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produise pas de ballottage pendant le trajet. Cette opération terminée, on envoie les caisses au chemin de fer qui les transporte à Valence, et de là elles sont expédiées à Marseille par les bateaux à vapeur ; d’autres sont embarquées dans les petits ports du littoral.

Bien que le feuillage des orangers forme une voûte épaisse, à peu près impénétrable aux rayons du soleil, on ne laisse pas de cultiver dans les naranjales toutes sortes de légumes, et même des céréales comme le blé, l’avoine et le maïs, qui croissent parfaitement à l’ombre sous cet admirable climat.

Chaque jardin est ordinairement accompagné d’une petite casa de recreo, simplement meublée, qui sert au propriétaire pour les déjeuners ou les rendez-vous de campagne. Une particularité qui nous frappa, c’est que les pourceaux, lorsqu’on les laisse pénétrer au milieu des naranjales, ne se montrent nullement friands des oranges, qui se trouvent presque toujours sous les arbres en assez grande abondance. Un pareil dédain nous étonna beaucoup de la part de ces animaux, qui ne passent pourtant pas pour être des plus difficiles sous le rapport de la nourriture ; on aurait bien pu leur confier en toute sécurité la garde des pommes d’or du jardin des Hespérides.

La côte de la Méditerranée, entre Valence et Alicante, se trouvant tout à fait en dehors des itinéraires consacrés, n’est que très-peu connue ; cependant elle mériterait d’être plus souvent visitée par les touristes : les montagnes boisées, les vallées à la végétation presque tropicale des environs de Gandia, de Denia et de Javea n’ont rien à envier à Castellamare, à Amalfi, à Sorrente, et aux autres sites si vantés de la côte napolitaine.

C’est par la huerta de Gandia que nous commençâmes notre excursion dans cet Éden des poëtes espagnols, dans ce paradis terrestre des Arabes d’Occident. Beaucoup moins étendue que celle de Valence, cette huerta offre peut-être une végétation encore plus luxuriante, et le climat y est, dit-on, plus tempéré. Cette contrée était renommée pour la culture de la canne à sucre dès le temps des rois arabes de Valence, et il y existait alors beaucoup de moulins à sucre. Aujourd’hui même on y voit encore quelques champs où sont cultivées les cañas de azucar, qui acquièrent sous ce beau climat tout leur développement et une complète maturité. Les orangers, les figuiers, les grenadiers et une infinité d’autres arbres à fruit y forment d’épais ombrages ; les caroubiers, très-nombreux dans le pays, sont cultivés principalement sur les coteaux, et dépassent quelquefois la grosseur des plus gros chênes : leur feuillage, d’un beau vert foncé, contraste d’une manière très-heureuse avec la teinte grisâtre et un peu triste de celui des oliviers.

Mais une plante qu’on remarque souvent dans les environs de Gandia, où elle atteint des proportions extraordinaires, c’est l’aloès ou agave d’Amérique, qu’on retrouve du reste dans tout le sud de la Péninsule. Ici la pita, ainsi que l’appellent les Espagnols, ne sert pas seulement, comme partout ailleurs, pour la clôture des champs, dont ses feuilles acérées interdisent l’entrée aux bestiaux, mieux que ne le ferait la meilleure barrière ; cette plante se multipliant d’une manière vraiment prodigieuse, surtout dans les terrains secs, les habitants utilisent les feuilles pour en extraire les filaments très-tenaces qu’elles contiennent. On les coupe très-près de la racine, en ayant soin de choisir celles du dehors, qui deviennent très-dures ; car celles de l’intérieur sont trop tendres pour qu’on puisse les employer.

Nous fûmes témoins de cette préparation, qui est des plus simples, et dont Doré put à son aise faire un croquis, au grand étonnement des braves paysans, qui ne pouvaient comprendre que nous prissions tant d’intérêt à leur travail (p. 368). Ils commencent d’abord par écraser les feuilles sur une pierre ; ensuite ils en réunissent quelques-unes en un faisceau, qu’ils lient au moyen d’une ficelle. L’ouvrier a devant lui une espèce de table de forme allongée, disposée comme un plan incliné : à la partie supérieure se trouve un crochet de fer auquel il accroche le paquet de feuilles ; il commence ensuite, à l’aide d’une barre de fer, à les presser avec force, pour séparer la partie filamenteuse de la partie charnue. Cette pression renouvelée plusieurs fois, il lave les fibres et plusieurs reprises pour les débarrasser de tous les corps étrangers ; il n’a plus ensuite qu’à les faire sécher au soleil.

Le fil d’aloès est employé a des usages très-variés ; on en fait surtout des cordes qui servent au harnachement des chevaux ; on les emploie également pour les alpargatas ou espardines, espèces de sandales tressées que portent les paysans.

Les feuilles d’aloès, coupées en petits morceaux, servent encore à la nourriture des bœufs ; elles atteignent quelquefois près de deux mètres de longueur, et l’espèce de hampe ou de tige élancée qui s’élève au milieu de la plante et qui se termine par une large pyramide de fleurs jaunes, arrive souvent jusqu’à quatre ou cinq mètres de haut. Les tiges transversales, qui supportent les fleurs, sont disposées d’une manière très-élégante, comme les branches d’un lustre, et rappellent assez exactement l’aspect du fameux chandelier à sept branches du temple de Jérusalem qu’on voit sur un bas-relief de l’arc de triomphe de Titus, à Rome.

La petite ville de Gandia était autrefois la capitale d’un duché qui fut donné aux Borgia, en 1485, par Ferdinand le Catholique. On sait que cette célèbre famille, qui compta parmi ses membres deux papes et un saint, était d’origine espagnole ; elle doit son nom à la petite ville de Borja, en Aragon, et s’appelait ainsi avant de s’être fixée en Italie.

L’ancien palais des ducs est le seul monument remarquable que renferme Gandia : c’est une vaste construction, qui n’a conservé d’autres traces de sa splendeur passée que des restes de dorures et quelques azulejos ou carreaux de revêtement en faïence, peints à Manises, près Valence, et représentant des fleurs et des oiseaux. Grace à la générosité du duc actuel de Gandia, vingt—cinq familles sont logées gratuitement dans ce palais.

De Gandia à Denia, la distance est très-courte, et