« Souvenirs d’une actrice » : différence entre les versions

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Le talent de madame Saint-Huberty était bien extraordinaire, puisqu'à l'âge que j'avais alors, j'en avais été frappée au point d'imiter parfaitement sa manière de dire le chant. On s'amusait souvent à me faire placer derrière un paravent pour compléter l'illusion. Elle prononçait d'une façon qui paraîtrait exagérée, aujourd'hui que si peu de chanteurs font entendre les paroles ; mais comme elle le disait elle-même, il le fallait pour se faire comprendre dans cet immense vaisseau, où la voix doit porter dans toutes les parties de la salle. Cela donnait d'ailleurs une grande énergie à son jeu, surtout dans ces phrases jetées, dans ces inspirations semblables au : "''Qu'en dis-tu ?''" de Talma. L'expression de sa physionomie était admirable. Elle se faisait applaudir sans parler, dans ''Alceste'', lorsqu'elle écoutait la voix qui lui dit :
 
<poem>Le roi doit mourir aujourd'hui<br />Si quelqu'autre à la mort ne se livre pour lui.</poem>
 
Elle se faisait applaudir de même dans ''Didon'', par la manière dont elle regardait Énée avant de lui adresser ces vers :
 
<poem>Oh! que je fus bien inspirée<br />Quand je vous reçus dans ma cour !</poem>
 
Son air d'ironie lorsque Yarbe l'avertit qu'Énée est près de l'abandonner, et qu'elle lui répond: Énée ! son regard, son sourire disaient tout et amenaient naturellement:
 
<poem>
Allez, Yarbe, allez, vous connaîtrez Énée :<br />Vous verrez si Didon se voit abandonnée.<br />Aujourd'hui de l'hymen on prépare les feux.<br />On allume pour nous les flambeaux d'hyménée;<br />Jugez s'il se prépare à s'éloigner de moi !
 
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Ariane abandonnée était aussi un des rôles où elle excellait ; et, dans Colette du ''Devin de village'', c'était la petite fille des champs. Elle ne faisait pas de grands bras pour exprimer sa douleur, elle ne venait pas se poser devant le public pour la lui raconter, elle pleurait en chantant :
 
<poem>Si des galants de la ville<br />J'eusse écouté les discours.</poem>
 
On ne se serait jamais imaginé que ce fut cette même femme si imposante dans la reine de Carthage, et si déchirante dans Ariane. Son chant, lorsqu'il était dialogué, ne semblait pas être noté. Elle était parfaite musicienne et se retrouvait toujours avec la mesure, malgré ses licences, lorsqu'elle lançait une phrase d'effet.
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Ce fut à cette époque que madame Saint-Huberty me présenta chez madame Lemoine-Dubarry, qui réunissait l'élite des célébrités musicales. Parmi tous ceux que je rencontrai chez elle, je ne remarquai alors que le comte de Tilly, Gluck, Rivarol, Grétry, le prince de Ligne et ce malheureux M. de Cussé, député peu d'années après, qui a péri sur l'échafaud; il était excellent musicien et faisait de très jolis vers. Un jour il eut la malice de m'en faire chanter avant de me les offrir; comme ces vers, dont il avait fait la musique, sont inédits, et valent la peine d'être conservés, les voici:
 
<poem>
Vous retracez tous les appas<br />De cette nymphe agile,<br />Dont Apollon suivait les pas<br />Sans la rendre docile ;<br />Vous avez les traits aussi doux<br />Et la taille aussi belle,<br />Mais qu'il faudrait nous plaindre tous,<br />Si vous couriez comme elle !...
 
De la même légèreté,<br />Dussiez-vous être sûre,<br />Que le prix m'en soit présenté,<br />Je tente l'aventure.<br />L'amour me rendra plus léger;<br />J'en attends la victoire;<br />Et si vous devenez laurier,<br />Je revole à la gloire.
 
Ah ! n'empruntez pas le secours<br />Des antiques prestiges !<br />Croyez-moi, n'ayez point recours<br />À de pareils prodiges.<br />Connaissez mieux tout le danger<br />D'une métamorphose :<br />Vous ne pouvez jamais changer<br />Sans perdre quelque chose.
</poem>
 
<br />
Comme il y avait déjà une crainte vague dans tous les esprits, mon père qui s'était remarié ne voulut pas me laisser à Paris. Ma tante me ramena à Toulouse où elle allait donner des représentations. Elle me fit jouer quelques petits rôles dans des pièces qui furent montées à cet effet, telles que la Nymphe des eaux dans ''Armide'', l'Amour dans ''Orphée'' et la soeur de Didon. Cela me rappelle un incident assez burlesque.