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Version du 25 octobre 2020 à 10:19
Critiques
- Le Petit Journal [[1]]
Il y a eu peu d’équinoxes plus féconds en naufrages que l’équinoxe de mars 1869. Chaque jour en a été marqué par quelque desastre maritime, par quelque funeste catastrophe.
Bateaux pêcheurs, bâtiments marchands, paquebots, vaisseaux de la marine militaire, tous ont payé leur funèbre tribut.
Ces jours derniers on lisait dans le Moniteur du Calvados :
« D’Hermanville à Courseulles l’aspect de la côte est navrant. Ce ne sont partout que débris de mâts, barriques défoncées, voiles déchirées, papiers lacérés, bou- teilles brisées, vêtements tordus ou troués par les vagues.
» L’équipaâe du trois-mâts barque Péters, capitaine Nielson, se composait probablement de douze hommes.
Neuf cadavres d’hommes ont déjà été recueillis.
« Un de ces infortunés paraissait âgé de quarante ans ; deux autres, dont les visages enraient une certaine ressemblance, étaient sans doute deux frères le premier annonçait vingt à vingt-deux ans, le second seize ans environ.
» On croit qu’il y avait un enfant à bord du Peters. On a retrouvé parmi les épaves du navire un petit cahier d’études, renfermant plusieurs devoirs de grammaire écrits en norvégien, ainsi que deux images coloriées d’un dessin fort naïf.
« Les cadavres d’une femme et de deux enfants ont été jetés sur le sable, lundi matin, près de Ouistreham. La mère tenait ses deux pauvres petits embrassés dans une dernière étreinte. On pense qu’ils viennent du naufrage de la goëlette Gemini, perdue dans les parages de St-Valéry. »
Que de morts cruelles et prématurées, que d’actes héroïques, que de dévouements sublimes sur ce grand théâtre de la mer !
Sur un des points des côtes de Bretagne, seulement cent cinquante naufragés ont été arrachés à la mort par la Société centrale de Sauvetage dans les désastres occasionnés par la tempête du 20 mars.
Avec quel bonheur, à la fin des émouvants récits de ces terribles luttes, nos yeux ne s’arrêtent-ils pas sur ces mots consolantes « L’équipage est sauvé. »
Avec quelle douleur, on lit, au contraire « Tout a péri, corps et biens. »
Puisque l’occasion s’en présente, saisissons-la pour appeler l’attention de nos lecteurs sur cette Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, fondée par l’honorable amiral Rigault de Genouilly, et qui tiendra très prochainement, sous sa présidence, son assemblée générale.
Pour y assister, il suffit d’adresser des demandes d’invitation à l’administrateur délégué de la Société, rue du Bac, 53.
Il y aura certainement là un rapport émouvant par le récit de nombreux actes de dévouement et d’héroïque humanité. Quant aux souscripteurs, ils peuvent se dire que chaque obole concourt à racheter la vie d’un homme.
Mais il n’y a pas que la mer qui ait ses naufrages. Paris a aussi les siens, et si le vaisseau qui figure dans son écusson avec cet exergue
Fluctuât nec mergitur !
Il est battu des flots, mais il ne sombre pas. Il n’en est pas moins vrai que bon nombre des passagers qui sont à son bord périssent engloutis par de cruels naufrages.
Naufragés de fortune, naufragés d’ambition, naufragés d’honneur, naufragés de misère s’y perdent Lrisës. à la Bourse, dans les avenues du pouvoir, dans les salons dorés du grand monde, sur les dalles glacées de la Morgue.
Entre tous ces désastres, Mme Claude Vignon en a choisi un pour sujet d’un roman palpitant d’intérêt et pour qu’on ne s’y trompât point, elle l’a intitulé un Ce naufrage est celui d’une jeune femme qui, née au milieu de toutes les conditions de fortune, d’éducation et d’affection faites pour assurer le bonheur, dévie de la ligne que lui marque la boussole du Devoir et entre dans une lutte désespérée avec un mari plus soucieux de s’approprier la fortune de sa femme que de conserver son cœur.
Lucie d’Ormessant vogue d’abord avec toutes les illusions d’un amour coupable sur les eaux du Tendre, poussée qu’elle y croit être par d’éternels zéphirs ; mais les vengeurs et inévitables points noirs ne tardent pas à apparaître à l’horizon. Ils croissent, grossissent, s’étendent et finissent par couvrir la voûte entière de ce ciel naguère si limpide et si bleu. Le vent soufüe, les flots se gonflent, la tempête mugit, et la coupable et imprudente nautonnière, après avoir été frappée dans la personne de son amant par les foudres du choléra, va frôler contre les bancs périlleux de la police correctionnelle.
On a reproché à Mme Claude Vignon de n’avoir pas reculé devant la peinture des passions effrénées auxquelles une partie de notre Société est en proie. Non, elle n’a point reculé devant cette peinture mais c’est pour montrer toujours les fatales catastrophes où elles aboutissent, c’est pour inspirer l’effroi des implacables punitions qu’elles infligent.
C’est là, à notre sens, la meilleure morale qui puisse sortir d’un roman. Une citation le prouvera.
C’est en juin 1859, Miguel da Servas, l’amant de Lucie, vient de mourir frappé du choléra.
« Le moment le plus terrible ne fut pas celui où la lutte avec le fléau soutenait encore le courage de Lucie et surexcitait ses forces, mais celui où le silence fait autour de ce lit funèbre, l’immobilité éternelle répandue sur ces membres tout à l’heure tordus par ces crampes épouvantables, sur ces traits contractés par les derniers efforts de l’agonie, elle se trouva seule, sans ressources, sans amis, dans une maison isolée et louée sous un faux nom, en face d’un cadavre ; où la concierge, après avoir jeté le drap sur cette face décomposée, allumé deux bougies, ouvert les fenêtres et posé devant le lit un pot de chlore dont elle avait eu soin de se pourvoir, vint lui dire » Maintenant, quels sont les ordres de madame ? »
Ces ordres, Lucie les donne avec ces rapides alternatives de stupeur et de délire qui accompagnent les immenses douleurs.
Puis, continue l’auteur :
» Agonisante de douleur, Lucie se jeta au pied du lit de Miguel saisit sa main rigide et bleue, y colla ses lèvres et oubliant tout, écrasée sous le poids de son désastre, cria au mort
« Prends-moi ! »
« Que se passa-t-il dans l’âme de Madame d’Ormessant, durant deux heures qu’elle demeura seule auprès de ce mort, qui emportait avec lui le mobile de toute ses passions, de toutes ses espérances ? « Quels gouffres de néant et d’oubli se creusèrent à l’entour de ces restes défigurés, dont le regard, l’action, le geste, les cris d’amour n’étaient déjà plus qu’un souvenir.
» Rien il ne lui restait rien ! Touts avait croulé en même temps que cet homme était tombé. Bien Et pour trouver encore bien loin, au bout de cette ombre, une lueur vacillante, il fallait saisir ce souvenir comme un fil conducif teur et monter au ciel.
Ah qu’il est puissant, dans l’âme humaine, ce besoin de l’appel à Dieu !
» Alors que la coupe des douleurs est pleine, et que l’homme, brisé, tombe dans cette sorte de Géhenne sombre, sans fond ni parois, où il sent le vide de toutes parts, un cri suprême sort de lui et s’élance vers le souverain maître de nos destinées. Il n’a pas encore formulé une pensée, conçu un remords, reconnu l’autorité. toute-puissante de la main qui le frappe, que l’impérieux besoin d’un secours, le divin instinct du par delà, surgissent en lui avec une spontanéité sublime.
» Certes, Lucie avait été chrétienne. ment élevée. Jeune fille et jeune femme elle avait accompli, toujours, les devoirs extérieurs de la religion, et même nous l’avons vue, tout dernièrement, redoubler le zèle, soit qu’elle fût devenue complétement hypocrite soit l’Ame d’une femme a tant de replis qu’elle eut à la fois usé d la bienfaisance et de l’assiduité aux offices, comme de précautions utiles vis-à-vis du monde et comme d’offrandes expiatoires à l’égard du ciel.
Certes, dis-je, elle avait souvent et, longuement répété, des lèvres, les prières de son paroissien ; mais jamais encore, comme en ce moment, elle n’avait crié : » Mon Dieu »
Il y a incontestablement du bien à tirer d’un livre où de tels sentiments sont si éloquemment exprimés.
Du reste, Mme Claude Vignon a produit d’autres ouvrages où elle s’est plu peindre des passions plus douces, plus contenues, des tableaux moins poignants. Mais pourquoi réduire la lyre du poëte à une seule corde, la palette du peintre à une seule couleur ? On aime à passer, avec Mme Claude Vignon, des religieuses Is émotions de ce charmant Voyage de Paris à, Mennecy aux tableaux orageux des pas- sions de Lucrezia.. fous les ouvrages de Mme Claude Vi- gnon ont eu un brillant succès. Quelques- uns n’ont nas été édités en volume, d’au- tres sont épuisés. Bien des personnes ce- pendant seraient désireuses, les unes de lire, les autres de relire Victoire Lenormand, les Récits de la Vie réelle, un Drame en province, Minuit, Elisabeth Verdier, la ses éditeurs. Qu’ils achèvent ce qu’ils viennent de commencer si bien. 11 leur appartient de nous donner la collection complète des œuvres de Mme Claude Vignon
THOMAS GRIMM. Modèle:Boîte déroulante FIN