« Opinion publique » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
marqué pour match
Phe-bot (discussion | contributions)
m Ernest-Mtl: match
Ligne 11 :
<br />''[[Le Gaulois]]'', 21 mars 1881 }}
 
 
==__MATCH__:[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/2]]==
 
{{T3|Opinion publique}}
Ligne 25 ⟶ 26 :
« Quoi de neuf ce matin ? demanda M. Bonnenfant.
 
— Ma foi, rien du tout, répondit M. Piston ;
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/3]]==
les journaux sont toujours pleins de détails sur la Russie et sur l’assassinat du Tzar. »
 
Le commis d’ordre, M. Perdrix, releva la tête, et il articula d’un ton convaincu :
Ligne 45 ⟶ 48 :
Alors M. Bonnenfant s’interposa :
 
« Expliquez-moi donc, monsieur Rade, pourquoi on s’attaque toujours aux bons plutôt qu’aux mauvais. Henri IV, le Grand, fut assassiné ; Louis XV mourut dans son lit. Notre roi Louis-Philippe fut toute sa vie la cible des meurtriers, et on prétend que le tzar Alexandre était un homme bienveillant. N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui a émancipé les serfs ? »
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/4]]==
a émancipé les serfs ? »
 
M. Rade haussa les épaules.
Ligne 65 ⟶ 70 :
M. Rade lui remémora les faits.
 
« Voyons, papa Grappe, vous ne vous rappelez pas qu’un employé, un garçon, qui fut acquitté d’ailleurs, voulut un jour aller acheter des coquillages pour son déjeuner ? Le chef le lui défendit ; l’employé insista ; le chef lui ordonna de se taire et de ne point sortir ; l’employé se révolta, prit son chapeau ; le chef se précipita sur lui, et l’employé, en se débattant, enfonça dans la poitrine de son supérieur les ciseaux réglementaires. Une vraie fin de bureaucrate, quoi !
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/5]]==
quoi !
 
— Il y aurait à dire, articula M. Bonnenfant. L’autorité a des limites ; un chef n’a pas le droit de réglementer mon déjeuner et de régner sur mon appétit. Mon travail lui appartient, mais non mon estomac. Le cas est regrettable, c’est vrai ; mais il y aurait à dire. »
Ligne 75 ⟶ 82 :
M. Bonnenfant se fâchait aussi. M. Rade les apaisa :
 
« Voilà ce que j’attendais, dit-il. Un mot de plus, et Bonnenfant enfonçait son couteau à papier dans le ventre de Piston. Pour les rois, c’est la même chose. Les
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/6]]==
princes ont une manière de comprendre l’autorité qui n’est pas celle des peuples. C’est toujours la question des coquillages. « Je veux manger des coquillages, moi ! — Tu n’en mangeras pas ! — Si ! — Non ! — Si ! — Non ! » Et cela suffit parfois pour amener la mort d’un homme ou la mort d’un roi. »
 
Mais M. Perdrix revint à son idée :
Ligne 94 ⟶ 103 :
 
Mais M. Rade secouait la tête.
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/7]]==
 
« Vous croyez ? Ah ! vous croyez ! Eh bien vous vous trompez, Monsieur ; on ne changera rien. En France on ne change pas les systèmes. Le système américain consiste à avoir de l’eau, beaucoup d’eau, des fleuves ; fi ! donc, la belle malice d’arrêter les incendies avec l’Océan sous la main. En France, au contraire, tout est laissé à l’initiative, à l’intelligence, à l’invention ; pas d’eau, pas de pompes, rien, rien que des pompiers, et le système français consiste à griller les pompiers. Ces pauvres diables, des héros, éteignent les incendies à coups de hache ! Quelle supériorité sur l’Amérique, songez donc !… Puis, quand on en a laissé rôtir quelques-uns, le conseil municipal parle, le colonel parle, les députés parlent ; on discute les deux systèmes : celui de l’eau et celui de l’initiative ! Et un dignitaire quelconque prononce sur le tombeau des victimes :
Ligne 104 ⟶ 114 :
 
« Voilà, Monsieur, comme on agit en France. »
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/8]]==
 
Mais le père Grappe, qui oubliait les conversations à mesure qu’elles avaient lieu, demanda :
Ligne 124 ⟶ 135 :
 
« Maintenant qu’on peut en parler froidement (sans jeu de mots), nous avons le droit, je pense, de contester un peu l’éloquence du directeur de cet établissement. Homme de cœur, dit-on, je n’en doute pas ; commerçant habile, c’est évident, mais orateur, je le nie.
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/9]]==
 
— Pourquoi ça ? demanda M. Perdrix.
Ligne 131 ⟶ 143 :
Heureusement que j’ai des amis. Il y en a un qui m’a prêté dix centimes pour acheter un cigare (dans des cas pareils on ne fume pas des londrès) ; un autre a mis à ma disposition un franc soixante-quinze pour prendre un fiacre ; un troisième, plus riche, m’a avancé vingt-cinq francs pour me procurer une jaquette à la Belle Jardinière.
 
« Oui, moi, directeur du Printemps, j’ai été à la Belle Jardinière ! J’ai obtenu quinze centimes d’un autre pour autre chose ; et comme je n’avais plus même de parapluie, j’ai acheté un en-tout-cas en alpaga de cinq francs vingt-cinq, au moyen d’un cinquième emprunt. Puis, mon
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/10]]==
chapeau lui-même étant brûlé, et comme je ne voulais pas emprunter davantage, j’ai ramassé le casque d’un pompier… tenez le voilà ! Suivez mon exemple, si vous avez des amis, adressez-vous à leur obligeance… Quant à moi, vous le voyez, mes pauvres enfants, je suis endetté jusqu’au cou !
 
« Or un de ses employés n’aurait-il pas pu lui répondre :
 
« — Qu’est-ce que ça prouve, patron ? Trois choses : 1° que vous n’aviez pas d’argent en poche. Il m’en arrive autant quand j’ai oublie mon porte-monnaie ; mais cela ne prouve pas que vous n’ayez point de propriétés, d’hôtels, ni de valeurs, ni d’assurances ; 2° cela prouve encore que vous avez du crédit auprès de vos amis : tant mieux, usez-en ; 3° cela prouve enfin que vous êtes très malheureux. Eh ! parbleu, nous le savons et nous vous en plaignons de tout notre cœur.
==[[Page:Maupassant - Opinion publique, paru dans Le Gaulois, 21 mars 1881.djvu/11]]==
Mais ce n’est pas cela qui améliore notre situation. Vous nous la baillez belle, en vérité, avec votre équipement à la boutique à treize. »
 
Cette fois, tout le monde dans le bureau fut d’accord. M. Bonnenfant ajouta, d’un air farceur :
Ligne 143 ⟶ 159 :
M. Rade continua :
 
« Je n’ai pas confiance dans ces dortoirs de vestales qui ont failli être rôties, d’ailleurs (comme les chevaux de la Compagnie des omnibus dans leurs écuries, l’an dernier). Tant qu’à enfermer quelque chose, ce sont les lampistes qu’on aurait bien fait de mettre sous clef ; mais les pauvres filles de la lingerie, fi donc ! Un directeur, que diable ! ne peut pas être responsable de tous les capitaux reposant sous son toit. Il est vrai que ceux des commis ont flambé dans la caisse : puissent au moins ceux des demoiselles être saufs ! Ce que j’admire, par exemple, c’estc’
=== no match ===
est le cor pour appeler les employés. Oh ! Messieurs, quel cinquième acte ! Vous figurez-vous ces grandes galeries pleines de fumée, avec des éclairs de flamme, le tumulte de la fuite, l’affolement de tous, tandis que, debout dans le rond-point central, en savates et en caleçon, sonne à pleins poumons un Hernani moderne, un Roland de la nouveauté ! »
 
Alors M. Perdrix, le commis d’ordre, prononça tout à coup :