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surveillaient les vitrines et les tables. Luxe fiévreux qui contrastait si vivement avec la simplicité de ses noces célébrées, vingt-sept années plus tôt, dans la modeste chapelle d’un village ! Elle ne voyait que la tristesse de ce grand appartement, où, désormais, elle se trouvait seule !

Toute seule ! On ne pouvait pas, en effet, être plus seule qu’elle. Son mari était mort, après une courte union sans nuages, lui laissant deux enfants, une fille, l’aînée, et un garçon. Le garçon, esprit aventureux, l’avait quittée très tôt. d’abord collégien que les Pères instruisaient dans un établissement célèbre de Province, puis jeune élève de Saint-Cyr, puis enthousiaste officier que l’Afrique attirait. Il lui restait sa fille : de quel amour l’avait-elle entourée, confondue pourtant de la découvrir parfois si différente d’elle-même, mais si heureuse de regarder son corps grandir et son caractère se former, si heureuse d’entendre sa voix et son rire, si heureuse de cette compagne chaque année plus intime sur laquelle s’appuyer !

Maintenant, il ne lui restait plus rien, et la vieillesse était là…, la vieillesse franchement acceptée, car Mme  Desaulmin n’appartenait pas à celles qui s’épuisent à combattre les ravages du temps. Elle avait dépassé la cinquantaine et, bien qu’à Paris la plupart des femmes se glorifient, à cet âge, de si beaux cheveux noirs ou blonds, elle gardait, elle, ses cheveux blancs, et même elle les gardait avec fierté. Partagés en deux bandeaux, ils descendaient, couleur de vieil argent, au bord du front, glissaient derrière l’oreille et se nouaient en un chignon bas, au-dessus de la nuque. Ils encadraient un visage très doux, d’un ovale très pur, demeuré très jeune, à cause des yeux limpides, de la bouche tendre, des dents éclatantes, mais ils révélaient, sans hypocrisie, comme sans amertume, les lustres révolus. Une glace refléta son image : quelle bonne grand’mère elle ferait, — sans doute pas trop ridée, pas trop