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« Jamais, en dépit de la poésie, toutes les fictions de l’incendie de Troie n’égalèrent la réalité de celui de Moscou. La ville était de bois, le vent était violent ; toutes les pompes avaient été enlevées. C’était littéralement un océan de feu. Rien n’en avait été soustrait, tant notre marche avait été rapide et notre entrée soudaine. Nous trouvâmes jusqu’à des diamants sur la toilette des femmes, tant elles avaient fui avec précipitation. Elles nous écrivirent à quelque temps de là qu’elles avaient cherché à échapper aux premiers moments d’une soldatesque dangereuse ; qu’elles recommandaient leurs biens à la loyauté des vainqueurs, et ne manqueraient pas de reparaître sous peu de jours pour solliciter leurs bienfaits et leur apporter leur reconnaissance.
« Jamais, en dépit de la poésie, toutes les fictions de l’incendie de Troie n’égalèrent la réalité de celui de Moscou. La ville était de bois, le vent était violent ; toutes les pompes avaient été enlevées. C’était littéralement un océan de feu. Rien n’en avait été soustrait, tant notre marche avait été rapide et notre entrée soudaine. Nous trouvâmes jusqu’à des diamants sur la toilette des femmes, tant elles avaient fui avec précipitation. Elles nous écrivirent à quelque temps de là qu’elles avaient cherché à échapper aux premiers moments d’une soldatesque dangereuse ; qu’elles recommandaient leurs biens à la loyauté des vainqueurs, et ne manqueraient pas de reparaître sous peu de jours pour solliciter leurs bienfaits et leur apporter leur reconnaissance.


La population, observait l’Empereur, était loin d’avoir comploté cet attentat. C’est même elle qui nous livra les trois ou quatre cents malfaiteurs échappés des prisons qui l’avaient exécuté. – Mais, ai-je osé demander, Sire, si Moscou n’eût pas été livré aux flammes, Votre Majesté comptait-elle y prendre ses quartiers ? – Sans doute, a répondu l’Empereur, et j’aurais alors donné le spectacle singulier d’une armée hivernant paisiblement au milieu d’une nation ennemie qui la presse de toutes parts : c’eût été le vaisseau pris par les glaces. Vous vous seriez trouvé en France privés plusieurs mois de mes nouvelles ; mais vous fussiez demeurés tranquilles, vous eussiez été sages ; Cambacérès, comme de coutume, eût mené les affaires en mon nom, et tout eût été son train comme si j’eusse été présent. L’hiver, en Russie, eût pesé sur tout le monde ; l’engourdissement eût été général. Le printemps fût revenu aussi pour tout le monde. Chacun se fût réveillé à la fois, et l’on sait que les Français sont aussi lestes qu’aucuns.
« La population, observait l’Empereur, était loin d’avoir comploté cet attentat. C’est même elle qui nous livra les trois ou quatre cents malfaiteurs échappés des prisons qui l’avaient exécuté. – Mais, ai-je osé demander, Sire, si Moscou n’eût pas été livré aux flammes, Votre Majesté comptait-elle y prendre ses quartiers ? – Sans doute, a répondu l’Empereur, et j’aurais alors donné le spectacle singulier d’une armée hivernant paisiblement au milieu d’une nation ennemie qui la presse de toutes parts : c’eût été le vaisseau pris par les glaces. Vous vous seriez trouvé en France privés plusieurs mois de mes nouvelles ; mais vous fussiez demeurés tranquilles, vous eussiez été sages ; Cambacérès, comme de coutume, eût mené les affaires en mon nom, et tout eût été son train comme si j’eusse été présent. L’hiver, en Russie, eût pesé sur tout le monde ; l’engourdissement eût été général. Le printemps fût revenu aussi pour tout le monde. Chacun se fût réveillé à la fois, et l’on sait que les Français sont aussi lestes qu’aucuns.


Au premier retour de la belle saison, j’eusse donc marché aux ennemis ; je les eusse battus ; j’eusse été maître de leur empire. Mais Alexandre, croyez-le bien, ne m’eût pas amené jusque-là. Il eût passé avant par toutes les conditions que j’eusse dictées ; et alors la France
« Au premier retour de la belle saison, j’eusse donc marché aux ennemis ; je les eusse battus ; j’eusse été maître de leur empire. Mais Alexandre, croyez-le bien, ne m’eût pas amené jusque-là. Il eût passé avant par toutes les conditions que j’eusse dictées ; et alors la France