Souvenirs poétiques de l’école romantique/L’Attrait de la mer

Souvenirs poétiques de l’école romantique 1825 à 1840Laplace, Sanchez et Cie, libraires-éditeurs (p. 194-195).

L’ATTRAIT DE LA MER


Non, ce n’est plus assez de la roche lointaine
Où mes jours, consumés à contempler les mers,
Ont nourri dans mon sein un amour qui m’entraîne
À suivre aveuglément l’attrait des flots amers.
Il me faut sur le bord une grotte profonde
Que l’orage remplit d’écume et de clameurs,
Où, quand le dieu du jour se lève sur le monde.
L’œil règne et se contente au vaste sein de l’onde,

Ou suit à l'horizon la fuite des rameurs.
J’aime Thétis, ses bords ont des sables humides ;
La pente qui m’attire y conduit mes pieds nus ;
Son haleine a gonflé mes songes trop timides,
Et je vogue, en dormant, à des points inconnus.
L’amour qui, dans le sein des roches les plus dures,
Tire de son sommeilla source des ruisseaux,
Du désir de la mer émeut ses faibles eaux,
La conduit vers le jour par des veines obscures,
Et qui, précipitant sa pente et ses murmures,
Dans l’abîme cherché termine ses travaux ;
C’est le mien. Mon destin s’incline vers la plage.
Le secret de mon mal est au sein de Thétis.
J’irai, je goûterai les plantes du rivage,
Et peut-être en mon sein tombera le breuvage
Qui change en dieux des mers les mortels engloutis.
Non, je transporterai mon chaume des montagnes
Sur la pente du sable aux bords pleins de fraîcheur ;
Là, je verrai Thétis répandant sa blancheur,
A l’éclat de ses pieds entraîner ses compagnes ;
Là, ma pensée aura ses humides campagnes,
J’aurai même une barque et je serai pêcheur.