« Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/15 » : différence entre les versions

Zoé (discussion | contributions)
94Dl94 (discussion | contributions)
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page corrigée
+
Page validée
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
enseveli dans l’ombre noire, à demi éclairé par la flamme pétillante, un troisième individu était couché non loin du foyer ; soit qu’il dormît d’un bien lourd sommeil, soit qu’il fût plongé dans une très profonde méditation, il n’avait point paru entendre les aboiement des chiens, ni le bruit de mon arrivée. Sa figure était cachée par l’obscurité, et ce que je voyais de son costume ne se distinguait en rien de celui que je portais moi-même. Un cheval, attaché par une courroie retenue à un piquet, paissait l’herbe près de lui. Plus loin, des peaux étendues par terre, le cadavre d’un quadrupède fraîchement écorché, des ustensiles ou des armes de toute espèce, prouvaient que mes deux amphitryons exerçaient dans ces prairies le rude et dangereux métier de chasseurs de bisons. Rassuré à cet égard, j’entravai mon cheval sans le desseller, et je m’assis.
enseveli dans l’ombre noire, à demi éclairé par la flamme pétillante, un troisième individu était couché non loin du foyer ; soit qu’il dormît d’un bien lourd sommeil, soit qu’il fût plongé dans une très profonde méditation, il n’avait point paru entendre les aboiemens des chiens, ni le bruit de mon arrivée. Sa figure était cachée par l’obscurité, et ce que je voyais de son costume ne se distinguait en rien de celui que je portais moi-même. Un cheval, attaché par une courroie retenue à un piquet, paissait l’herbe près de lui. Plus loin, des peaux étendues par terre, le cadavre d’un quadrupède fraîchement écorché, des ustensiles ou des armes de toute espèce, prouvaient que mes deux amphitryons exerçaient dans ces prairies le rude et dangereux métier de chasseurs de bisons. Rassuré à cet égard, j’entravai mon cheval sans le desseller, et je m’assis.


Cependant nos hôtes s’occupaient des préparatifs du souper, qui devait consister en un morceau de bison cuit à l’étouffée (''tatemado'') ; ils allèrent chercher l’eau que nous devions boire à une rivière voisine que j’appris avec étonnement être le San-Pedro, dont je me croyais si éloigné et vers lequel j’étais revenu sans m’en douter. Tout était donc disposé pour le repas, et l’individu couché ne semblait nullement se préoccuper de ces apprêts qui me paraissaient à moi si importans ; mais il y a cette différence entre l’Européen et le Mexicain, que le dernier, insensible à la faim comme à la soif, se trouve dans l’abondance là même où le premier succombe à la faim. Sur l’invitation de nos hôtes (car j’appris alors que cet homme était comme moi un étranger pour les chasseurs de bisons), ils sembla secouer sa torpeur, et vint s’asseoir pour prendre aussi sa part de l’hospitalité du désert.
Cependant nos hôtes s’occupaient des préparatifs du souper, qui devait consister en un morceau de bison cuit à l’étouffée (''tatemado'') ; ils allèrent chercher l’eau que nous devions boire à une rivière voisine que j’appris avec étonnement être le San-Pedro, dont je me croyais si éloigné et vers lequel j’étais revenu sans m’en douter. Tout était donc disposé pour le repas, et l’individu couché ne semblait nullement se préoccuper de ces apprêts qui me paraissaient à moi si importans ; mais il y a cette différence entre l’Européen et le Mexicain, que le dernier, insensible à la faim comme à la soif, se trouve dans l’abondance là même où le premier succombe à la faim. Sur l’invitation de nos hôtes (car j’appris alors que cet homme était comme moi un étranger pour les chasseurs de bisons), ils sembla secouer sa torpeur, et vint s’asseoir pour prendre aussi sa part de l’hospitalité du désert.
Ligne 5 : Ligne 5 :
La stature de ce nouveau convive, qui m’inspira dès ce moment une curiosité indéfinissable, indiquait la vigueur et l’agilité ; sa figure était sombre, imposante ; ses traits durs, fortement accentués, révélaient une force morale supérieure peut-être à sa force physique. Les premiers mots qu’il prononça en murmurant une espèce de ''benedicite'' n’étaient pas entachés de cette prononciation vicieuse qui distingue les habitans de l’état de Sonora ; il était facile de reconnaître en lui un homme des états du centre de la république.
La stature de ce nouveau convive, qui m’inspira dès ce moment une curiosité indéfinissable, indiquait la vigueur et l’agilité ; sa figure était sombre, imposante ; ses traits durs, fortement accentués, révélaient une force morale supérieure peut-être à sa force physique. Les premiers mots qu’il prononça en murmurant une espèce de ''benedicite'' n’étaient pas entachés de cette prononciation vicieuse qui distingue les habitans de l’état de Sonora ; il était facile de reconnaître en lui un homme des états du centre de la république.


Quand notre repas fut achevé, je pris la parole : — Il est d’usage, dis-je en me tournant, vers les deux chasseurs, que celui qui reçoit l’hospitalité prévienne les questions que son hôte peut lui adresser ; je vous dirai donc qui je suis, d’où je viens, et où je vais.
Quand notre repas fut achevé, je pris la parole : — Il est d’usage, dis-je en me tournant vers les deux chasseurs, que celui qui reçoit l’hospitalité prévienne les questions que son hôte peut lui adresser ; je vous dirai donc qui je suis, d’où je viens, et où je vais.


J’eus bientôt donné tous les détails qui me concernaient, et je dois avouer que ces détails semblèrent très médiocrement intéresser mon auditoire. Cependant, quand je parlai de la ''conducta'' du matin, je crus remarquer que l’inconnu m’écoutait avec un redoublement d’attention.
J’eus bientôt donné tous les détails qui me concernaient, et je dois avouer que ces détails semblèrent très médiocrement intéresser mon auditoire. Cependant, quand je parlai de la ''conducta'' du matin, je crus remarquer que l’inconnu m’écoutait avec un redoublement d’attention.