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JOURNÉE II, SCÈNE III.

moi ? Si j ai irrité le ciel, comment pourrai-je me soustraire à sa fureur ?… Croix divine, croix céleste, je te fais le solennel serment qu’en quelque lieu que je te voie, je m’agenouillerai dévotement pour réciter un Ave Maria.

Il se relève, et tous les trois s’en vont, en laissant l’échelle appliquée contre le mur.
julia.

Je demeure interdite et confuse. C’était donc là ta tendresse, ingrat ?… c’était là ta passion, ton amour ?… Tu as persévéré avec opiniâtreté jusqu’au moment où, à force de prières et de menaces, tu as pu me soumettre ; et lorsque tu t’es vu mon maître, tu as fui devant ta victoire !… ciel ! je succombe ! son mépris me tue, et, pour comble de malheur, je recherche celui qui me tue de son mépris !… Lorsque Eusebio me sollicitait en pleurant, je ne l’écoutais pas ; et maintenant qu’il me laisse, c’est moi qui cours après lui !… Nous sommes ainsi faites, nous autres femmes : nous dédaignons qui nous aime, et nous aimons qui nous dédaigne… Ce qui m’afflige, ce qui m’irrite, ce n’est pas de n’être pas aimée, c’est d’être délaissée… Voilà la place où il est tombé… je veux m’y précipiter après lui… Mais quoi ! n’est-ce pas une échelle que je vois là ?… Quelle pensée !… ô mon imagination, modère-toi, car une fois que j’aurai consenti, le crime est consommé… N’est-ce point pour moi qu’Eusebio a franchi les murs du couvent ? N’étais-je point fière de voir qu’il eût bravé pour moi tant de périls ? Pourquoi donc hésité-je ? quelle crainte m’arrête ?… Eh bien ! moi, je franchirai ces murs pour sortir, comme il les a franchis pour entrer, et, comme moi sans doute, il se réjouira de voir que pour lui j’ai bravé tant de périls… N’est-ce point là un consentement que je prononce ?… Mais si Dieu a retiré de moi sa main, ne me pardonnera-t-il pas une faute inévitable à ma faiblesse ?… Partons ! (Elle descend les degrés de l’échelle.) Je perds le respect que je dois au monde, à l’honneur et à Dieu, lorsque je me lance les yeux fermés dans cette carrière de folie ; je suis un mauvais ange tombé du ciel, je n’ai plus l’espoir d’y remonter, et je n’éprouve point de repentir !… Me voila hors de l’asile sacré qui me gardait, et le silence de la nuit, joint à l’obscurité, remplit mon âme de trouble et d’horreur… Qu’est-ce donc que je prétends, et où vais-je porter mes pas ?… Mon imagination effrayée forme dans l’air des apparitions menaçantes, et j’entends comme la voix d’un écho qui m’accuse… Tout-à-l’heure, j’étais résolue, intrépide, et maintenant j’ai peur ! mes pieds me semblent enchaînés, je crois sentir peser sur moi un poids immense, et mon sang est glacé dans mes veines… N’allons pas plus loin, retournons au couvent. Là, je confesserai ma faute, et j’en demanderai pardon au ciel ; et ce pardon, je l’obtiendrai sans doute ; car les sables de la mer n’égalent pas en nombre les péchés que Dieu