« Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Sixième livre/Chapitre 007 » : différence entre les versions

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 188-201).


CHAPITRE VII.
DES AUTRES JEÛNES.


Comme nous avons traité des jeûnes des quatre-temps, il s’ensuit que nous devons ici toucher quelques mots des autres jeûnes.

I. Or, le jeûne est la satisfaction commune de tous les membres, c’est-à-dire est institué pour que les membres satisfassent suivant le péché qu’ils ont commis ou fait, de manière que, si c’est par la gourmandise que l’on a péché, on fasse jeûner la bouche, et cela suffit, parce que, comme la bouche seule a péché, seule aussi elle doit subir la peine ; il en est de même pour l’œil. C’est pourquoi Jérémie dit : « Mon œil a porté le ravage dans mon ame, et par les fenêtres de mes yeux la mort a pénétré dans mon ame ; » et saint Augustin : « Rien de plus pervers et de plus méchant que l’œil ; » et ainsi des autres membres.

II. Ou bien encore le jeûne est un retranchement et une abstinence de nourriture. Saint Augustin dit que le jeûne le plus grand et le plus parfait, c’est de s’abstenir de l’iniquité, des voluptés de la chair et des plaisirs du siècle ; d’où le pape Pie (De consec., d. v) : « Rien, dit-il, rien ne sert de prier et de jeûner, si l’ame ne s’éloigne de l’iniquité, et si la langue ne met un frein à ses médisances et à ses calomnies. »

III. Jeûne vient de jejuno, qui est un intestin de l’homme qui est toujours vide et fort mince ; ainsi, en jeûnant nous devons toujours être vides, c’est-à-dire exempts des superfluités tant du corps que de l’ame.

IV. L’autorité du jeûne dérive de trois choses : de la personne, du lieu et du temps. De la personne, parce que Dieu ordonna à Adam et Ève de s’abstenir du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Du lieu, parce que c’est dans le paradis qu’il fut institué et qu’il commença (XXXVI, d. vi). Sous le rapport du temps, parce que dès l’antiquité, dès que l’homme fut créé, le jeûne lui fut enjoint, et au commencement du monde il lui fut dit : « Ne mange pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal ; » parce qu’il fut observé avant la loi par Moïse ; sous la loi, par Elie, et dans le temps de la grâce par le Christ ; car Moïse ne mangea ni ne but pendant quarante jours ; Elie marcha courageusement pendant quarante jours et quarante nuits, ne mangeant que du pain cuit sous la cendre, et le Christ jeûna quarante jours et quarante nuits. Le jeûne fut observé pendant les six âges du monde. Dans l’âge qui s’écoula depuis Adam jusqu’à Noé, on s’abstint de la chair et du vin (xxx d. Ab exordio). A partir de Noé, la chair et le vin furent permis, et ainsi des autres âges.

V. Or, le jeûne est recommandé par des exemples. Tant qu’Ève jeûna et garda l’abstinence dans le paradis, elle demeura vierge. Quand Adam eut violé le jeûne, il tomba des délices du paradis dans la plus profonde misère. Elie, à cause de son jeûne, fut ravi au ciel dans un char de feu. Moïse, après avoir jeûné, s’entretint avec Dieu. Jérusalem, par le jeûne, est délivrée de Sennachérib, au temps du roi Ezéchias et d’Isaïe. A la prédication de Jonas, les Ninivites font pénitence sur le sac, sur la cendre et par le jeûne, et obtiennent leur pardon. Nous jeûnons aussi à l’exemple des apôtres, comme on le dira le Mercredi de la Pentecôte.

VI. Or, autre est le jeûne du corps et de la chair, autre est celui de l’ame, autre celui de l’avarice ; autre est le jeûne fastueux, autre celui de la dispensation ou dispensé, autre celui de la dévotion, autre celui des promesses votives, autre celui de supplément, autre celui de la compassion, autre celui de l’inspiration, autre celui de la circonspection, autre le jeûne raisonnable, autre le jeûne déraisonnable, autre celui de la qualité, autre celui de la quantité, autre celui du nombre, autre celui qui est d’une stricte rigueur, autre le jeûne alternatif, autre celui de la xérophagie, autre celui du chagrin, autre celui de l’allégresse, autre celui de la vanité ou de l’hypocrisie, autre celui de la vertu ou de la charité, autre celui d’indiction, autre celui de nécessité, autre celui d’institution, autre celui de la volonté, autre celui de la perversité.

VII. Le jeûne du corps et de la chair existe quand on s’abstient de nourriture pour ne pas trop engraisser, pour se délivrer d’une maladie, ou bien parce qu’on ne peut manger ; et il n’y a pas de mérite dans ce jeûne. Le jeûne de l’esprit ou de l’ame consiste à s’abstenir des vices, ou même à se priver de nourriture, pour réprimer l’incontinence de la chair. Le jeûne de l’avarice est l’action de celui qui ne pratique le jeûne que pour épargner sa bourse. Le jeûne fastueux est celui que l’on fait pour qu’il frappe les yeux des hommes. Le jeûne de dispense est celui qui s’observe aux vigiles des jours solennels et des grandes festivités.

VIII. Tel est le jeûne de la vigile de Noël. Ces jours se nomment vigiles, parce qu’anciennement, dans les grandes villes, on célébrait deux offices de nuit, et le peuple qui s’était rendu à la fête veillait toute la nuit dans l’église, en chantant les louanges de Dieu, comme cela se pratique encore à Rome et dans la plupart des pays, aux grandes festivités, surtout à celles des saints patrons des églises. Mais comme il s’y rendait des joueurs et des chanteurs qui y faisaient entendre des chansons obscènes, se livrant à la danse, aux excès du manger et du boire et à l’impureté, à cause de ces profanations et de beaucoup d’autres inconvénients encore, ces vigiles ou veilles ont été interdites, et on a décrété qu’on les remplacerait par des jeûnes qui gardent encore le nom de l’office et se nomment communément vigiles et non pas jeûnes. Cependant celui qui jeûnerait et veillerait honnêtement dans l’église, agirait saintement, comme cela se pratique la veille de la Nativité de saint Jean-Baptiste, à cause de la grande vénération que l’on a pour ce saint. Ce jeûne se nomme jeûne de dispensation ou dispense, parce que le jeûne remplace les vigiles ou veilles. Nous avons traité ce sujet au chapitre de Nocturnes, dans la cinquième partie. Le jeûne de dévotion est celui auquel on n’est pas nécessairement astreint et que, plus bas, nous appelons volontaire. Le jeûne de promesse votive est celui que l’on fait vœu d’observer à jour fixé, soit que l’on promette de jeûner ou de s’abstenir de viandes.

IX. Et remarque que les vœux que l’on fait avec discrétion. et qui sont conformes à la raison, doivent être remplis envers Dieu, d’après ces paroles : Vovete et reddile Deo vota vestra, « Faites des vœux, et accomplissez-les à l’égard de Dieu. » Or, parmi les vœux, ceux qui dérivent de la nécessité sont bien différents de ceux qui viennent de la volonté spontanée. Les vœux de nécessité sont ceux qui sont intimement liés à la foi, comme par exemple, dans le baptême, la profession de foi catholique et la renonciation à Satan ; comme le vœu d’observer les dix préceptes de la loi, de pratiquer la continence, que fait celui qui reçoit les ordres sacrés. Chacun est tenu d’observer inviolablement ces vœux. Parmi les vœux volontaires, les uns sont indiscrets, les autres discrets. Les vœux indiscrets sont ceux des jeunes garçons et des jeunes filles qui sont sous la puissance paternelle ; aussi leurs vœux peuvent-ils être annulés. Si donc une jeune fille dans l’âge nubile fait vœu de chasteté perpétuelle, elle peut licitement se marier si ses parents ou ses curateurs l’y contraignent. Le vœu même d’une femme est indiscret, quand elle est en puissance de mari. Ainsi, si à l’insu du mari elle fait vœu de se rendre en pèlerinage, le mari peut annuler ce vœu, parce que la femme n’est pas maîtresse de son corps ; c’est l’homme qui en est le maître. Les vœux sont encore indiscrets quand ils sont formés par des vieillards ou des enfants qui sont dans l’impossibilité de les accomplir, ou par des personnes qui sont d’un tempérament si faible qu’elles ne pourraient les accomplir sans être leurs propres meurtriers ; quand ils ne peuvent être accomplis sans la permission d’un tiers ; quand ils sont formés sans réflexion et dans l’impétuosité de la colère. De tels vœux méritent plutôt d’être ajournés (speranda) que d’être mis à exécution. Le jeûne de supplément (ou surérogation) a lieu quand, à la pénitence qui est prescrite par le prêtre, on ajoute quelque chose de soi-même.

X. Le jeûne de compassion a lieu quand un prêtre dit à un fidèle : Pour ce péché que tu as commis, fais chanter deux messes et jeûne, et moi je chanterai et jeûnerai pour toi pendant trois jours (pour cela, pourtant, il doit recevoir quelque chose), parce que le prêtre doit être compatissant pour son prochain, doit prier et même jeûner pour lui. On pourrait encore appeler compassion l’action d’un fils qui demanderait à un prêtre à partager la pénitence enjointe à son père.

XI. Cette compassion se pratique de quatre manières : quelquefois par des sacrifices, quelquefois par des jeûnes, d’autres fois par des prières et aussi par des aumônes. Le jeûne d’inspiration est, par exemple, celui que pratiquait le bienheureux Nicolas, qui, encore petit enfant dans son berceau, s’abstenait, trois jours de la semaine, du lait maternel, ou qui, comme d’autres le prétendent, ne tétait sa mère qu’une fois, le mercredi et le samedi. Le jeûne de circonspection est celui que l’on observe quand on est menacé de mort par une tempête, par l’ennemi, et dans toute autre circonstance grave et dangereuse. Le jeûne raisonnable consiste à prendre le manger et le boire avec modération et sans affaiblir la nature ; c’est pourquoi l’Apôtre dit : « Que votre obéissance soit raisonnable ; et ne vous abandonnez pas à la gourmandise et à l’ivresse. » Le jeûne déraisonnable serait le jeûne de celui qui voudrait jeûner pendant deux ou trois jours, ou pendant toute une semaine, ce que Dieu n’approuve pas ; car il veut que l’homme jeûne de telle sorte que sa nature soit forcée de mourir aux vices, mais sans être elle-même épuisée et désorganisée. Ainsi est prohibé le jeûne que certains pratiquent depuis le Jeudi saint jusqu’à Pâques. Le jeûne de qualité est celui qui consiste à promettre à Dieu, par vœu, de ne plus manger de viande. Le jeûne de quantité consiste à manger au poids et à la mesure et pas plus un jour que l’autre, ou bien à faire vœu de ne plus manger qu’un pain de tel poids. Le jeûne du nombre consiste à faire vœu de ne manger qu’une fois le jour, pensant que manger plusieurs fois le jour est d’un animal, manger deux fois est d’un homme, manger une fois est d’un ange. Le jeûne de stricte rigueur est celui qui consiste à ne manger que des légumes, des racines et des herbes, comme Jean-Baptiste dans le désert, et Marie l’Egyptienne dans la solitude, qui, avec deux pains seulement, passa le Jourdain, mena la vie la plus austère dans le désert pendant quarante-sept ans. Le jeûne alternatif consiste à manger un jour et à jeûner l’autre. Le jeûne de la Xérophagie consiste à manger une nourriture sèche. Ce mot vient de ζαρος, vin ou chose sèche, et φαγειν, manger. C’est de là que Priscien parle du Zorophage de Bysance. La nourriture sèche consiste dans les fruits, les pommes, les poires, les châtaignes et autres choses semblables. Certains, pourtant, nomment aliments secs les légumes crus ou cuits, même quand, avec une cuillère, on les mange bouillis. Le jeûne de chagrin ou de tristesse consiste dans une seule chose, c’est-à-dire dans l’abstinence de nourriture et des choses du monde. Il a lieu pour deux motifs, c’est-à-dire à cause de l’abstinence corporelle et spirituelle de l’époux. L’Église représente ce jeûne pendant les quatre-temps. Le jeûne de la joie ou de l’allégresse consiste en deux points, savoir dans l’abstinence de nourriture et des plaisirs mondains ; et il a lieu pour un seul motif, c’est-à-dire à cause de l’avant-goût de la suavité intérieure, d’après ces paroles : Gustate et videte ; ce que l’Église représente la veille de la Pentecôte et pendant la semaine après cette fête. Elle représente aussi ces deux abstinences dans la semaine de l’Avent, comme on l’a dit ci-dessus. Il y a donc deux jeûnes, c’est-à-dire de la tribulation et de la joie, ou du chagrin et de l’allégresse, comme on le voit in globo en cet endroit de saint Mathieu (chap. ix) : « Les enfants de l’époux peuvent-ils être dans la tristesse tant que l’époux sera avec eux ? » Le jeûne de la vanité, de la dissimulation ou de la feinte, a lieu chez les hypocrites. Le jeûne de la vertu ou de la charité est celui des saints et de ceux qui sont parfaits. Le jeûne de surcroît ou d’indiction est, par exemple, celui du jour du bienheureux Marc. Le jeûne de nécessité se trouve chez ceux qui sont imparfaits. Le jeûne d’institution est le jeûne du Carême et les autres, qui ont été institués par les saints Pères. Nous avons déjà dit pourquoi ces jeûnes furent institués, et nous en reparlerons au chapitre du Mercredi des Cendres, In capite jejuniorum. Et remarque que les jeûnes d’indiction, de nécessité et d’institution se rapportent au même objet.

XII. Les jeûnes nécessaires, c’est-à-dire institués et ordonnés par l’Eglise, sont les jeûnes des quatre-temps, des vigiles des apôtres, de la Nativité du Seigneur, du bienheureux Jean-Baptiste, de tous les saints, de l’Assomption de la bienheureuse Marie, du bienheureux Laurent, du Carême et du vendredi des jours ouvrables, excepté ceux qui se trouvent entre Pâques et la Pentecôte, et si la Nativité du Seigneur vient coïncider avec ces jours, à moins toutefois que l’on ne soit lié par un vœu ou par la religion. Certains disent pourtant que le jeûne du vendredi n’est pas nécessaire, qu’il n’y a de nécessaire que l’abstinence de viande ; autrement il ne serait point permis aux moines de Cîteaux de le changer ; mais, selon le pape Léon, quoique l’abstinence de viande, le samedi, ne soit pas de nécessité, cependant cet usage est raisonnable. Le Canon d’Innocent donne une autre interprétation, assurant que, dans les trois jours qui suivirent la passion du Seigneur, toute la foi ne résida que dans la personne de la bienheureuse Vierge Marie. Les jeûnes généraux et particuliers, établis par les évêques dans les synodes et les conciles, doivent aussi être observés.

XIII. Sont astreints aux jeûnes nécessaires ceux qui ont atteint l’âge de discrétion et qui sont capables de dol. Ils doivent jeûner, puisqu’ils peuvent pécher. Cependant, peuvent en être dispensés ceux qui n’ont pas atteint l’âge de puberté, ceux même qui sont dans un âge plus avancé, et aussi les vieillards, les malades et les gens d’un faible tempérament. Les femmes, quoiqu’elles doivent s’abstenir de jeûnes votifs quand leur mari le leur défend, comme nous l’avons dit ci-dessus, ne peuvent pas, cependant, se dispenser des jeûnes prescrits par l’Église, quoique le prêtre puisse par occasion les en dispenser, pour éviter le scandale. Autrement, les jeûnes prescrits ne peuvent être rachetés ni par argent, ni d’aucune autre manière, à moins qu’il n’intervienne une nécessité accidentelle, auquel cas ils peuvent être rachetés ou changés, comme, par exemple, un jeûne de fête qui tombe le lundi et qui se pratique le samedi. Ainsi, dans certains pays ou il y a des églises sous l’invocation de saint Quentin, on ne jeûne pas la veille de la Toussaint, mais l’avant-veille. Nous avons parlé de cela dans la préface de la seconde partie. On pourrait encore permettre, comme le disent quelques-uns, de prendre par deux fois quelque nourriture dans les jeûnes précités, comme font les moines de Cîteaux, qui, pour éviter le scandale et conserver la charité, goûtent la moindre des choses, sans être censés pour cela rompre le jeûne prescrit par l’Église.

XIV. Les jeûnes volontaires sont ceux auxquels on s’oblige par vœu et de propos délibéré, ou même ceux que les prêtres imposent par pénitence en sus des jeûnes obligatoires ; on peut les échanger ou les racheter, même sans motif aucun, pourvu que la compensation soit plus utile que le jeûne.

XV. Au reste, manger avant l’heure du repas et avant la messe dans les jeûnes prescrits et d’obligation, d’après les saints canons, constitue un péché mortel, et véniel seulement si c’est un jeûne volontaire.

XVI. Touchant les vigiles des fêtes des apôtres, il faut remarquer que nous observons le jeûne a pari, quand les mérites des saints sont égaux, comme on peut le voir aux vigiles des fêtes des bienheureux Jacques et Barthélémy, et des autres apôtres qui n’ont pas de jeûnes d’institution, mais ou nous jeûnons cependant, parce qu’ils furent apôtres et parce que les autres apôtres ont des vigiles-jeûnes. Car, comme ils sont égaux en mérites, il convient que tous aient des vigiles-jeûnes ; d’où le Concile de Brague dit que les vigiles de tous les apôtres doivent être vigiles-jeûnes, excepté les vigiles des apôtres Philippe, Jacques et Jean l’évangéliste. Cependant l’Église gallicane ne célèbre la vigile que pour six apôtres et ne jeûne que quatre fois. Il n’y a qu’un seul jeûne pour saint Pierre et saint Paul, qui souffrirent le même jour. On en observe un autre pour saint Simon et saint Jude, un troisième pour saint Matthieu, un quatrième pour saint André. Nous devons jeûner à la vigile des fêtes de ces apôtres, afin que, de même qu’ils ont souffert pour le nom du Christ, nous souffrions aussi avec eux, si nous voulons régner avec eux. On n’a pas institué de vigiles-jeûnes pour les autres apôtres, à cause de quelques empêchements. Car la fête de saint Philippe et de saint Jacques se trouve entre Pâques et la Pentecôte, temps de joie et d’allégresse ; c’est pourquoi on n’y observe pas le jeûne. Si on nous objecte les jeûnes des Litanies ou des Rogations, nous répondrons que c’est par nécessité, comme on le dira en son lieu. Au reste, ce n’est pas un jeûne obligatoire, mais un jeûne volontaire. Si on nous objecte que quelques-uns, dans l’attente du Saint-Esprit, jeûnent depuis l’Ascension jusqu’à la Pentecôte, parce qu’on dit que les apôtres jeûnèrent en ce temps-là, nous répondrons :

XVII. Que nulle écriture authentique ne dit que les apôtres jeûnèrent en ce temps ; c’est pourquoi on ne doit pas jeûner alors, parce que ce temps appartient au temps pascal. Cependant, à la vigile de la Pentecôte, nous devons jeûner et avec raison, afin que, purifiés et épurés par le jeûne, nous méritions de recevoir dignement le Saint-Esprit. De même, Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean l’évangéliste, fut tué par Hérode pendant les azymes, et, pour cette raison, n’a pas de jeûne ; on ne célèbre même pas sa fête alors, comme on le dira dans la septième partie, à sa Fête. Pour ce qui est du bienheureux Barthélemy, dont la fête est célébrée le neuvième jour des calendes de septembre, on dit qu’il fut écorché vif et mourut le jour suivant ; et ainsi, s’il avait une vigile, il faudrait qu’elle fût célébrée l’avant-veille, ce qui serait contre la règle des jeûnes des autres festivités. Mais certains célèbrent la fête de son excoriation ; d’autres, et avec plus de raison, la fête de sa mort ; mais, comme on l’a dit dans le Concile de Brague, en cela chaque église doit conserver ses usages.

XVIII. On n’observe pas le jeûne pour saint Barnabé, parce qu’il n’est pas au nombre des douze apôtres ; et il n’est appelé apôtre que parce qu’il était compagnon de Paul et qu’il fut aussi envoyé pour prêcher l’Évangile ; de là ces paroles : Segregate mihi Barnabam et Paulum, « Choisissez-moi Barnabé et Paul. » Il n’y a pas non plus de jeûne établi pour le bienheureux Thomas, parce que sa fête se trouve dans l’Avent du Seigneur, qui est un jeûne continuel. Saint Matthias n’a pas non plus de jeûne d’institution, parce que sa fête arrive souvent dans le Carême, ou bien coïncide toujours avec la Septuagésime, temps de jeûne, ou bien encore parce qu’il ne fut pas au nombre des apôtres primitifs, mais élu après la passion du Seigneur et remplaça Judas par le choix des autres apôtres ; d’où le Prophète dit : « Un autre recevra son épiscopat. » Cependant on lit dans la Décrétale qu’il a une vigile-jeûne, ce que nous accordons, soit que cette fête se célèbre au premier jour bissextile, soit au second, comme nous le dirons dans la huitième partie, au chapitre de l’Année solaire. La fête de saint Jean l’évangéliste se trouve le troisième jour après la Nativité du Seigneur ; et alors on ne jeûne pas, tant à cause des fêtes qui coïncident avec ce jour que parce que saint Jean ne mourut pas ce jour-là. On ne jeûne même pas à la fête du bienheureux Jean-Baptiste.

XIX. Si, cependant, on pouvait le faire, il serait bon de jeûner à toutes les vigiles des apôtres.

XX. Le bienheureux Laurent, parmi les martyrs, et le bien-J heureux Martin, parmi les confesseurs, ont seuls une vigile-jeûne. Or, certains prétendent que l’on ne rompt pas le jeûne quoique l’on pèche en mangeant du fromage et des œufs pendant les jeûnes prescrits, si l’on en excepte le Carême. D’autres disent le contraire. Cependant, et pour cause, on pourrait faire cette concession dans certaines localités (iv dist. Deinde). Saint Grégoire parle ainsi touchant le jeûne du Carême : « Nous devons, pendant ces jours, nous abstenir des animaux et également de toute nourriture qui provient de la chair, comme le lait, » et, par conséquent, le fromage et les œufs. Certains hérétiques disent que les chrétiens ne devraient jamais se nourrir de chair, de fromage et d’œufs, parce que, disent-ils, on ne parle pas de ces mets dans le Nouveau-Testament. Bien plus, les apôtres jugèrent convenable de s’abstenir des viandes qu’on immolait aux idoles, du sang et de la chair des animaux suffoqués. Et l’apôtre saint Paul dit : « Si donc ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai plutôt jamais de chair toute ma vie. » Et ailleurs : « Il est bon de s’abstenir de chair et de vin, etc. » On ne lit point non plus, disent-ils, que le Christ ait donné à ses apôtres des aliments provenant d’êtres vivants, ni même qu’il leur ait permis d’en manger en sa présence, si l’on en excepte le poisson, ni même des productions de quelque animal, excepté le miel des abeilles. Il n’est pas permis d’user d’électuaires, à moins qu’on ne les prenne pas comme nourriture ordinaire. Il n’en est pas de même dans la médecine curative et préservative. Cependant, quand il n’y a aucune marque de nécessité pressante, il n’est pas permis de prendre l’électuaire. Cependant quelques-uns prétendent que le jeûne n’est rompu par aucun remède médicinal, ni par l’électuaire, ni par la boisson prise avant ou après le repas.

XXI. Car tel est l’usage établi dans les jeûnes de l’Église qui le tolère. Or, les sénéchaux ou tous autres serviteurs, ou ceux qui portent les mets, ne rompent point le jeûne en goûtant ces mets avant leurs maîtres, quand par hasard ils soupçonnent la présence du poison. Dans ce même cas, les moines qui servent les abbés, et les autres serviteurs peuvent aussi goûter avant les viandes. Il en est de même des médecins qui goûtent auparavant les médecines destinées aux malades. Dans le temps des jeûnes, on quitte les habits précieux pour revêtir des vêtements plus modestes, et on ne mange de viandes ni solides, ni liquides.

XXII. Mais, puisque les poissons sont de la chair, pourquoi en mange-t-on dans ce temps ? Voici la réponse : Dieu n’a pas maudit les eaux, puisque par l’eau devait avoir lieu la rémission des péchés dans le baptême. Car cet élément est le plus digne, puisqu’il lave les impuretés, et que l’esprit de Dieu, avant la création du monde, était porté sur les eaux ; mais il maudit la terre dans les œuvres des hommes ; c’est pourquoi toute chair qui se trouve sur la terre, tant de quadrupèdes que d’oiseaux, ne peut être mangée dans le jeûne ; et, bien que certains oiseaux vivent autour de la mer et dans les eaux, et que quelques-uns naissent dans les eaux ou même des eaux, cependant ils sont censés appartenir principalement à la terre dont ils tirent leur nourriture. En outre, connue certains poissons participent à la nature du quadrupède et du poisson, on peut dans les jeûnes manger la partie de la loutre qui participe de la nature du poisson, mais non pas l’autre. L’usage du poisson, selon saint Grégoire, a été laissé au chrétien comme un adoucissement dans son infirmité, et non pour engendrer l’incendie de la luxure. Enfin, celui qui veut faire abstinence de chair ne doit point préparer de somptueux festin, en prenant les poissons les plus beaux et les plus délicats de la mer. On doit aussi, dans le jeûne, user du vin de manière à éviter entièrement l’ivresse. C’est pourquoi, dans le Pénitentiaire romain, il a été décrété qu’on ne devrait user, et avec modération, dans le temps de la pénitence, que de très-petits poissons et de petite bière. Enfin, il faut remarquer, comme le dit saint Grégoire dans l’homélie de cet évangile : Homo quidam fecit cœnam magnam « Un homme riche fit un grand festin, » que, dans les jours de jeûne, la réfection du corps, quand on ne fait aucune autre préparation, n’est pas appelée prandium, mais cœna.