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Premier Péché

trémies, ce petit être, il ignore ce que c’est, et n’en souffre pas. Mais, elle, la mère, sait bien l’horreur des petits sabots toujours vides, et, bénissant cette ignorance, son cœur se serre de tant de joies perdues.

Rapidement le petit est enveloppé dans une vieille harde, vous savez, une de ces aumônes jetées avec dédain, et après avoir mis un châle sur ses épaules maigres et voûtées, elle s’en va dans la nuit, tenant son fils tout rapproché. L’église est brillante, là-bas ; sur la route elle frôle des gens qui murmurent à son approche, mais la jeune femme ne les entend pas. Elle court presque, et comme son enfant ne peut la suivre, la mère le ramasse dans ses bras, et plus vite encore, va.

Dans un coin de la petite église, elle se place ; à peine agenouillée, on la pousse, elle est obligée de sortir d’un banc… chassée. Quatre stations sont ainsi faites ; repoussée, humiliée, la malheureuse tombe sur la balustre. Des pauvres y priaient déjà ; avec mépris, ils se reculent, et devant la crèche de l’Enfant-Dieu, la paria est prosternée pendant que son enfant regarde le petit Jésus, les yeux humides d’une première et douce émotion.

Et là, la rejetée de tous, exhale sa douleur, de longs sanglots la brisent sous ses mauvaises loques ; elle ne prie pas, elle pleure, et dans l’assistance, on se pousse, montrant la femme du pendu. Puis à dire sa douleur elle sent un apaisement. Son fils s’est rapproché d’elle, l’enlaçant d’une caresse, sachant bien, le cher ange, que ses baisers sèchent toutes les larmes maternelles.

Au pied de la crèche, la mère et l’enfant forment un gracieux tableau, la lueur pâle des cierges fait ressortir la pâleur de la pauvre souffrante, pendant que le petit semble plus rose encore…

Et l’on chante les sublimes cantiques, les vieux Noëls aimés ; cette harmonie monte avec une infinie douceur, comme une caresse, à laquelle s’ajoute la griserie parfumée de l’encens… Le petit s’est endormi, sa tête blonde sur le sein maternel… elle, prie toujours, consolée de toute tristesse, dans cette soudaine émotion des heures de jadis, où heureuse alors, elle savait prier. Elle apprendra encore, avec son fils, car dans cette messe de minuit, toutes les consolations lui sont mystérieusement venues…

Qu’importent les haines injustes, les terribles préjugés ? Elle dépose les armes, dédaigneuse de lutter davantage, pendant que son âme s’abîme dans une mystique rêverie.

Et le chéri, dans les bras de sa mère a sur les lèvres, un sourire tout pareil à celui du petit Jésus.