, que elles soient en meilleur estaz de leurs corps et miex aournees de joyaus et d’atours et de vesteures que il n’affiert aus hommes qui en tant de manieres peuent avoir la cognoissance des biens quant l’en les a faiz. Si doit l’en laissier aus dames et aus damiselles ces riches aornemens qui bien et trop miex leur sieent a porter sus elles que ne font aus hommes, car pour leur bonté et beauté et bonne maniere qui en elles sont, avecques tels aournemens comme desus est dit et qui bien leur avient et leur siet, a l’on cognoissance de elles. Si leur doit on laissier les riches aournemens pour elles. Dont yceulz qui ont volenté de bien faire, de quoy se peuent il miex parer et aourner que d’estre bien condicionés de toutes bonnes taches comme d’estre preudommes, sages, loyaux, humbles, liez, larges, courtois, appers, hardiz et bien travaillans et de bonne maniere entre touz, sanz soy loer ne mal dire d’autrui ? Et se de telle robe vous voulez vestir et enveloper et qu’elle soit brodee et de tel ouvrage comme dessus est dit et enjouellee et aournee de telz joyaux comme dit est dessus et de y mettre et adjoindre les autres biens et enseignemens qui par avant sont diz, bien pourront bien dire qu’il n’est robe tant soit courte ne estroite ne astachés, tant les y sceut on mettre fors ne pierres ne perles ne courroies d’or ne d’argent ne touz autres joyaux, ne les pourroit si bien vestir ne si bien athacher pour garder de faire mal ne dont il peussent estre miex parez, aournez, enjoyllez, loez, amez, prisiez et honorez selon Dieu et de tout le monde comme il seroient d’estre vestuz et aournez de toutes ycelles bonnes condicions ci dessus escriptes, et ceulz qui plus en auront, plus loez et amez en seront. Et se vous voulez estre armez cointement et joliement et que voz armes soient bien ramenteues, recogneues et aournees entre les autres, si querez les faiz d’armes souvent et diligeument. Et quant Dieu vous donra si bon eur de les trouver, si faites bien vostre devoir sagement et hardiement, sanz rien redoubter fors que honte, en besoignant de la main et du travail de vostre corps tant et si avant comme la puissance s’i pourra estendre au domage de ceulz a qui vous aurez afaire et touz jours des premiers. Si auront plus cognoissance voz amis et voz anemis de vostre bienfait, et ainsi seront voz armes belles a regarder partout et en serez trop plus cointement et joliement armez que se elles estoient toutes semees de perles et de pierres precieuses, ne n’est brodeüre qui a ceste beauté se prengne. Si devez cointir voz armeures de tel ouvrage, et qui plus en fait, plus en est muez et parez. Et se vous voulez estre fort et seurement armez a l’encontre de touz perilz d’arme et de honte et moult de foiz de perilz de corps, si soiez bien avisiez de mener teles vies et si plaisans a Nostre Seigneur que par raison il li doie souvenir de vous quant vous l’appellerez a voz tres grans neccessitez a perilz de corps. Et ne vous armez ne ne mettez voz corps en peril en nulle maniere se vous ne vous mettez en si bon estat envers Dieu que il vous doie oïr en voz prieres a requeste que vous li voudrez faire de raison et que vous ne doiez trop doubter la mort. Et se aisi le voulez faire bien continuelment et souvent, travaillez vous, armez vous, combatez vous ainsi comme vous devrez, alez partout, et par mer et par terre et en plusieurs paÿs, sanz doubter nulz perilz ne sanz espargne de voz chetiz corps dont vous ne devez tenir nul compte, fors que de l’ame et vivre honoreement. Si serez partout sauvez, amez, prisiez et honorez, cogneuz et ramenteuz pour voz grans biens et travaulz et bons faiz entre voz amis et ennemis et en plusieurs paÿs et marches et de ceulz qui onques ne vous virent ne jamais ne vous verront, ne lonc aprés voz mors, dont l’en priera pour vous et en vostre vie et aprés vostre mort, et vostre hoirs et lignages en seront aprés honorez.
Or peut on assez veoir et cognoistre quel tres noble tresor est a amasser touz ces biens dessus diz et en mettre assez ensemble. Et qui plus en amasse et met entour lui, si est souverainement riches, aornez et prisiez et amez et doubtez et plaisans a Dieu et toute gens, et belle grace et grans vertuz est en ceulz qui seculierement peuent mener teles vies dont les corps peuent honoreement en cest siecle conduire leurs ames en paradis en l’autre avecques celle gorieuse compagnie qui durera touz temps en si tres grant joie et sanz fin. Hé Dieux ! Comment ont les cuers de faire maulz ceuls qui les font, quant il voient et ont cognoissance de ceuls qui les biens font, qui font ycels biens si seurement et si joyeusement, si honoreement et si plaisaumant et sanz doubte de nul et finer bonnement ? Et les mauls a faire sont si perilleux, si merencolieux, si deshonorables, si male fin gracieux et sanz nulle seurté et pour venir a tres mauvaise. Et que pourroit on dire autre chose que mal de ceuls qui ont le chois et qui le sauroient et pourroient bien faire quant il laissent les biens a faire, qui sont si seür et si honorables, pour faire les mauls, qui sont si perilleux a faire et si tres hontables ? Et se vous voulez savoir comment vous serez confortez en faisant et en multipliant touz ces biens et en delaissant la volenté de faire touz ces maulz, si vous mettez de touz voz cuers a prier a celle tres glorieuse Vierge Marie que de sa benigne et humble grace et par la sainte puissance qu’elle a envers son tres precieus et glorieus et souverain Seigneur et Pere et Filz que de sa tres digne, humble, piteuse misericorde, il ait son tres glorieux regart sus voz cuers, sus voz corps, sus voz
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