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JOURNÉE III, SCÈNE I.

julia.

Je vous le dirai quand nous serons seuls.

eusebio.

Que tout le monde s’éloigne. (Gil et les brigands sortent.) Maintenant nous sommes seuls, et ces arbres seuls nous entendent. Découvrez-vous donc le visage, et répondez-moi : Qui êtes-vous ? où allez-vous ? que cherchez-vous ? Parlez.

julia.

Pour t’apprendre en même temps et qui je suis et ce que je veux, tire ton épée ; et tu sauras par là que je suis quelqu’un qui est venu te tuer.

eusebio.

Je réponds comme je dois à cette provocation, en avouant que ta voix ne me faisait pas craindre de ta part un semblable dessein.

julia.

Défends-toi, perfide et lâche, défends-toi ! et tu auras bientôt reçu le châtiment que tu mérites.

eusebio.

Je ne ferai que me défendre ; car je ne vois pas quel intérêt je puis avoir à ta mort, ni de quel intérêt la mienne peut être pour toi. Découvre-toi donc maintenant, je te prie.

julia.

C’est bien dit ; car dans les vengeances de l’honneur, l’offensé n’est satisfait qu’autant que l’offenseur connaît de qui lui vient son châtiment. (Elle se découvre.) Eh bien ! me reconnais-tu ?

eusebio.

Je demeure interdit. Je ne sais à quelle pensée m’arrêter. Livré à mille doutes contraires, je suis épouvanté de ce que je vois.

julia.

Tu m’as vue à présent ?

eusebio.

Oui ! et j’éprouve de tels sentimens à ton aspect, que tout ce que j’aurais donné il n’y a qu’un moment pour te voir, je le donnerais maintenant pour ne t’avoir pas vue. Toi, Julia, dans cette montagne ?… Toi ici, sous ce déguisement profane ?… Comment donc es-tu venue seule ?…

julia.

C’est la conséquence de tes mépris et de mon désabusement ; et pour que tu saches bien que rien ne peut arrêter une femme blessée dans sa fierté, écoute : Non seulement je ne me repens pas des péchés que j’ai déjà commis, mais je suis prête à en commettre d’autres. — J’ai quitté le couvent, je suis venue à la montagne, et un berger m’ayant dit que je suivais une mauvaise route, j’ai craint qu’il ne vînt à me trahir, et m’étant emparée d’un couteau qu’il portait à la ceinture, je lui ai donné la mort. — Le lendemain, un voyageur qui m’avait prise en croupe sur son cheval ayant voulu