« Chronique 2 (Maupassant) » : différence entre les versions

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{{Chroniques de Maupassant|journal=Le Gaulois|date=14 juin 1882}}
 
 
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Dès qu’on a passé Saïda, on s’engage dans la montagne, une montagne de pierre rouge, calcinée, toujours brûlante ; puis on retrouve des plaines nues, interminables, puis une espèce de solitude où poussent, de cinquante mètres en cinquante mètres, des touffes de genévriers. On appelle cela la forêt des Hassassenas ; puis enfin on rencontre l’alfa, sorte de petit jonc qui couvre des espaces infinis et qui fait songer à la mer. Toute maison est inconnue en ces contrées mornes ; seule la tente brune et basse des Arabes s’accroche au sol, comme un étrange champignon.
 
Dans ces océans d’alfa vivait une vraie nation, des hordes d’hommes
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/3]]==
plus sauvages et plus farouches que les Arabes : les alfatiers espagnols. Isolés ainsi, loin du monde, réunis par bandes avec leurs femmes et leurs enfants, perdus en dehors de toute loi, ils ont fait, dit-on, ce que faisaient leurs ancêtres sur les terres nouvelles : ils ont été violents, sanguinaires, terribles, avec leurs voisins les Arabes.
 
Or, l’Arabe supporte tout, jusqu’au moment où il tue.
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Une semaine avant mon arrivée, on avait retrouvé encore une grande fille de dix-huit ans, d’une incomparable beauté, violée, lardée de coups de couteau et qui cependant courait vers le convoi, aussi dévêtue qu’on peut l’être.
 
Ces choses sont horribles, mais reste à savoir
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/4]]==
qui avait commencé. On dit là-bas communément qu’on aimerait mieux tomber au milieu de cavaliers dissidents qu’au milieu d’un groupe d’alfatiers.
 
Quels sont ces aventuriers qui vont cueillir l’alfa dans ces tristes pays ? Quelle fut leur vie auparavant ; quels sont, comme on dit, leurs antécédents ?
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Mais tout le fond du ravin n’est qu’un bois de lauriers-roses, un grand tapis de feuilles et de fleurs.
 
J’y descendis, non sans peine. Une mince rivière coulait sous les merveilleux
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/5]]==
arbustes, une rivière sautant les pierres, écumante, tortueuse. J’y trempai ma main : l’eau était chaude, presque brûlante.
 
Sur les bords, de gros crabes, des centaines de crabes fuyaient devant moi ; une longue couleuvre parfois glissait dans l’eau, et des lézards énormes s’enfonçaient dans les taillis.
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Devant moi, une femme marchait, une vieille femme courbée, qui s’abritait du soleil sous un antique parapluie.
 
Il est bien rare, en ces contrées, de voir une femme, hormis les grandes négresses luisantes, chamarrées d’étoffes jaunes ou bleues. Je rejoignis la femme. Elle était ridée, soufflait, semblait exténuée et désespérée, avec une face sévère et triste. Elle allait à petits pas, sous la chaleur accablante. Je lui parlai, et soudain sa colère indignée éclata. C’était une Alsacienne qu’on avait envoyée en ces pays désolés avec ses quatre fils, après la guerre. Trois de ses enfants étaient morts en ce climat meurtrier ; il en restait un, malade aussi maintenant ; et leurs terres ne rapportaient rien, bien que grandes, car elles n’avaient pas une goutte
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/6]]==
d’eau. Elle répétait, la vieille : « Il n’y vient pas un chou, monsieur, pas un chou ! » s’obstinant à cette idée de chou. Ce légume, évidemment, représentait pour elle le bonheur terrestre. Et quand elle m’eut dit toute sa peine, elle s’assit sur une pierre, et pleura.
 
Et je n’ai rien vu de plus navrant que cette bonne femme d’Alsace perdue sur ce sol de feu où il ne pousse pas un chou.
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Quel enseignement pour les romanciers que ce fameux drame du Pecq ?
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/7]]==
 
Quand on a retrouvé ce cadavre roulé dans un tuyau de plomb, les lèvres fermées par une épingle de femme tous les membres liés, tortionné comme s’il avait passé par les mains des inquisiteurs, chacun eut une secousse de stupéfaction et d’horreur. Et.les imaginations s’exaltèrent ; on parlait d’une vengeance d’époux outragé, et l’horrible scène était devinée ; chacun aurait pu la raconter, tant elle semblait logique, commençant par les imprécations et finissant par l’exécution.
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Le misérable, attiré dans le piège, entrait en la chambre où le mari vengeur l’attendait.
 
Un dialogue ironique de la part de l’époux commençait, comme on en entend au théâtre, un dialogue à faire se pâmer la salle. Puis venaient les reproches, les menaces, la colère, la lutte. L’amant terrassé râlait, et l’autre, à genoux sur lui, vibrant d’une rage frénétique, le mutilait, criant : « Ah ! ta bouche
==[[Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 14 juin 1882.djvu/8]]==
m’a trompé, monstre ! elle a balbutié des paroles d’amour dans l’oreille de celle que j’aime, de celle que la loi et l’Église m’ont donnée pour compagne ; elle a jeté ses baisers brûlants sur les lèvres qui m’appartenaient : eh bien, je la fermerai, cette bouche, avec une épingle de son corsage, une de ces épingles que tu aimais tant à défaire. Et dans tes yeux qui l’ont admirée, j’en enfoncerai deux autres, et je lierai avec du plomb tes mains infâmes qui l’ont caressée !… »
 
Et on voyait cette bouche sanglante cherchant encore à s’ouvrir, clouée par la longue pointe d’acier fin.
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Pas de grands mots, pas de sentiments exaltés. Toutes les affreuses mutilations ne sont que de petites précautions pratiques, des précautions de ménagère.
 
Le frère dit : « Mais l’eau va lui entrer dans
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la bouche, et ça le fera flotter. » L’idée est singulière, mais le mari la trouve juste. Comment fermer cette bouche ? Soudain une inspiration les frappe. On la percera d’une épingle. « Donne une épingle ! » dit l’époux à sa femme, comme s’il voulait rattacher sa cravate. Elle en retire une de sa gorge et la tend avec douceur.
 
Le tuyau de plomb n’est qu’une innovation pratique. Il joue le rôle de la pierre qui retient le corps au fond et celui de la corde qui l’enlace. Avis aux imitateurs. Rien de dramatique ni d’élevé, tout est simple et commun.