« Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/144 » : différence entre les versions

→‎Page non corrigée : Page créée avec « veille étaient en lambeaux. Vers trois heures du matin, nous quittâmes la caverne hospitalière. Ce n’est pas sans peine que nous parvînmes à franchir les précipice… »
(Aucune différence)

Version du 26 décembre 2019 à 04:10

Cette page n’a pas encore été corrigée
134
LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

veille étaient en lambeaux. Vers trois heures du matin, nous quittâmes la caverne hospitalière. Ce n’est pas sans peine que nous parvînmes à franchir les précipices qui s’ouvraient devant nous. Pour la première fois on employa la longue échelle ; on l’appuya contre la paroi d’un gouffre dont le bord opposé était à plusieurs centaines de pieds plus bas. Nous descendîmes à reculons les marches étroites et serrées. Il était défendu de regarder dans l’abîme. J’obéis par devoir ; mais je désirais vivement connaître les passages que je traversais. Le jour grandissait rapidement ; des monceaux de neige, qui s’élevaient autour de nous, ressemblaient à des monts entassés sur d’autres monts. Nous étions au sein des vastes solitudes de l’Eiger, qui semblaient étonnées du bruit de nos pas. On se servait souvent de l’échelle. À la troisième expérience, j’avais conquis ma liberté d’action, et je ne descendais plus à reculons, mais en contemplant avec un charme indéfinissable les gouffres béants qui se perdaient dans les profondeurs du glacier, plus bleus que les cieux d’Orient.

« Bientôt notre troupe se divisa en deux bandes : Hans Jaun, Almer et Lauener partirent en éclaireurs pour frayer des passages et tailler des escaliers dans la neige ; Pierre Jaun et les Bohren restèrent auprès de moi. Almer s’avançait, avec la longue échelle couchée sur son épaule ; Lauener, avec le drapeau roulé que nous avions pris, afin de le poser comme signal sur le sommet que nous devions escalader. Nous avions des lunettes bleues pour éviter l’éblouissant éclat de la neige, qui devenait à chaque instant moins compacte ; Almer s’était même couvert le visage d’un voile vert ; moi, je trouvai le mien incommode, et je livrai résolument ma peau à l’ardeur brûlante des rayons du jour, qui se réfléchissaient sur ces frimas éclatants, quoique le soleil fût caché sous les nuages. Les trous du glacier étaient plus rares, plus étroits, et nous n’employâmes l’échelle qu’une ou deux fois dans l’immense champ de neige poudreuse qui vers huit heures s’ouvrit à nous. Là commencèrent nos véritables souffrances. La chaleur était excessive, la marche lente et singulièrement difficile, car à chaque pas nous enfoncions presque au delà du genou. Parfois le pied ne trouvait pas le fond, et lorsque nous l’avions retiré, nous découvrions une crevasse béante et azurée ; les guides appelaient ces endroits des mines et les redoutaient beaucoup. L’air se raréfiait à chaque instant ; ma bouche était sèche ; je souffrais de la soif, et, pour la satisfaire, j’avalais des