« On ne badine pas avec l’amour (1884) » : différence entre les versions

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PERDICAN, son fils.
 
MAITREMAÎTRE BLAZIUS, gouverneur de Perdican.
 
MAITREMAÎTRE BRIDAINE, Curé.
 
CAMILLE, nièce du baron.
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Une place devant le château.
 
MAITREMAÎTRE BLAZIUS, DAME PLUCHE, LE CHŒUR
 
'''LE CHŒUR'''
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Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s’avance dans les bleuets fleuris, vêtu de neuf, l’écritoire au côté. Comme un poupon sur l’oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater noster dans son triple menton. Salut, maître Blazius; vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d’importance m’apportent ici premièrement un verre de vin frais.
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Voilà notre plus grande écuelle; buvez, maître Blazius; le vin est bon; vous parlerez après.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d’atteindre à sa majorité, et qu’il est reçu docteur à Paris. Il revient aujourd’hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu’on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d’or; il ne voit pas un brin d’herbe à terre, qu’il ne vous dise comment cela s’appelle en latin; et quand il fait du vent ou qu’il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu’il a coloriés d’encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans rien en dire à personne. Enfin c’est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l’âge de quatre ans; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise, que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou; la bête est tant soit peu rétive, et je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant d’entrer.
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Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n’était pas besoin, du moment qu’il arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme!
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Ma foi, l’écuelle est vide; je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu; j’ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à monseigneur; je vais tirer la cloche.
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Le salon du baron.
 
Entrent LE BARON, MAITREMAÎTRE BRIDAINE, et MAITREMAÎTRE BLAZIUS.
 
'''LE BARON'''
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Maître Bridaine, vous êtes mon ami; je vous présente maître Blazius, gouverneur de mon fils. Mon fils a eu hier matin, à midi huit minutes, vingt et un ans comptés; il est docteur à quatre boules blanches. Maître Blazius, je vous présente maître Bridaine, curé de la paroisse c’est mon ami.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS''', ’’saluant’’.
 
A quatre boules blanches, seigneur! littérature, botanique, droit romain, droit canon.
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Maître Blazius sort.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Vous dirai-je ma pensée, monseigneur ? le gouverneur de votre fils sent le vin à pleine bouche.
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Cela est impossible.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
J’en suis sûr comme de ma vie; il m’a parlé de fort près tout à l’heure; il sentait le vin à faire peur.
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Dame Pluche sort.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Cette vieille demoiselle paraît tout à fait pleine d’onction.
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Pleine d’onction et de componction, maître Bridaine; sa vertu est inattaquable.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Mais le gouverneur sent le vin; j’en ai la certitude.
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Maître Bridaine, il y a des moments où je doute de votre amitié. Prenez-vous à tâche de me contredire ? Pas un mot de plus là-dessus. J’ai formé le dessein de marier mon fils avec ma nièce; c’est un couple assorti: leur éducation me coûte six mille écus.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Il sera nécessaire d’obtenir des dispenses.
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Je les ai, Bridaine; elles sont sur ma table, dans mon cabinet. O mon ami! apprenez maintenant que je suis plein de joie. Vous savez que j’ai eu de tout temps la plus profonde horreur pour la solitude. Cependant la place que j’occupe et la gravité de mon habit me forcent à rester dans ce château pendant trois mois d’hiver et trois mois d’été. Il est impossible de faire le bonheur des hommes en général, et de ses vassaux en particulier, sans donner parfois à son valet de chambre l’ordre rigoureux de ne laisser entrer personne. Qu’il est austère et difficile le recueillement de l’homme d’Etat! et quel plaisir ne trouverai-je pas à tempérer par la présence de mes deux enfants réunis la sombre tristesse à laquelle je dois nécessairement être en proie depuis que le roi m’a nommé receveur!
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Ce mariage se fera-t-il ici ou à Paris ?
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Voilà où je vous attendais, Bridaine; j’étais sûr de cette question. Eh bien! mon ami, que diriez-vous si ces mains que voilà, oui, Bridaine, vos propres mains, - ne les regardez pas d’une manière aussi piteuse - étaient destinées à bénir solennellement l’heureuse confirmation de mes rêves les plus chers ? Hé ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Je me tais; la reconnaissance me ferme la bouche.
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Regardez par cette fenêtre; ne voyez-vous pas que mes gens se portent en foule à la grille ? Mes deux enfants arrivent en même temps; voilà la combinaison la plus heureuse. J’ai disposé les choses de manière à tout prévoir. Ma nièce sera introduite par cette porte à gauche, et mon fils par cette porte à droite. Qu’en dites-vous ? je me fais une fête de voir comment ils s’aborderont, ce qu’ils se diront; six mille écus ne sont pas une bagatelle, il ne faut pas s’y tromper. Ces enfants s’aimaient d’ailleurs fort tendrement dès le berceau. - Bridaine, il me vient une idée.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Laquelle ?
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Pendant le dîner, sans avoir l’air d’y toucher, vous comprenez, mon ami, - tout en vidant quelques coupes joyeuses; - vous savez le latin, Bridaine.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Ità ædepol, pardieu, si je le sais!
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Je serais bien aise de vous voir entreprendre ce garçon, - discrètement, s’entend - devant sa cousine; cela ne peut produire qu’un bon effet; - faites-le parler un peu latin, - non pas précisément pendant le dîner, cela deviendrait fastidieux, et quant à moi, je n’y comprends rien; - mais au dessert, - entendez-vous ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Si vous n’y comprenez rien, monseigneur, il est probable que votre nièce est dans le même cas.
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Raison de plus; ne voulez-vous pas qu’une femme admire ce qu’elle comprend ? D’où sortez-vous, Bridaine ? Voilà un raisonnement qui fait pitié.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Je connais peu les femmes; mais il me semble qu’il est difficile qu’on admire ce qu’on ne comprend pas.
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Voilà un commencement de mauvais augure, hé ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE''', ’’au baron’’.
 
Trop de pudeur est sans doute un défaut; mais le mariage lève bien des scrupules.
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Je suis choqué, - blessé -. Cette réponse m’a déplu. - Excusez-moi! Avez-vous vu qu’elle a fait mine de se signer ? - Venez ici que je vous parle. - Cela m’est pénible au dernier point. Ce moment, qui devait m’être si doux, est complètement gâté. - Je suis vexé, piqué. - Diable! voilà qui est fort mauvais.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Dites-leur quelques mots; les voilà qui se tournent le dos.
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Cette petite fleur grosse comme une mouche a bien son prix.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Sans doute! le docteur a raison; demandez-lui à quel sexe, à quelle classe elle appartient; de quels éléments elle se forme, d’où lui viennent sa sève et sa couleur; il vous ravira en extase en vous détaillant les phénomènes de ce brin d’herbe, depuis la racine jusqu’à la fleur.
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Une salle.
 
Entrent LE BARON et MAITREMAÎTRE BLAZIUS.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Seigneur, j’ai un mot à vous dire; le curé de la paroisse est un ivrogne.
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Fi donc! cela ne se peut pas.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
J’en suis certain; il a bu à dîner trois bouteilles de vin.
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Cela est exorbitant.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Et en sortant de table, il a marché sur les plates-bandes.
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Sur les plates-bandes ? - Je suis confondu. - Voilà qui est étrange! - Boire trois bouteilles de vin à dîner! marcher sur les plates-bandes ? c’est incompréhensible. Et pourquoi ne marchait-il pas dans l’allée ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Parce qu’il allait de travers.
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Je commence à croire que Bridaine avait raison ce matin. Ce Blazius sent le vin d’une manière horrible.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
De plus, il a mangé beaucoup; sa parole était embarrassée.
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Vraiment, je l’ai remarqué aussi.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Il a lâché quelques mots latins; c’étaient autant de solécismes. Seigneur, c’est un homme dépravé.
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Pouah! ce Blazius a une odeur qui est intolérable. Apprenez, gouverneur, que j’ai bien autre chose en tête, et que je ne me mêle jamais de ce qu’on boit ni de ce qu’on mange. Je ne suis point un majordome.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
A Dieu ne plaise que je vous déplaise, monsieur le baron. Votre vin est bon.
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Il y a de bon vin dans mes caves.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE''', ’’entrant’’.
 
Seigneur, votre fils est sur la place, suivi de tous les polissons du village.
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Cela est impossible.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Je l’ai vu de mes propres yeux. Il ramassait des cailloux pour faire des ricochets.
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Des ricochets ? ma tête s’égare; voilà mes idées qui se bouleversent. Vous me faites un rapport insensé, Bridaine. Il est inouï qu’un docteur fasse des ricochets.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Mettez-vous à la fenêtre, monseigneur, vous le verrez de vos propres yeux.
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Ô ciel! Blazius a raison; Bridaine va de travers.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Regardez, monseigneur, le voilà au bord du lavoir. Il tient sous le bras une jeune paysanne.
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Une jeune paysanne ? Mon fils vient-il ici pour débaucher mes vassales ? Une paysanne sous son bras! et tous les gamins du village autour de lui! je me sens hors de moi.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Cela crie vengeance.
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Un jardin.
 
Entrent MAITREMAÎTRE BIAZIUS et PERDICAN.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Seigneur, votre père est au désespoir.
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Pourquoi cela ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Vous n’ignorez pas qu’il avait formé le projet de vous unir à votre cousine Camille ?
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Eh bien ? - Je ne demande pas mieux.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Cependant le baron croit remarquer que vos caractères ne s’accordent pas.
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Cela est malheureux; je ne puis refaire le mien.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Rendrez-vous par là ce mariage impossible ?
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Je vous répète que je ne demande pas mieux que d’épouser Camille. Allez trouver le baron et dites-lui cela.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Seigneur, je me retire: voilà votre cousine qui vient de ce côté.
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La salle à manger. - On met le couvert.
 
Entre '''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''.
 
Cela est certain, on lui donnera encore aujourd’hui la place d’honneur. Cette chaise que j’ai occupée si longtemps à la droite du baron sera la proie du gouverneur. O malheureux que je suis! Un âne bâté, un ivrogne sans pudeur, me relègue au bas bout de la table! Le majordome lui versera le premier verre de Malaga, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les meilleurs morceaux déjà avalés; il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni carottes. O sainte Eglise catholique! Qu’on lui ait donné cette place hier, cela se concevait; il venait d’arriver; c’était la première fois, depuis nombre d’années, qu’il s’asseyait à cette table. Dieu! comme il dévorait! Non, rien ne me restera que des os et des pattes de poulet. Je ne souffrirai pas cet affront. Adieu, vénérable fauteuil où je me suis renversé tant de fois gorgé de mets succulents! Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons cuites à point! Adieu, table splendide, noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité! je retourne à ma cure; on ne me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j’aime mieux, comme César, être le premier au village que le second dans Rome.
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Au château.
 
Entrent MAITREMAÎTRE BLAZIUS et LE BARON.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Seigneur, j’ai une chose singulière à vous dire. Tout à l’heure, j’étais par hasard dans l’office, je veux dire dans la galerie: qu’aurais-je été faire dans l’office ? J’étais donc dans la galerie. J’avais trouvé par accident une bouteille, je veux dire une carafe d’eau: comment aurais-je trouvé une bouteille dans la galerie ? J’étais donc en train de boire un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour passer le temps, et je regardais par la fenêtre, entre deux vases de fleurs qui me paraissaient d’un goût moderne, bien qu’ils soient imités de l’étrusque...
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Quelle insupportable manière de parler vous avez adoptée, Blazius! Vos discours sont inexplicables.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Ecoutez-moi, seigneur, prêtez-moi un moment d’attention. Je regardais donc par la fenêtre. Ne vous impatientez pas, au nom du ciel! il y va de l’honneur de la famille.
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De la famille! Voilà qui est incompréhensible. De l’honneur de la famille, Blazius! Savez-vous que nous sommes trente-sept mâles, et presque autant de femmes, tant à Paris qu’en province ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
Permettez-moi de continuer. Tandis que je buvais un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour chasser la digestion tardive, imaginez que j’ai vu passer sous la fenêtre dame Pluche hors d’haleine.
 
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Pourquoi hors d’haleine, Blazius ? Ceci est insolite.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Et à côté d’elle, rouge de colère, votre nièce Camille.
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Qui était rouge de colère, ma nièce, ou dame Pluche ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Votre nièce, seigneur.
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Ma nièce rouge de colère! Cela est inouï! Et comment savez-vous que c’était de colère ? Elle pouvait être rouge pour mille raisons; elle avait sans doute poursuivi quelques papillons dans mon parterre.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Je ne puis rien affirmer là-dessus; cela se peut; mais elle s’écriait avec force: Allez-y! trouvez-le! faites ce qu’on vous dit! vous êtes une sotte! je le veux! Et elle frappait avec son éventail sur le coude de dame Pluche, qui faisait un soubresaut dans la luzerne à chaque exclamation.
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Dans la luzerne ?... Et que répondait la gouvernante aux extravagances de ma nièce ? car cette conduite mérite d’être qualifiée ainsi.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
La gouvernante répondait: je ne veux pas y aller! je ne l’ai pas trouvé! Il fait la cour aux filles du village, à des gardeuses de dindons! je suis trop vieille pour commencer à porter des messages d’amour; grâce à Dieu, j’ai vécu les mains pures jusqu’ici et tout en parlant elle froissait dans ses mains un petit papier plié en quatre.
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Je n’y comprends rien; mes idées s’embrouillent tout à fait. Quelle raison pouvait avoir dame Pluche pour froisser un papier plié en quatre en faisant des soubresauts dans une luzerne ? Je ne puis ajouter foi à de pareilles monstruosités.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Ne comprenez-vous pas clairement, seigneur, ce que cela signifiait ?
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Non, en vérité, non, mon ami, je n’y comprends absolument rien. Tout cela me paraît une conduite désordonnée, il est vrai, mais sans motif comme sans excuse.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Cela veut dire que votre nièce a une correspondance secrète.
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Que dites-vous ? Songez-vous de qui vous parlez ? Pesez vos paroles, monsieur l’abbé.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Je les pèserais dans la balance céleste qui doit peser mon âme au jugement dernier, que je n’y trouverais pas un mot qui sente la fausse monnaie. Votre nièce a une correspondance secrète.
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Mais songez donc, mon ami, que cela est impossible.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Pourquoi aurait-elle chargé sa gouvernante d’une lettre ? Pourquoi aurait-elle crié: - Trouvez-le! tandis que l’autre boudait et rechignait ?
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Et à qui était adressée cette lettre ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Voilà précisément le hic, monseigneur, hic jacet lepus. A qui était adressée cette lettre ? à un homme qui fait la cour à une gardeuse de dindons. Or, un homme qui recherche en public une gardeuse de dindons peut être soupçonné violemment d’être né pour les garder lui-même. Cependant il est impossible que votre nièce, avec l’éducation qu’elle a reçue, soit éprise d’un tel homme; voilà ce que je dis, et ce qui fait que je n’y comprends rien non plus que vous, révérence parler.
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Devant le château.
 
Entrent LE BARON et MAITREMAÎTRE BLAZIUS.
 
'''LE BARON'''
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Indépendamment de votre ivrognerie, vous êtes un bélître, maître Blazius. Mes valets vous voient entrer furtivement dans l’office, et quand vous êtes convaincu d’avoir volé mes bouteilles de la manière la plus pitoyable, vous croyez vous justifier en accusant ma nièce d’une correspondance secrète.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Mais, monseigneur, veuillez vous rappeler...
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Un chemin.
 
Entre '''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''.
 
Que font-ils maintenant ? Hélas! voilà midi. - Ils sont à table. Que mangent-ils ? que ne mangent-ils pas ? J’ai vu la cuisinière traverser le village, avec un énorme dindon. L’aide portait les truffes, avec un panier de raisin.
 
Entre MAITREMAÎTRE BLAZIUS.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Ô disgrâce imprévue me voilà chassé du château, par conséquent de la salle à manger. Je ne boirai plus le vin de l’office.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Je ne verrai plus fumer les plats; je ne chaufferai plus au feu de la noble cheminée mon ventre copieux.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Pourquoi une fatale curiosité m’a-t-elle poussé à écouter le dialogue de dame Pluche et de sa nièce ? Pourquoi ai-je rapporté au baron tout ce que j’ai vu ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Pourquoi un vain orgueil m’a-t-il éloigné de ce dîner honorable, où j’étais si bien accueilli ? Que m’importait d’être à droite ou à gauche ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Hélas! j’étais gris, il faut en convenir, lorsque j’ai fait cette folie.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Hélas! le vin m’avait monté à la tête quand j’ai commis cette imprudence.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Il me semble que voilà le curé.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
C’est le gouverneur en personne.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Oh! oh! monsieur le curé, que faites-vous là ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Moi! je vais dîner. N’y venez-vous pas ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Pas aujourd’hui. Hélas! maître Bridaine, intercédez pour moi; le baron m’a chassé. J’ai accusé faussement mademoiselle Camille d’avoir une correspondance secrète, et cependant Dieu m’est témoin que j’ai vu ou que j’ai cru voir dame Pluche dans la luzerne. Je suis perdu, monsieur le curé.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Que m’apprenez-vous là ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Hélas! hélas! la vérité. Je suis en disgrâce complète pour avoir volé une bouteille.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Que parlez-vous, messire, de bouteilles volées à propos d’une luzerne et d’une correspondance ?
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Je vous supplie de plaider ma cause. Je suis honnête, seigneur Bridaine. O digne seigneur Bridaine, je suis votre serviteur!
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE''', ’’à part’’.
 
Ô fortune! est-ce un rêve ? je serai donc assis sur toi, ô chaise bienheureuse!
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Je vous serai reconnaissant d’écouter mon histoire, et de vouloir bien m’excuser, brave seigneur, cher curé.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Cela m’est impossible, monsieur, il est midi sonné, et je m’en vais dîner. Si le baron se plaint de vous, c’est votre affaire. Je n’intercède point pour un ivrogne. (A part.) Vite, volons à la grille; et toi, mon ventre, arrondis-toi.
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Il sort en courant.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS''', ’’seul’’.
 
Misérable Pluche! c’est toi qui payeras pour tous; oui, c’est toi qui es la cause de ma ruine, femme déhontée, vile entremetteuse, c’est à toi que je dois cette disgrâce. O sainte université de Paris! on me traite d’ivrogne! Je suis perdu si je ne saisis une lettre, et si je ne prouve au baron que sa nièce a une correspondance. Je l’ai vue ce matin écrire à son bureau. Patience! voici du nouveau. (Passe dame Pluche portant une lettre.) Pluche, donnez-moi cette lettre.
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Que signifie cela ? C’est une lettre de ma maîtresse que je vais mettre à la poste au village.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Donnez-la moi, ou vous êtes morte.
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Moi, morte! morte, Marie, Jésus, vierge et martyr!
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
Oui, morte, Pluche; donnez-moi ce papier.
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Rendez-moi la lettre. Il me l’a prise, seigneur; justice!
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
C’est une entremetteuse, seigneur. Cette lettre est un billet doux.
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C’est une lettre de Camille, seigneur, de votre fiancée.
 
'''MAITREMAÎTRE BLAZIUS'''
 
C’est un billet doux à un gardeur de dindons.
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=== SCÈNE V ===
 
Entrent LE BARON et MAITREMAÎTRE BRIDAINE.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Seigneur, il faut que je vous parle en particulier. Votre fils fait la cour à une fille du village.
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C’est absurde, mon ami.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Je l’ai vu distinctement passer dans la bruyère en lui donnant le bras; il se penchait à son oreille et lui promettait de l’épouser.
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Cela est monstrueux.
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Soyez-en convaincu; il lui a fait un présent considérable, que la petite a montré à sa mère.
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Ô ciel! considérable, Bridaine ? En quoi considérable ?
 
'''MAITREMAÎTRE BRIDAINE'''
 
Pour le poids et pour la conséquence. C’est la chaîne d’or qu’il portait à son bonnet.