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jours pendant la belle saison, c’est-à-dire depuis la fin de février jusqu’à la fin de novembre. Ces arrosages, qui se font au moyen de canaux d’irrigation et d’un très-grand nombre de norias, ne sont pas pratiqués pendant l’hiver, à moins qu’il n’y ait, pendant cette saison, des sécheresses exceptionnelles. Une grande abondance d’engrais est également indispensable à la terre, qui doit être fumée au moins trois fois par an. Les vents trop forts sont redoutés des cultivateurs, et, pour abriter les orangers trop exposés, ils élèvent des remparts au moyen de cyprès plantés très-drus, ou de ces grands roseaux si communs en Espagne, qu’on appelle cañas. Du reste les propriétaires du pays savent parfaitement par expérience que les arbres ne rendent qu’en proportion des soins qu’on leur donne.

Les orangers cultivés en plein air dans le royaume de Valence sont de deux espèces différentes : ceux qu’on obtient en semant les pepins, et qu’on appelle naranjos de semilla ; puis les naranjos enjertados, c’est-à-dire greffés. On assure que ces derniers produisent des fruits beaucoup plus savoureux ; mais qu’ils vivent beaucoup moins longtemps, et qu’ils n’atteignent pas une hauteur égale à celle des naranjos de semilla. Ceux-ci s’élèvent quelquefois jusqu’à vingt-cinq pieds et durent, dit-on, jusqu’à une centaine d’années, et quelquefois même bien davantage. Du reste, les orangers qu’on cultive chez nous, dans les serres tempérées, peuvent dépasser cet âge. Je citerai comme exemple celui de Versailles, connu sous le nom d’oranger de François Ier, ou du Grand-Connétable, qu’on dit avoir été semé à Pampelune en 1421, puis acheté par le connétable de Bourbon, et transporté successivement à Chantilly, à Fontainebleau et à Versailles.

On prend comme boutures, pour les orangers qu’on destine à être greffes, des tiges de citronnier ou de poncire, parce qu’elles prennent très-facilement. On les greffe en écusson, depuis le mois d’avril jusqu’au mois de juin, quand les sujets ont atteint à peu près la grosseur du pouce. Les orangers qu’on obtient par ce moyen ne vivent guère au delà d’une trentaine d’années, mais en revanche ils sont un peu plus précoces que les autres.

Il est rare que les orangers commencent à donner des fruits avant l’âge de cinq ans ; quand ils sont arrivés à la période de leur plein rapport, ils donnent tous les ans jusqu’à deux mille oranges ; un naturaliste espagnol, qui a publié un très-beau livre sur l’histoire naturelle du royaume de Valence, Cavanilles, assure même qu’on en a compté jusqu’à cinq mille sur un seul arbre. Ordinairement les fruits acquièrent d’autant plus de grosseur que l’arbre est plus jeune, et en produit moins. Ceux qu’on cueille sur des orangers déjà vieux ont, en général, la peau beaucoup plus mince, et donnent un jus plus sucré.

Les oranges ne commencent guère à prendre leur belle couleur jaune avant le mois de novembre ; cependant, il s’en faut bien qu’alors elles soient arrivées à leur maturité. Celles qu’on nous envoie, et dont il se consomme une si grande quantité en France au mois de janvier, ne supportent le transport que parce qu’elles ne sont pas encore mûres, autrement elles arriveraient eu grande partie gâtées.

Pour manger des oranges véritablement savoureuses, il faut les cueillir soi-même sur l’arbre au printemps, et surtout au mois de mai. Les gourmets savent choisir, comme les meilleures, celles dont l’écorce présente, vers le point opposé à la queue, un petit cercle d’un jaune pale, d’où suinte une espèce de suc légèrement visqueux : c’est un signe certain pour reconnaître que le fruit est arrivé à une parfaite maturité.

C’est principalement pendant les mois d’avril et de mai, qu’il faut visiter les beaux naranjales de Carcagente et d’Alcira. Alors les orangers, qui conservent encore une partie de leurs fruits, sont en même temps couverts de ces fleurs auxquelles un poëte florentin du seizième siècle, Luigi Alamanni, donne la palme sur toutes les autres fleurs, dans le poëme de la Coltivatione, qu’il dédia au roi François Ier :

Il fior d’Arancio, che d’ogni fiore e il re.


On ne peut se faire une idée de l’intensité du parfum que répandent les orangers ; c’est surtout pendant les soirées tièdes qu’il se fait sentir avec le plus de force, et à des distances vraiment incroyables ; suivant un proverbe connu dans le pays, on sent leur odeur bien avant que l’œil puisse les apercevoir. Les fleurs sont tellement abondantes que lorsqu’un vent un peu fort les a fait tomber, elles couvrent la terre d’une épaisse couche blanche, semblable à de la neige. On les recueille sur de grands draps de toile, et elles représentent encore un produit assez important, car chaque oranger fournit en moyenne douze ou quinze kilogrammes de fleurs.

La culture des orangers constitue donc la principale occupation des habitants, et elle est pour le pays une véritable source de prospérité. Un des plus riches propriétaires de Carcagente, nous assurait qu’il existe, tant sur le territoire de cette ville que sur celui d’Alcira, plus de six cents naranjales ou jardins d’orangers, et que le produit des années ordinaires s’élève à plus de deux cent cinquante mille arrobas, qui représentent environ trois millions cent vingt-cinq mille kilogrammes. Or, comme il faut en moyenne six ou sept fruits pour former un kilogramme, ces deux villes réunies produisent annuellement plus de vingt millions d’oranges, ce qui fait un total des plus appétissants.

Les oranges une fois cueillies, il s’agit de les classer suivant leur grosseur : on se sert pour les mesurer, d’anneaux de différents calibres, et on les range dans tel ou tel choix, suivant le diamètre des anneaux à travers lesquels elles peuvent passer. Ce classement opéré, on les met dans des caisses de bois blanc de forme allongée, en ayant soin qu’elles dépassent un peu la surface, de manière qu’elles bombent légèrement au milieu ; ensuite on ajoute le couvercle, et pendant qu’un ouvrier est occupé à le clouer, un autre se tient debout sur la caisse, afin que les oranges, fortement comprimées, soient tassées autant que possible, et qu’il ne se