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LA DÉVOTION À LA CROIX.

eusebio.

Êtes-vous donc effrayée de me voir ?

julia.

Et comment n’essaierais-je pas de te fuir ?

eusebio.

Arrêtez, Julia, arrêtez !

julia.

Que veux-tu, vaine image formée de mes souvenirs, qui apparais à ma vue ? N’es-tu pas, hélas ! la voix de mon imagination, le corps de ma fantaisie, le portrait de mon rêve, le fantôme qui représente mes pensées de la nuit ?

eusebio.

Écoute, Julia, je suis Eusebio ; je vis et je suis à tes pieds ; et si je pouvais n’être qu’un fantôme, une pensée, je serais toujours près de toi.

julia.

Oui, c’est toi, c’est ta voix, et je me désabuse !… Oui, c’est toi, Eusebio… Ah ! j’aimerais mieux que ce ne fût que ton image, en ce lieu que tu profanes… en ce lieu où ma vie se consume tristement ! — J’ai peur, je tremble, je succombe !… Que veux-tu ?… Que cherches-tu ?… Que prétends-tu ?… Comment as-tu pu parvenir jusqu’ici ?

eusebio.

L’amour ose tout, et mes chagrins et tes rigueurs ont enfin triomphé de moi. Jusqu’au moment où tu t’es renfermée en ces lieux j’ai supporté ma douleur, que l’espoir soutenait ; mais quand je t’ai vue perdue, j’ai bravé alors et la loi du cloître et le respect que je devais à cet asile. Si je suis coupable, la faute n’en est pas à moi seul ; toi qui l’as inspirée, tu la partages avec moi. Et le ciel ne doit pas s’irriter de mes prétentions ; mes droits sont antérieurs aux siens ; tu m’avais promis ta foi, et tu ne pouvais plus disposer de toi-même.

julia.

Il est vrai, je l’avoue, ma volonté fut unie à la tienne dans des temps plus heureux ; mais ici j’ai prononcé mes vœux au pied des autels, et je suis devenue l’épouse du Christ à qui j’ai donné ma main et mon cœur. Maintenant, je suis à lui, je lui appartiens : que me veux-tu ?… Retire-toi, Eusebio ! va, fuis dans ce lieu désert où tu épouvantes le monde, dans ce repaire affreux où tu es sans pitié pour les hommes, sans pitié pour les femmes ! Fuis, te dis-je ; et si ton fol amour nourrissait quelque espoir, éloigne-toi plein d’horreur, en pensant que je suis dans un asile sacré.

eusebio.

Ta résistance ne sert qu’à m’enflammer ; et puisque je suis venu et que j’ai franchi les murs du cloître, et que je suis arrivé jusqu’à toi, sache-le, ce n’est pas l’amour seul qui m’a conduit, c’est une